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Gemmayzé sort timidement de sa torpeur

Une soirée d’été, de cet été meurtrier, presque ordinaire dans son attente d’un jour meilleur… Nuit noire, éclairée par des lumières fébriles fonctionnant au gré d’un moteur qui s’essouffle. La ville s’organise, fait sa résistance en tentant, à sa façon, de retrouver ses repères d’avant. Le cœur n’est pas à la fête, mais déterminé à donner des leçons de survie à tous les criminels de guerre. Gemmayzé, qui fut, il n’y a pas si longtemps, même si cela semble une éternité, le cœur de cette ville, le cœur de la fête, Gemmayzé qui battait au rythme des nouveaux endroits bondés de vie, fait aussi sa résistance. Depuis trois semaines, un calme lourd et imprévisible s’est abattu sur Gemmayzé. Heureux temps, seraient presque tentés de penser les habitants de ce quartier, où l’on se plaignait des soirées sans fin, musicales, heureuses. Aujourd’hui, les rues ont perdu leur fraîcheur, un peu comme si les anciens habitants reprenaient, avec regret, possession de leurs pierres. Au balcon, une dame d’un âge certain regarde la journée disparaître, et ces jeunes, « que Dieu les garde », qui reviennent, prudemment, hanter, animer leur rue chérie. « Il suffit du bruit d’une explosion, d’un survol aérien, pour que certains endroits se vident en quelques minutes », précise-t-elle. « Il y a aussi ceux qui ne craignent rien, qui attendent que ça passe… ». Au fil d’une guerre qui semble avoir, pour le moment, tracé ses frontières, et à laquelle le Libanais s’est adapté, grâce à son extraordinaire capacité à se relever, les pubs et autres restaurants ont timidement rouvert leurs portes, au cours de la semaine dernière, encouragés par les uns et les autres. Les restaurants avouent : « La carte est la même, sauf pour certains ingrédients qui n’existent plus sur le marché. Et puis, nous fonctionnons au jour le jour. » À vingt heures, de Ahouit el-Ezaz au Barbu, la promenade ressemble au parcours d’un combattant, pacifique, qui se bat pour que continue à résonner le cœur d’une ville aimée. État des lieux L’obscurité de la nuit semble plus profonde que d’habitude. Est-ce la panne de courant, le vrombissement des moteurs, les rares voitures qui trouvent facilement une place pour se garer ? « C’est entre 21 heures et minuit que les gens viennent en général consommer », nous avoue le responsable du Cactus, qui s’est installé également à Faqra. « La clientèle est, à 60 %, composée de journalistes étrangers et, pour les 40 % qui restent, d’habitués ou simplement de gens qui sont restés à Beyrouth et qui ont besoin de respirer. » Pour le Torino et le Godot, petits pubs où les gens se frôlent dans une intimité amicale, « nous n’avons jamais fermé, même au début de la guerre, disent-ils en chœur, et presque fièrement. Hier soir, poursuivent-ils, les retardataires sont partis vers deux heures du matin. » « Au pire des jours, comme celui de dimanche, précise Michel Saidah, directeur du Dragon Fly, les gens sont venus non pas pour faire la fête, mais pour se retrouver et communiquer. Pour partager deux heures de répit, une parenthèse dans la guerre. C’est la vocation d’un lieu public que d’être un point de rencontre… Nous avons éteint la télévision, qui a connu ses beaux jours durant le Mondial de football, pour ne pas imposer le stress des informations, mais il est évident que les gens ne parlent que de ce qui se passe. » La musique qui s’échappe de tous ces endroits, pudique, est, tour à tour, douce, nostalgique ou très en colère. Un peu comme les consommateurs, imprégnés par cette guerre. Les restaurants, courageux, et plus difficiles à gérer, accueillent eux aussi leurs habitués. La Tabkha à midi, Lô le soir ; Bread, Olio, Goya ou encore Mayrig, qui s’est installé, outre Beyrouth, au Printania, depuis une semaine, servent des repas à midi et le soir. Les menus s’adaptant aux possibilités. L’important est de ne pas baisser les bras, assurent les propriétaires et les clients, dans un élan commun. En fin de parcours, il est presque 21 heures, et comme pour confirmer ce pied de nez à l’ennemi, l’église Saint-Maron célèbre, dans la plus stricte intimité, un mariage ! La mariée était en blanc. Carla HENOUD
Une soirée d’été, de cet été meurtrier, presque ordinaire dans son attente d’un jour meilleur… Nuit noire, éclairée par des lumières fébriles fonctionnant au gré d’un moteur qui s’essouffle. La ville s’organise, fait sa résistance en tentant, à sa façon, de retrouver ses repères d’avant. Le cœur n’est pas à la fête, mais déterminé à donner des leçons de survie...