Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La crise en « banlieue européenne » et les perspectives d’intégration

On est bien en banlieue européenne. Le monde n’est-il pas devenu ce village planétaire ? Cette crise qui secoue la rive orientale de la Méditerranée est aussi d’une certaine manière l’expression d’un problème d’intégration, celui de parties, et non des moindres, exclues du dialogue régional. Dans les deux cas, le problème de l’intégration est celui de la reconnaissance. Et l’on ne peut prétendre résoudre un problème sans le nommer. On ne peut demander à quelqu’un d’obtempérer sans lui adresser la parole. La crise que le Liban traverse est aux portes de l’Europe tout en étant profondément internationale. Le feu se propage de plus en plus vite et il est de moins en moins contrôlable. De l’Afghanistan à l’Irak, à la Palestine et aujourd’hui au Liban, ce sont les armes qui parlent ou plutôt qui tuent, tuent la parole. Non, disons-le d’emblée, le monde arabe n’est pas terroriste, le monde musulman n’est pas terroriste. Tous les Libanais ne sont pas membres du Hezbollah. Tous les Palestiniens ne sont pas membres du Hamas. Tout comme l’ensemble des Irakiens n’étaient pas unanimes derrière Saddam Hussein. Mais à persister à ne voir dans ces peuples que des terroristes, on ne fait que marginaliser les démocrates. À persister dans une politique de soutien inconditionnel à Israël, on ne fait que discréditer l’idée de justice. À persister dans la négation des institutions internationales, on ne fait que discréditer l’idée de droit international. À persister à ignorer le droit des populations civiles, on ne fait que renforcer le terrorisme. À persister dans une politique sans valeurs autres que «le bien contre le mal», «ce qui ne sont pas avec nous sont contre nous», on ne fait que mettre en péril les valeurs que tous les démocrates ont portées à ce jour. «Où vont les valeurs?» Telle était la question posée par l’Unesco en ce début de millénaire. La question est on ne peut plus d’actualité lorsque la plus grande puissance au monde n’a plus que le recours à la violence pour répondre à la violence. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les champs de bataille se multiplient de l’Afghanistan au Liban, tandis que le discours politique se simplifie à la lutte du bien contre le mal, ou encore la liberté contre la terreur. Il est grand temps que la raison revienne en lieu et place de la puissance. La violence incite à la violence et la haine force la haine. Il est grand temps de regarder les choses en face avant de perdre la face. À vouloir jouer au jeu de gamins en accusant l’autre d’avoir commencé, Israël ne fait aucune preuve de responsabilité. Clamer le droit de se défendre suppose pour le moins de concéder ce droit à ses adversaires. Israël aurait le droit de disposer de l’arsenal militaire le plus sophistiqué de la région, tandis que ses voisins devraient se contenter de ce qu’il considère compatible avec ses considérations stratégiques. Il est évident que cette situation est insoutenable, tant sur le plan sécuritaire que politique. Face à cette distorsion, les États-Unis avaient choisi d’attendre que les protagonistes veuillent bien se mettre d’accord sur cette inéquation. Une attente pour le poins irresponsable compte tenu de l’histoire même de l’État d’Israël et de ses rapports étroits avec les États-Unis. Une attente dont la conséquence est l’éclatement violent d’aujourd’hui. Le temps presse, mais pour faire vite, il faut y aller calmement. Malheureusement, depuis les événements du 11-Septembre, les États-Unis font davantage preuve d’émotion que de lucidité. Il est désormais impossible de résoudre la crise actuelle comme les valeureux cow-boys traquaient les bandits du temps des bons vieux westerns. Face à la mondialisation et l’internationalisation des crises, il est grand temps de faire avancer le droit international. Sans droit, il ne saurait y avoir de démocratie. Et les droits de l’homme ne sauraient être qu’universels. Le droit d’Israël à l’existence se saurait être aux dépens du droit de ses voisins à l’existence, et en violation du droit international et des droits de l’homme. Ses voisins ont autant besoin de vivre en sécurité. La sécurité d’Israël ne saurait être garantie par la seule force. On ne peut aspirer à vivre en paix avec ses voisins si le seul langage que l’on tient est celui de la force. Israël ne peut prétendre défendre les valeurs de la démocratie en étant un État dont le droit d’existence est fondé sur le droit religieux, un droit imprescriptible, qui n’a de compte à rendre à personne, et qui se moque éperdument du droit international, des Nations unies et de ses résolutions. L’Europe discute et discutera encore des modalités de l’adhésion de la Turquie, grand pays musulman et de surcroît membre de l’OTAN. Le monde arabe doit, quant à lui, accepter les humiliations d’une superpuissance juive, et les moindres velléités sont considérées comme une menace inacceptable sur la sécurité d’Israël justifiant toutes les exactions militaires et des plus meurtrières comme légitime défense. Non, la démocratie ne se vend ni ne s’achète malheureusement. Elle se construit dans la pratique et les esprits. Et en ce sens, elle ne peut se construire que dans le dialogue dans la reconnaissance des parties en présence et dans le respect du droit, du respect des valeurs démocratiques, du respect des valeurs républicaines, du respect des valeurs laïques et du respect des religions. Non, la démocratie ne s’impose pas de force, une question de simple bon sens que les États-Unis semblent avoir perdu de vue, aveuglés qu’ils ont été depuis les événements du 11-Septembre par une lutte contre un objectif insaisissable: le terrorisme. L’Espagne, la Grande-Bretagne et la Russie ont été victimes d’attaques terroristes terribles. Elles n’ont pas pour autant déclaré la guerre tous azimuts. On ne peut lutter contre le terrorisme en utilisant la même tactique, avec des armes beaucoup plus destructrices qui confondent le bourreau et la victime. Rien ne saurait justifier de soumettre une nation tout entière pour neutraliser un groupe de terroristes. L’OTAN occupe l’Afghanistan et Oussama Ben Laden reste hors de portée ; les États-Unis et leurs forces alliées occupent l’Irak et la sécurité y est plus que jamais incertaine. Demain, une force multinationale est susceptible d’investir le Liban dans un contexte de plus en plus chaotique avec des infrastructures étatiques à plat. Entre-temps, les trois peuples sont ruinés. Rien ne saurait justifier de soumettre une nation tout entière pour neutraliser un groupe de terroristes, encore moins lorsque cette soumission se fait au mépris des valeurs, ces valeurs dont les démocraties se doivent d’être garantes: celles du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, des droits de l’homme dans son universalité et de la dignité humaine. Non, le monde de demain ne saurait être bâti sans le respect de ces valeurs. Si la page de la guerre froide est désormais tournée, cette banlieue européenne mérite aujourd’hui autre chose qu’une guerre chaude. Si la page de la colonisation est bien tournée, cette banlieue mérite aujourd’hui d’être reconnue dans son droit à vivre en paix dans le respect de ces valeurs mêmes. Rafic BADDOURA

On est bien en banlieue européenne. Le monde n’est-il pas devenu ce village planétaire ? Cette crise qui secoue la rive orientale de la Méditerranée est aussi d’une certaine manière l’expression d’un problème d’intégration, celui de parties, et non des moindres, exclues du dialogue régional. Dans les deux cas, le problème de l’intégration est celui de la reconnaissance. Et...