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Actualités - OPINION

Il restera le silence

Des larmes… J’ai beau tout faire pour les réprimer et ne pas laisser place au désespoir, rien n’y fait : au moindre moment seul, à cause d’une image, d’une pensée ou de quelques mots de solidarité envoyés par des Européens à « L’Orient-Le Jour », je me sens à deux doigts de craquer et je frôle la dépression nerveuse. Israël ou le Hezbollah, l’Iran, la Syrie ou les États-Unis, le Tadjikistan ou l’Espagne, quel que soit le coupable de ce désastre, je n’en ai cure. Tous pareils, et le savoir ne changera rien aux faits. Un jour, les explosions se tairont et les immeubles ne s’écrouleront plus. Soudain, et de la même manière que tout a commencé, tout s’arrêtera. Et alors, il ne restera plus que le silence… C’est ce silence qui m’effraie, plus que les bombes. Le silence des ruines. Ce même silence que l’on trouve dans la solitude des temples de Baalbeck, des vieilles églises centenaires ou d’un château depuis longtemps abandonné. Des vestiges, des reliques d’un autre temps, d’une époque oubliée. Voilà ce qui restera de mon Liban. Le silence de régions entières détruites et vides de leurs habitants. Celui de villes fantômes, des enterrements, des prières et des cimetières. Si au moins les morts pouvaient parler. Le silence de ceux qui ont honte. De ceux qui ne savent que dire. Face à une veuve qui a perdu ses enfants. Ou face à un homme qui a vu sa maison qu’il a tant de fois reconstruite et retapée s’écrouler devant ses yeux. Et qui, devant les débris, se demande si elle a jamais vraiment existé. Ce silence pesant, insupportable, c’est tout ce qui restera. Celui que seuls les sanglots et les cris de douleur brisent, seulement pour le rendre encore plus fort, plus imposant. Celui des familles qui émigrent et jettent un dernier coup d’œil par le hublot, la fenêtre ou le quai vers cette terre qu’elles abandonnent, une boule d’angoisse à la gorge. Celui de ceux qui regardent leurs enfants et ne peuvent leur assurer un minimum de sécurité. Et de ceux qui ne savent de quoi demain sera fait ni comment ils feront pour continuer à vivre. Le silence des larmes qu’ils ravalent et de leur dignité bafouée. Enfin, le silence plus terrible des sifflements des missiles et de leurs chutes assourdissantes. Celui qui met les gens devant le fait accompli. Qui leur laisse le temps de voir, de peser et de ressentir le désastre. Celui avec lequel ils vont patiemment devoir panser leurs plaies et puis compter leurs morts et les enterrer. Déblayer les maisons, à la recherche de proches. Leur silence à eux, qui ne se manifestent plus et dont on est sans nouvelles. Celui de cette petite fille qui regarde ce qui était un jour sa maison et qui retrouve sa vieille poupée dans les débris. De ses parents qui vont récupérer ici ou là une chemise, une couverture ou une chaise qui ont été épargnées. Le silence de ceux qui devront, la mort dans l’âme, reconstruire ce qui a été détruit par autant de bruit. Mais aussi, le silence de ceux qui acceptent leur destin. De ceux qui n’osent protester. Du peuple qui va observer encore une fois ces gens qui se jouent de son avenir, tourner la page comme si rien n’était arrivé. Des familles qui vont encore se laisser abrutir par la même propagande et les mêmes slogans répétés par ceux qui sont la cause de leur malheur. Leur silence à eux, à tous les niveaux, qui se sentent peut-être coupables par la lâcheté de leurs choix, décisions ou leurs votes, mais qui n’oseront pas l’admettre. Et iront encore une fois se réfugier dans leur mauvaise foi. Le silence des responsables de cet État, de ceux que les gens ont élus, qui devront encore une fois se résoudre à laisser passer les choses. Et se faire une raison. Raison d’État, coexistence et paix civile obligent. Le silence des mesures prises, promises ou espérées, mais qui seront vite mortes étouffées. Encore une fois. Enfin, le silence du désespoir et de l’impuissance, comme quand la tempête est passée pour la énième fois et que l’on se rend compte qu’on a survécu, et que maintenant, on ne peut plus que se résoudre à vivre et oublier. En scrutant l’horizon pour peut-être apercevoir les nuages et prévoir la prochaine. Naji KHOURY
Des larmes… J’ai beau tout faire pour les réprimer et ne pas laisser place au désespoir, rien n’y fait : au moindre moment seul, à cause d’une image, d’une pensée ou de quelques mots de solidarité envoyés par des Européens à « L’Orient-Le Jour », je me sens à deux doigts de craquer et je frôle la dépression nerveuse.
Israël ou le Hezbollah, l’Iran, la Syrie...