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À Nahad, Nadim, Habib et à mes frères libanais

Depuis toujours, le Liban a été un refuge pour de multiples communautés qui ont trouvé dans les reliefs de ses montagnes un havre de paix. Il a été, plus récemment, terre d’accueil pour les réfugiés palestiniens forcés au déracinement en 1948 et lieu de repli pour les démocrates arabes pourchassés par des régimes policiers. Georges Corm,votre compatriote et mon ami, se plaît à décrire le Liban comme le pays de la démocratie consensuelle où la cohabitation des communautés offrait un contre-modèle à des États théocratiques. Mais démocratie fragile néanmoins, du fait du contexte régional agité, de la géographie même du Liban en tant qu’État tampon et État carrefour. Votre pays a payé déjà un lourd tribut aux interférences des acteurs extérieurs : l’Europe au XIXe siècle, les pays arabes, l’Iran et Israël depuis 60 ans. Souvent et sans vergogne, ces acteurs régionaux et internationaux ont réglé leurs comptes par Libanais interposés. Demeuré à l’abri du conflit israélo-arabe jusque 1967, voilà que ce conflit rejaillit sur le Liban dans les années 70, mettant à mal sa paix sociale et sa sécurité externe, deux conditions essentielles pour ce pays de services, qualifié de « Suisse de l’Orient ». L’utilisation du Liban comme tremplin de la résistance palestinienne après son éviction de Jordanie en 1970 a provoqué les foudres d’Israël qui bombarde votre aéroport de Beyrouth en 1976, occupe le Sud en 1978, investit Beyrouth en été 1982 et se replie sur le Sud jusqu’en 2000. C’est en 1982, lors du siège de Beyrouth et de l’occupation du Liban-Sud qu’émerge le Hezbollah d’abord comme un mouvement de résistance. Le Hamas émerge en Palestine en 1987 lors de la première intifada .Comme quoi ces deux mouvements islamistes, sunnite et chiite, ne sont pas « la simple création machiavélique de l’axe Téhéran-Damas », mais le résultat de l’occupation et de la répression israéliennes. J’avais vécu quelques mois à Beyrouth en 1973 pour parachever ma thèse de doctorat : la joie de vivre des Libanais, leur hospitalité et la beauté de votre pays m’avaient captivé. Mais comme le dit un de vos écrivains : « Chaque pays a son lot de malheur : certains ont des ouragans, des tsunamis, des tremblements de terre, des volcans ; le Liban a ses voisins ». Et ceux-ci ne l’ont pas ménagé : les uns par leur « fraternité encombrante » et les autres par leurs bombes et leurs chars. Chers amis libanais, loin de moi, dans un élan d’émotion à l’heure qu’il est, de chercher à trop embellir l’image de votre pays : le Liban a été aussi l’artisan de ses malheurs. L’absence d’un État crédible a ouvert la porte cochère aux interférences d’acteurs extérieurs, et la constitution de mini-États dans l’État, l’alignement de certains sur des politiques forgées ailleurs a semé la zizanie, le jeu des grandes familles a asséché la dynamique démocratique et entravé l’ascension de nouvelles élites éclairées. Tandis que la pensée laïque a eu du mal à se frayer un chemin émancipateur dans la broussaille intégriste qui a proliféré dans les quartiers et régions abandonnés. Ne succombez surtout pas aux sirènes du découragement, chers amis libanais. Tous les peuples arabes pleurent, avec vous, la trahison de l’Amérique, l’abandon de l’Europe et la lâcheté des dirigeants arabes. Chaque fois qu’une bombe brûle un enfant libanais, c’est une part d’Occident qui s’éteint en nous, car c’est pour défendre « les valeurs de l’Occident » contre l’« axe du Mal » qu’Israël prétend livrer une bataille inégale à un Liban martyrisé. Mais dites-vous bien que n’est vainqueur que celui qui sait gagner les cœurs et les esprits. Israël perd son âme en même temps qu’il se délecte dans ses victoires sans gloire. Les Libanais sauront réparer les dégâts, reconstituer leurs vies qui ont volé en éclats, retrouver la joie de vivre d’antan. Ils en ont le secret, c’est leur génie. Aujourd’hui, j’oublie ma condition de Palestinien : je me sens libanais. Pr Bichara KHADER Directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain Université catholique de Louvain, Belgique
Depuis toujours, le Liban a été un refuge pour de multiples communautés qui ont trouvé dans les reliefs de ses montagnes un havre de paix. Il a été, plus récemment, terre d’accueil pour les réfugiés palestiniens forcés au déracinement en 1948 et lieu de repli pour les démocrates arabes pourchassés par des régimes policiers.
Georges Corm,votre compatriote et mon ami, se plaît à...