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SPECTACLE - « Le Mahabharata » de Peter Brook sur Arte Un grand poème épique du monde

Les mordus libanais de théâtre auront été sans doute comblés de bonheur en regardant Arte, sur leur petit écran, tard dans la nuit de mercredi. À tous ceux qui avaient eu le plaisir de voir au Monnot Sizwe Banzi est mort de Peter Brook, sur les townships d’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid, c’était l’occasion rêvée de suivre une pièce qui a cartonné des années durant en Europe, du codirecteur du théâtre des Bouffes du Nord et de l’ingénieux metteur en scène de Timon d’Athènes de Shakespeare. Il s’agissait, bien entendu, de la pièce Le Mahabharata (littéralement signifiant La grande Inde...) qui fit couler beaucoup d’encre, courir beaucoup de spectateurs et soulever l’enthousiasme de la presse et du grand public. Œuvre singulière inspirée de la littérature de spectacles hindoue, une sorte de grand poème épique du monde où l’Inde est fastueusement célébrée dans une conception dramaturgique d’une grande puissance d’évocation, d’une superbe sobriété dans les détails et d’un lyrisme grandiose où le sens du réalisme n’est guère exclu. C’est un film original et attachant qu’en a tiré le célèbre metteur en scène, qui en assume la direction, sans oublier que le septième art lui doit Moderato Cantabile (1960) et Le seigneur des mouches (1963). Aux confluents de tous les courants et expressions modernes, allant de la musique aux arts plastiques, en passant par les feux de la rampe et les arcanes de la littérature, Peter Brook l’éclectique, né sous le vital besoin du changement, a incendié en 1985, à Avignon, le monde des planches en donnant à voir cette œuvre aux images somptueusement exotiques et au verbe oscillant entre philosophie hindoue, sens du religieux et sagesse populaire universelle. Vingt et un ans plus tard, on retrouve Le Mahabharata plus jeune et séduisant que jamais dans sa mise en scène. Un succès qui n’a pas d’âge et traverse avec superbe l’écran du temps. Pas une ride pour cet ample poème marqué par la vertu et les interrogations existentielles fondamentales des grandes sagesses orientales… Trois dieux, Rama, Shiva et Vishnou, pour une narration où la légende, l’épopée et les métaphores aux multiples embranchements s’imbriquent étroitement. Multiplicité de personnages royaux et divins qui sont placés sous le signe et le symbole du chiffre cinq. Cinq continents, cinq sens…. La vie, la mort, la possession, le détachement, le pouvoir, la cupidité, la jalousie, les jeux de hasard, la trahison, l’abandon, l’histoire du monde, complexe réseau dans ses immuables grandes lignes, se trouve dans cette éloquente agitation guerrière qui captive de bout en bout. Un travail de maître D’émouvants gestes d’amour en batailles forcenées, de la simplicité la plus nue aux violences les plus outrancières, Brook conduit de main de maître le cortège de ses images. Un grand magicien, un conteur éblouissant qui a le talent et le don de savoir faire vivre ses personnages campés par d’excellents comédiens de tous horizons et de toutes les couleurs. Vingt comédiens originaires de tous pays qui composent son centre, recherchant un contact permanent et vivant avec le public dans un dépouillement absolu. Dans une cave envahie par le sable, Ganesha, dieu à tête d’éléphant, ouvre les pages d’un grand livre d’où s’échapperont, telles des images colorées et vivantes, les traversées humaines du prince Bichma, d’Amba, de Kunti, de Ghandari, de Hidimbi…Et défilent , en anglais, des phrases qui retiennent l’attention : « Si tu as peur de la mort, pourquoi as-tu reçu la vie ?.... Tous les hommes naissent dans l’illusion. Comment trouver la vérité ?... La mort est un tigre caché dans les herbes… Le pouvoir passe vite…» Intense poésie d’un discours recourant aux symboles pour transcender le quotidien et tenter d’expliquer ce qui dépasse l’être dans son « fatum ». On admire ici les plans et les éclairages des personnages aux maquillages parfois accentués, sans être grimaçant, aux attitudes altières, sans emphase, aux gestes majestueux, sans fausse théâtralité, aux accents savamment dosés, sans inutile sophistication, à la voix travaillée, sans forcer le ton. Costumes magnifiques de l’Inde ancienne pour un décor aux tentures souvent rouges, se mariant à une profusion de tapis d’une grande finesse, avec flambeaux, torchères et chandeliers illuminés. Tout y est d’une admirable justesse pour une sorte de réalisme total, une magie envoûtante où le verbe, le geste, le jeu et l’attitude redonnent au théâtre la nécessité qu’il a perdue. Pour tous ceux qui n’ont pu voir Le Mahabharata sur scène, ce film, tout en étant une éclatante compensation, était un vrai régal. Malgré sa programmation bien tardive. Cela vaut bien quelques cillements pour des paupières lourdes guettées par le sommeil… Edgar DAVIDIAN

Les mordus libanais de théâtre auront été sans doute comblés de bonheur en regardant Arte, sur leur petit écran, tard dans la nuit de mercredi. À tous ceux qui avaient eu le plaisir de voir au Monnot Sizwe Banzi est mort de Peter Brook, sur les townships d’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid, c’était l’occasion rêvée de suivre une pièce qui a cartonné des années durant...