Rechercher
Rechercher

Actualités

Souvenirs, souvenirs

Les festivaliers d’Héliopolis sont unanimes. «Parler des moments forts du festival est très difficile. Tous les concerts, les spectacles, les représentations étaient des moments fabuleux», disent-ils. Mais ressurgissent aussitôt ces moments magiques, ces soirées inoubliables qui restent gravées dans la mémoire. Flash-back avec quelques témoignages. – Longtemps bénévole, puis membre du comité et présidente de la commission musicale, Mona Joreige se souvient de deux soirées particulièrement mémorables: d’abord le récital de June Anderson à l’intérieur du temple de Bacchus. «Cette soirée du 29 juillet 1999 était d’une beauté extraordinaire. La diva Assoluta a enivré l’auditoire de sa voix et de sa présence. L’auditoire retenait son souffle devant une prestation remarquable et surtout la limpidité de sa voix et la pureté de l’acoustique. Accompagnée au piano par Jeff Cohen, la cantatrice a chanté un répertoire lyrique assez étendu allant de Cesti à Bernstein, en passant par Scarlatti, Paisiello, Rossini, Verdi, Liszt, Bizet, Poulenc et Weill. Moments merveilleux.» Autre concert inoubliable, toujours dans ce temple dédié au dieu du vin où tout spectacle et événement artistique revêtent brusquement un caractère particulièrement imposant et intimiste. «C’était La Symphonie des adieux, de Haydn, magie absolue d’une musique et d’un lieu illuminé aux chandelles. Et, finale en apothéose, chaque musicien qui partait en éteignant sa bougie.» Joreige se souvient également des pierres millénaires qui tremblaient lors des concerts d’Ella Fitzgerald et d’Oum Kalsoum. De la pleine lune qui officiait à la tirade... de la lune de Cyrano de Bergerac, récitée par Jean Piat. De la réaction inattendue et si éloquente de Rudolf Sirken, l’un des plus grands poètes de l’histoire du piano. «À la vue du site de Baalbeck, l’incomparable pianiste qui accompagnait le New York Philharmonic Orchestra s’est jeté par terre, la tête entre les mains. Mais son jeu lumineux, qualifié parfois de “solaire”, a fait merveille à Heliopolis.» – Wasek Adib, festivalier assidu et membre de la commission musicale, n’oubliera jamais pour sa part ce couple mythique Margot Fonteyn et Rudolf Noureïev. Casque de jais, yeux immenses, plastique aérienne, Margot Fonteyn avait dansé en 1961 le fameux acte III du Lac des Cygnes avec la troupe du Royal Ballet de Londres. Trois ans plus tard, elle revenait à Bacchus avec Noureïev et le ballet Raymonda sur une musique de Glazounov. De ces moments magiques restent les souvenirs de ceux qui ont vu un soir ces oiseaux inouïs de grâce transcender les marches de Jupiter. Le mélomane a également été particulièrement ému lors du concert donné par l’Orchestre symphonique de Radio Stuttgart sous la baguette de Georges Prêtre et qui a joué la 9e Symphonie de Beethoven. «Événement doublement important à cause de l’esprit de fête qui régnait ce soir-là avec les 106 musiciens, les 120 choristes de la fondation Podium Junger Musiker et quatre solistes. Mais aussi parce que cette musique universelle marquait la renaissance du festival.» Pour Adib, la magie de Baalbeck, «c’est l’ambiance, le temple lui-même, la beauté du ciel et le répertoire très choisi. La plupart des spectacles sont très éducatifs et non pas commerciaux.» – De nombreux festivaliers nostalgiques expriment leur blues des nuits d’antan sur Internet. Gaby Élia, membre de la communauté CyberWadi, propose un témoignage aussi touchant que vivant, dont nous proposons des extraits: «J’arrive sur le site vénérable. Il y a un va-et-vient incroyable partout. Dans un coin, il y a même un chameau chamarré de ses plus beaux atours. Les touristes se bousculent pour poser et prendre des photos avec ce ruminant qui les regarde d’un œil blasé. Un peu plus loin, un “cafetier” ambulant, comme un robot antique, claquette ses tasses pour attirer la clientèle. Je n’ose pas mettre le pied fermement sur cette terre qui a connu les Romains. Je marche avec respect. Le temple m’écrase par sa présence majestueuse. La nuit est très bleue et éclairée par une pleine lune éclatante de blancheur qui jette des ombres aussi définies qu’en plein jour... Les lumières s’éteignent, le spectacle commence par une dabké... Durant l’entracte, je remarque plusieurs têtes levées qui regardent en l’air. Je les imite et je suis bouche bée devant le spectacle naturel qui s’ouvre à moi: il y a une éclipse lunaire en ce moment même. Je n’en reviens pas! La lune est déjà à moitié cachée et pourtant elle éclaire autant qu’auparavant le temple et les alentours. Tout le monde fait des commentaires. Chacun raconte sa petite histoire d’éclipse, on oublie qu’on ne se connaît pas du tout. L’audience ne fait plus qu’une unité et se résigne, de bonne humeur, à attendre la disparition totale de la lune. Bientôt on ne voit plus qu’un anneau de lumière. C’est un spectacle saisissant. L’obscurité nous enveloppe. Personne ne bronche. Dans le silence presque religieux, tout à coup, on entend retentir des coups de fusils, des bruits de pétards. Des feux d’artifice se montrent à l’horizon, offrant un arrière-plan surréaliste aux colonnes séculaires qui nous entourent. On m’explique que la coutume veut qu’on fasse beaucoup de bruit, pour effrayer le Hout (le dragon) qui est en train d’avaler la lune. Le vacarme continue jusqu’à ce que la lune réaparaisse et nous fait un clin d’œil amical. Tout le monde est de nouveau apaisé... Tout à coup, les spectateurs retiennent leur souffle. Les lumières s’éteignent, sauf le projecteur qui poursuit la personne entrant en scène. C’est une femme, très petite de taille, vêtue de noir. Comme un tonnerre, les applaudissements éclatent de toute part. C’est Feyrouz. Dès la première note, la minuscule personne sur scène prend une ampleur surhumaine. Elle chante une mélopée nostalgique, Zourouni Koulle Sana Marra..., qui nous remue jusqu’aux entrailles. Quand elle finit sa chanson, les spectateurs sont tellement émus par sa voix qu’ils restent un moment dans un silence suspendu, pour laisser durer la magie une seconde de plus. Puis les applaudissements explosent... Le public refuse de laisser cette musique s’éclipser et fera tout le tapage nécessaire pour avoir une autre chanson et revivre, encore une fois, ce moment miraculeux.» – Nayla de Freige: «Mon premier spectacle est une pièce de Racine, je devais avoir 10 ans. J’avais lu la pièce pendant un mois. Mais ce soir-là, je luttais contre le sommeil. On n’oublie pas une première fois.» L’émotion est par rapport à nos souvenirs d’enfance, à l’interprétation des autres et par rapport au vécu de chaque année. «Je suis relativement jeune. J’ai la nostalgie de mes propres souvenirs. Mais j’en ai tellement entendu par May Arida, Madeleine Hélou, Souad Najjar, Aimée Kettaneh, Fouad Bizri, tous ces gens qui ont accompagné le festival. On vit le passé par rapport à leurs expériences. Comme je suis chargée de communication, j’ai souvent rencontré des gens qui ont vraiment vécu ce festival. Leurs souvenirs parfois se confondent avec les nôtres.» Page réalisée par Maya GHANDOUR HERT Photos tirées du livre «Baalbeck, les riches heures du festival» (Éditions Dar an-Nahar)
Les festivaliers d’Héliopolis sont unanimes. «Parler des moments forts du festival est très difficile. Tous les concerts, les spectacles, les représentations étaient des moments fabuleux», disent-ils. Mais ressurgissent aussitôt ces moments magiques, ces soirées inoubliables qui restent gravées dans la mémoire. Flash-back avec quelques témoignages.
– Longtemps bénévole, puis...