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Actualités - OPINION

Perspective Le parti chiite appelé à faire un choix entre les calculs régionaux à portée communautaire et les impératifs de l’équilibre libanais Pour le Hezbollah, l’heure de vérité a sans doute sonné

«L’heure est à la solidarité. Nous discuterons après … » Tel est le leitmotiv que le Hezbollah ne cesse de nous asséner depuis l’opération qu’il a lancée contre le nord d’Israël le 12 juillet, déclenchant ainsi le déchaînement dévastateur de l’aviation israélienne. La manœuvre frôle le cynisme. Elle est, à la limite, insultante à l’égard de l’opinion libanaise et des milieux politique locaux : rien de plus facile en effet que de prendre de manière unilatérale l’initiative d’entraîner le pays dans une aventure militaire aux retombées incalculables et de dire, une fois le fait accompli imposé à toute la population, qu’il est inopportun de dénoncer « dans les circonstances présentes » une telle décision à caractère autocratique. À l’ombre de la guerre sans merci déclenchée par l’État hébreu contre le Liban en riposte à l’attaque du Hezbollah, la solidarité est, certes, de mise. Mais il est essentiel d’établir sur ce plan une nette distinction entre la solidarité nationale avec les réfugiés et les victimes des agressions israéliennes, d’une part, et la solidarité politique avec le parti intégriste, d’autre part. La première est un devoir qui ne saurait faire l’objet d’une quelconque réserve, alors que la seconde risquerait d’hypothéquer gravement le devenir du pays. La mobilisation de toutes les potentialités internes est, à l’évidence, impérative pour faire face aux destructions massives et à l’exode d’une grande partie de la population du Liban-Sud et de la banlieue de Beyrouth. Mais dans le même temps, il est tout aussi crucial de tirer dès à présent, et ouvertement, les leçons de l’attitude aventurière du Hezbollah, d’autant que la solution à la crise actuelle fait déjà l’objet de discussions préliminaires à l’échelle internationale et au Palais de Verre, à New York. Un retour au statu quo ante, à la situation privilégiée que s’était octroyée le Hezbollah et qu’il imposait manu militari à l’ensemble des Libanais sous couvert de « résistance », est désormais inconcevable, inacceptable. Le Premier ministre Fouad Siniora l’a relevé hier en des termes à peine voilés en soulignant que le gouvernement cherche à aboutir à un règlement « définitif et durable » qui permettrait au pouvoir central d’imposer son autorité sur « tout le territoire libanais » (entendre au Liban-Sud et la banlieue, bastions du Hezbollah) de manière à éviter au pays d’être replongé une nouvelle fois « dans une situation semblable » à celle qui a été provoquée par l’attaque menée par le Hezbollah le 12 juillet. Admettre qu’un seul parti, ou même une seule communauté, se donne le droit de d’entraîner le pays dans la guerre – et, de surcroît, sans aucun enjeu libanais crucial – dépasse tout entendement. Les responsables de la formation intégriste affirment que l’État hébreu préparait en tout cas son offensive contre l’organisation chiite. Des sources occidentales autorisées (dont notamment l’ambassadeur d’Allemagne à Beyrouth) auraient même averti récemment le gouvernement libanais que toute provocation à la frontière avec Israël risquerait de déboucher sur une grave conflagration militaire. Pourquoi donc, dans un tel contexte, avoir offert à l’État hébreu un prétexte en or pour lancer son attaque ? Quelques heures après l’enlèvement des deux soldats de Tsahal en territoire israélien et les tirs concomitants de katiouchas contre le nord d’Israël qui ont accompagné cet enlèvement, Hassan Nasrallah soulignait que le but de l’opération était simplement d’aboutir à un échange de prisonniers. C’était de la part du sayyed un peu trop simplifier les choses en n’exposant à l’opinion publique que la (très petite) partie visible de l’iceberg. Les représailles à l’action en tout point similaire, menée il y a près d’un mois par les groupuscules palestiniens à Gaza, ainsi que les mises en garde répétées des milieux occidentaux à Beyrouth ne laissaient en effet planer aucun doute sur la nature et l’ampleur de ce que serait la réaction israélienne. De ce fait, et en l’absence d’un enjeu libanais de poids qui mériterait d’entraîner le pays dans la guerre, le casus belli du 12 juillet n’a pu être motivé que par un agenda iranien ou irano-syrien, surtout lorsque l’on sait que la doctrine du Hezbollah impose que les grandes décisions stratégiques, plus particulièrement l’option de guerre ou de paix, doivent être obligatoirement du seul ressort d’un guide suprême religieux, le « walih el-fakih », qui n’est autre dans le cas présent que Khamenei. Indépendamment de la nécessaire solidarité avec les personnes déplacées, cette conflagration imposée aux Libanais pour servir une raison d’État à l’évidence étrangère remet sur le tapis avec acuité une série d’interrogations sur l’allégeance, les véritables motivations, le projet politique, voire le projet de société du Hezbollah. Une réflexion profonde, cartes sur table et sans complaisance, sur le rôle et la place que devrait occuper désormais le parti chiite sur l’échiquier local s’impose, certes, mais dans l’immédiat, et à la veille de la conférence internationale sur le Liban qui devrait en principe se tenir mercredi à Rome, c’est le dossier de l’arsenal militaire et de l’existence même de la Résistance islamique qui doit être tranché sans délai. Les développements de ces derniers jours, et une comparaison des pertes respectives subies par le Liban et Israël ont apporté la preuve que la théorie de « l’équilibre de la terreur », avancée par le Hezbollah pour expliquer son refus de livrer ses armes, n’est qu’un pur leurre. De surcroît, le litige sur les fermes de Chebaa (que la Syrie empêche de régler) et la présence de trois prisonniers libanais dans les geôles israéliennes ne constituent pas un contentieux difficilement surmontable et ne justifient donc pas le maintien d’une milice armée jusqu’aux dents qui fait obstruction au rétablissement de l’autorité du pouvoir central au Liban-Sud et qui, surtout, « prend tout le pays en otage », comme l’a souligné le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, dans son discours devant le Conseil de sécurité, jeudi dernier. L’abcès a été crevé. Le prix payé par les Libanais est excessivement lourd. Un retour au statu quo ante risquerait aujourd’hui de saper gravement les fondements de notre équilibre sociocommunautaire. Pour le Hezbollah, l’heure de vérité a sonné. Plus que jamais, il est appelé aujourd’hui à faire un choix, sans doute difficile, entre les calculs régionaux à portée fondamentalement communautaire et les impératifs de l’édification d’une nation libanaise sociologiquement équilibrée. Michel TOUMA
«L’heure est à la solidarité. Nous discuterons après … » Tel est le leitmotiv que le Hezbollah ne cesse de nous asséner depuis l’opération qu’il a lancée contre le nord d’Israël le 12 juillet, déclenchant ainsi le déchaînement dévastateur de l’aviation israélienne. La manœuvre frôle le cynisme. Elle est, à la limite, insultante à l’égard de l’opinion...