Rechercher
Rechercher

Actualités

Autodéfense ou guerre d’annihilation ?(1)

Par Karim Émile BITAR* Des dizaines d’enfants brûlés vifs sous les yeux de leurs parents impuissants, un déluge de fer et de feu s’abattant sur les grandes villes du pays, toutes les infrastructures civiles réduites en cendres, des centaines de milliers de réfugiés et un exode massif rappelant les heures les plus sombres de l’histoire, une nation tout entière prise en otage, des crimes de guerre caractérisés et le viol de toutes les conventions de Genève : après avoir ghettoïsé Gaza, c’est le Liban tout entier qu’Israël ghettoïse. De quoi s’agit-il ? « Du droit d’Israël à l’autodéfense », nous serine quotidiennement, avec sa niaise et béate arrogance, le phare de la pensée contemporaine qui sévit aujourd’hui à la Maison-Blanche et qui, après avoir mis l’Irak à feu et à sang dans sa recherche de fictives armes de destruction massive, donne aujourd’hui le feu vert à son allié israélien pour détruire un autre pays souverain, sans s’offusquer le moins du monde lorsque cet allié use d’armes non conventionnelles contre des civils libanais innocents. Le recours par Israël à des armes illicites (BASM, bombes à fragmentation/cluster bombs, bombes au phosphore) a été confirmé par des organisations aussi respectées par la communauté internationale que Human Rights Watch et Handicap International… Irresponsable et criminel le Hezbollah ? Sans aucun doute. Mais il faut être aveugle pour ne pas voir qu’au terrorisme à l’échelle artisanale que pratique le Hezbollah répond, au nom de la lutte contre le terrorisme, un terrorisme à l’échelle industrielle, un terrorisme d’État qui semble être devenu la marque de fabrique d’Israël. Une flopée de propagandistes se charge pourtant de lustrer l’image d’Israël et de faire du révisionnisme en temps réel. Pour les Libanais, ces événements ont un méchant air de déjà-vu. J’avais cinq ans en 1978 lors de la première invasion du pays du Cèdre par Israël. Je n’avais pas encore 10 ans lorsqu’en 1982, les Libanais étaient à nouveau les témoins et les victimes de l’incommensurable sauvagerie de la soldatesque israélienne. Israël a cette année-là de nouveau envahi le Liban, imposé un impitoyable blocus à Beyrouth et provoqué la mort de plus de vingt mille innocents. Il faut rappeler constamment aux observateurs et aux médias étrangers que le Hezbollah n’existait pas avant l’invasion israélienne de 1982. C’est de ce viol du Liban par Israël que naîtra un enfant illégitime, le Hezbollah. Ce mouvement chiite est donc le fils naturel du général Sharon. Il n’a pu voir le jour que parce que les mouvements de résistance de la gauche laïque libanaise avaient été laminés, et que la population du Liban-Sud était de plus en plus appauvrie, désespérée, et déterminée à venger l’humiliation et le sang versé. En 1982 déjà, Israël usa d’un prétexte, la tentative d’assassinat début juin de l’ambassadeur d’Israël à Londres, et avait un objectif inavoué, celui de redessiner les cartes du Proche-Orient. Le prétexte s’avèrera fallacieux, puisqu’on apprendra plus tard par des sources israéliennes que non seulement l’invasion avait été minutieusement préparée plus de 18 mois à l’avance, mais aussi que l’attentat contre l’ambassadeur n’avait aucun lien avec les affaires libanaises, puisqu’il était l’œuvre du groupe Abou Nidal. Quant à l’objectif inavoué, il se transformera en cauchemar d’abord pour le Liban, mais aussi pour les piètres stratèges israéliens qui l’avaient conçu. Cauchemar également pour les « forces multinationales » auxquelles on avait cyniquement confié une « mission impossible », comme on s’apprête à le faire à nouveau aujourd’hui, donnant ainsi une fois encore raison à Hegel qui disait que « la seule chose que l’histoire nous apprend, c’est que personne n’apprend jamais rien des leçons de l’histoire. » (…) Face à la disproportion totale des forces en présence, face au drame humanitaire de grande ampleur qui touche aujourd’hui les peuples palestiniens et libanais, on ne peut que constater avec effroi la partialité et/ou le silence assourdissant des « intellectuels » médiatiques parisiens, ces grands imprécateurs, champions de l’humanisme à géométrie variable et exemples types de la « trahison des clercs. » Les uns n’ont aucun scrupule à se transformer en attachés de presse du gouvernement israélien et à rédiger des « reportages » surréalistes faisant l’apologie de Tsahal. Les autres sont coupables de ce que François Mauriac appelait « le crime de silence ». Sans doute sont-ils trop occupés à poser pour Paris Match ou à faire le décompte des footballeurs à la peau noire. Trop occupés à traquer les dangereux « antisémites » qui sommeilleraient en Daniel Mermet, Pascal Boniface ou Edgar Morin. Trop occupés à dénoncer le prétendu « antiaméricanisme primaire » de quiconque ose critiquer la désastreuse, inepte et contre-productive politique extérieure des États-Unis. Si la faillite intellectuelle et morale des histrions-philosophes germanopratins ne nous étonne guère, plus surprenante est la relative tiédeur de la réaction officielle française face à cette guerre d’annihilation que mène Israël contre le Liban. Lorsqu’en 1968, déjà, Israël avait bombardé l’aéroport de Beyrouth, Charles de Gaulle en avait fait une affaire personnelle, avait pourfendu avec la plus grande vigueur le mépris de l’État juif pour le droit international, et était allé jusqu’à établir un embargo total sur les fournitures d’armes à Israël. Dès 1941, le grand Charles, fin connaisseur de l’histoire, avait souligné que « dans tout cœur de Français, le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. Les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde qui, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France ». Il est plus que temps que la classe politique française s’en souvienne, à commencer par cet « ami d’Israël » et ami personnel de Benjamin Netanyahu qu’est le candidat supposément « gaulliste » à la présidentielle de 2007. Quant à nous, arabes, libanais et palestiniens, il nous incombera de veiller scrupuleusement à ce que nos justes causes ne soient pas récupérées par « les ennemis de nos ennemis », il nous incombera d’avoir le courage, même et surtout en ces jours difficiles, de faire en sorte que jamais la rhétorique nauséabonde de l’antisémitisme et des « assassins de la mémoire » ne vienne polluer et déshonorer la noblesse de notre combat pour vivre en paix dans des pays libres de toute occupation et de toute milice intégriste, pour construire un avenir fondé sur une vision du monde qui ne soit ni celle de John Bolton ni celle de Mahmoud Ahmadinejad, mais un avenir qui soit digne de ce que nous devons aux enfants martyrs de Cana et à ces centaines d’autres enfants morts sans la moindre sépulture, hormis notre mémoire. (1) Pour Pierre Vidal Naquet, décédé le 29 juillet 2006, historien et humaniste, juste parmi les justes, Français juif, laïque et républicain, dénonciateur des dictatures arabes, pourfendeur des crimes d’Israël, ami du Liban, de la Palestine, et de tous les hommes voulant vivre libres. In Memoriam. * Directeur de la rédaction de la revue L’ENA hors-les-murs, consultant en stratégie et en communication.
Par Karim Émile BITAR*

Des dizaines d’enfants brûlés vifs sous les yeux de leurs parents impuissants, un déluge de fer et de feu s’abattant sur les grandes villes du pays, toutes les infrastructures civiles réduites en cendres, des centaines de milliers de réfugiés et un exode massif rappelant les heures les plus sombres de l’histoire, une nation tout entière prise en otage, des...