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Actualités - OPINION

Pourquoi la guerre civile n’aura pas lieu

La précarité du cessez-le-feu, le retard dans la constitution de la force multinationale, les tensions régionales et internationales liées, d’une part, à la nature de la mission de cette force et, d’autre part, au conflit autour de la question nucléaire iranienne, et, surtout, l’apparent piétinement des pourparlers sur la question de la remise des armes du Hezbollah laissent libre cours à toutes les spéculations concernant l’avenir. Bon nombre de commentateurs de la presse internationale tirent une conclusion surprenante, affirmant que la société libanaise risque de se « polariser davantage », entraînant l’armement ou le réarmement d’autres factions libanaises, et, à plus ou moins brève échéance, une guerre civile. Première hypothèse : la guerre civile aurait des raisons régionales. Israël n’ayant pas réussi à éradiquer le Hezbollah, on détournerait celui-ci de la frontière en armant ses opposants au Liban et en l’occupant par une guerre civile de longue durée. Deuxième hypothèse : la guerre civile aurait des raisons purement libanaises – autant que cela soit plausible. Le Hezbollah, s’estimant habilité à recevoir une part beaucoup plus large du pouvoir et à promouvoir sa vision du Liban aussi bien en termes de législation et de fonctionnement inspirés de l’islam qu’en tant que base de la résistance à Israël, essaierait d’obtenir gain de cause par les armes, et les factions issues de la révolution du Cèdre prendraient les armes pour contrecarrer ce projet. Mais ni les scénarios envisagés ne tiennent la route ni la société politique libanaise dans sa structure actuelle ne paraît susceptible de se laisser entraîner dans ce genre de folie. Il n’est pas dit qu’une guerre entre Libanais résoudra la question de la sécurité de la précieuse frontière, quelle qu’en soit l’issue, et surtout, personne au Liban n’a intérêt à une guerre civile. Prédire qu’elle aura lieu relève du réflexe intellectuel chaque fois que tout n’est pas au beau fixe au Liban. Ces scénarios improbables ne prennent pas en compte une foule de facteurs. D’abord, on voit mal comment la société libanaise pourrait se « polariser davantage » ou, pis, se diviser selon des lignes communautaires. Le consensus des différentes composantes de la société politique autour du gouvernement Siniora et de l’accord de Taef paraît solide. Jamais gouvernement libanais n’avait connu une telle cohésion, et elle n’est pas de pure forme. La structure actuelle du pouvoir issu d’un accord de Taef peu et mal appliqué ne plaît pas à tout le monde, mais les uns comme les autres s’en accommodent. Les chrétiens et les druzes du printemps de Beyrouth, toutes couleurs confondues, ne sont pas totalement satisfaits de la configuration du pouvoir, ils le disent, mais ils disent aussi qu’il n’existe pas de solution qui puisse satisfaire tout le monde absolument. Les chrétiens du Liban en sont arrivés à accepter un rôle politique réduit pourvu que le pays reste économiquement et culturellement libéral, moderne, ouvert, cosmopolite – une option partagée par la communauté sunnite. Chrétiens et druzes regrettent que la mobilisation massive des chiites autour du Hezbollah ait quelque peu atténué le particularisme libanais de cette communauté, mais ils notent en revanche que le particularisme libanais de la communauté sunnite s’est considérablement accru. La seule chose qui les dérange un peu – mais ils ne sont pas les seuls –, c’est l’islamisation progressive du paysage de la montagne libanaise. Ils ont beaucoup à perdre et rien à gagner d’un conflit intérieur. L’enjeu est plus important pour les sunnites, qui assument la responsabilité du pouvoir, mais paradoxalement, c’est la communauté qui a l’expérience militaire la plus réduite. Au cours de la guerre 1975-1991, les milices sunnites ont été rapidement phagocytées par les forces palestiniennes de l’OLP, laquelle a poursuivi la guerre pour son propre agenda. Créer et armer une milice aujourd’hui pour l’engager contre un Hezbollah expérimenté et motivé leur paraît pure aberration, sans compter que cela équivaudrait, soit à faire de l’État une faction, soit à s’en exclure. Par conséquent, du côté des leaders du printemps de Beyrouth, la diplomatie, le dialogue et le réalisme doivent l’emporter ; un avis que partagent ceux parmi les chiites libanais qui ne se sentent pas représentés par le Hezbollah. Reste le protagoniste principal, le Hezbollah : se laisser entraîner dans une guerre civile destinée à le détourner de son projet de résistance est peu plausible. Il est tout aussi improbable de le voir retourner ses armes contre l’intérieur en réaction aux pressions qu’il subit ou pour mettre la main sur le pouvoir. Dans le flou actuel, il sait que tout conflit armé intérieur pourrait servir de prétexte à de nouvelles attaques israéliennes dans des conditions encore plus difficiles pour ses forces et pour sa base populaire – sans repli possible de déplacés dans les régions où ils ont été accueillis. De plus, si le soutien de sa base populaire paraît solide, ses territoires de base dans le Sud et la Békaa ne sont plus un sanctuaire inexpugnable. Les besoins de la reconstruction, les soins de milliers de blessés, même avec toute l’aide financière dont il dispose, nécessitent la collaboration et la coopération des institutions étatiques et des organismes humanitaires – sa recommandation récente aux sinistrés de ne rien entreprendre en termes de reconstruction avant de s’adresser aux municipalités de leurs lieux de résidence le démontre. Il ne sait dans quelle mesure il peut compter sur l’aide de la Syrie, laquelle l’a agacé en « volant au secours de la victoire » et a déjà démontré qu’elle pouvait changer ses alliances sur le terrain au gré des fluctuations de ses intérêts. De plus, il sait qu’il jouit d’un prestige indéniable, même auprès de ses détracteurs, pour avoir été la seule force arabe capable d’ébranler l’arrogante assurance des Israéliens et d’une certaine sympathie au vu du prix colossal infligé a sa communauté ; il a tout à gagner à ne pas saper ce capital moral. Enfin, il n’ignore pas quelles peuvent être les intentions de commentateurs étrangers qui cherchent à exacerber ses ambitions non seulement en vantant sa performance militaire, mais aussi en assurant qu’il a cloué l’État au pilori en se précipitant dès le lendemain du cessez-le-feu pour offrir de l’argent aux sinistrés. Jana TAMER
La précarité du cessez-le-feu, le retard dans la constitution de la force multinationale, les tensions régionales et internationales liées, d’une part, à la nature de la mission de cette force et, d’autre part, au conflit autour de la question nucléaire iranienne, et, surtout, l’apparent piétinement des pourparlers sur la question de la remise des armes du Hezbollah laissent libre...