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Actualités - OPINION

Entre Constitution libanaise et résolution onusienne

Les propos de Saad Hariri au Sénat français – repris dans l’article du correspondant de L’Orient-Le Jour sous le titre : « Hariri : “Que Lahoud assume les conséquences des propos qu’il a tenus contre Chirac il y a deux mois” » – appellent un certain nombre de commentaires. Tout d’abord, une telle réflexion est pour le moins étonnante, puisque Saad Hariri semble dénoncer Chirac comme étant à l’origine de l’intrigue roumaine, alors que l’on notera que la France continue de déclarer qu’il s’agit de « la décision prise par la Roumanie ». On se demande sincèrement quel intérêt Jacques Chirac peut bien avoir à s’immiscer autant dans les affaires intérieures libanaises, alors que son gouvernement s’écroule, que sa popularité s’effondre et que son « poulain » pour la succession est en bien mauvaise posture. Le chef de l’État français ne semble pas non plus mesurer le danger pour la francophonie de systématiquement personnaliser la relation entre la France et le Liban, surtout lorsque cela irrite de plus en plus une grande majorité de Libanais francophiles. Sans compter que, dans ce dossier, les aspects confessionnels prennent de plus en plus d’ampleur. Quels que soient les sentiments que pourrait inspirer aux uns et aux autres la personne du président libanais, il y en a un que beaucoup (comme moi) répugnent à éprouver : c’est le manque de respect de la Constitution ainsi que des lois (surtout ces derniers jours) et de la présidence, en tant qu’institution. Il y a des règles et, contrairement aux décisions politiques, celles-ci ne peuvent prêter à confusion. Si l’on juge que la présence à la tête de l’État d’Émile Lahoud est illégitime, une telle illégitimité peut difficilement être fondée sur la résolution 1559 et doit l’être en application de la Constitution et des lois libanaises. La résolution 1559 du 2 septembre 2004 stipule que le Conseil de sécurité, « ayant à l’esprit l’approche d’une élection présidentielle au Liban et soulignant qu’il importe qu’elle soit libre et régulière, et se déroule conformément à des règles constitutionnelles libanaises élaborées en dehors de toute interférence ou influence étrangère (…) « 5. Se déclare favorable à ce que la prochaine élection présidentielle au Liban se déroule selon un processus électoral libre et régulier, conformément à des règles constitutionnelles libanaises élaborées en dehors de toute interférence ou influence étrangère ». Il est donc étonnant qu’en déclarant, concernant le président Lahoud : « Peut-on imaginer qu’il serait accueilli favorablement, surtout que la résolution 1559 ne reconnaît pas la prorogation du mandat présidentiel ? Le Liban doit respecter la Constitution », M. Saad Hariri commet une double erreur. Premièrement, la résolution 1559 ne se prononce pas sur la prorogation du mandat de Lahoud, contrairement, d’ailleurs, au Courant du futur qui s’était prononcé en faveur de celle-ci, pendant que d’autres s’abstenaient courageusement de violer la Constitution. À supposer que la prorogation du mandat présidentiel ne soit pas reconnue par la résolution 1559 (quod non), il serait extrêmement simple d’obtenir le départ d’Émile Lahoud. En effet, selon le principe de la supériorité des normes internationales sur les normes internes, la résolution 1559 du Conseil de sécurité l’emporterait sur notre Constitution. Or, cela n’est absolument pas le cas, sans quoi cet argument aurait certainement déjà permis d’annuler la prorogation du mandat présidentiel. À cet égard, il est intéressant de noter que contrairement à tous les autres points où elle « demande », la résolution précise bien dans le point 5 relatif à la question de l’élection présidentielle qu’elle « se déclare favorable ». Ce n’est pas une coïncidence, mais justement une application de ce fameux principe de « non-ingérence ou de non-interférence » dans les affaires intérieures d’un pays qui s’applique aussi aux Nations unies. Il suffit d’ailleurs de lire la déclaration du Quai d’Orsay pour noter que celui-ci ne va pas aussi loin que Saad Hariri, puisqu’il se contente d’une déclaration floue sur « la cohérence » entre les « positions » prises par les Nations unies et la francophonie. Par conséquent, à défaut d’une règle internationale supérieure contraire, c’est bien la Constitution libanaise qui doit primer. En outre, s’il est vrai que le maintien en place de Lahoud pour une période de trois ans votée par le Parlement, sous l’influence des Syriens (exception faite du bloc Joumblatt et de Kornet Chehwane), est contraire à l’esprit de la résolution 1559, celle-ci ne constate pas l’illégitimité de cette élection et a fortiori ne demande pas à la communauté internationale de boycotter la présidence libanaise et de la remplacer par le Premier ministre comme légitime représentant du Liban, en violation de la Constitution libanaise. Lorsque les parties au dialogue national ont décidé de clore le débat de la présidence et d’admettre le maintien de Lahoud à Baabda, elles ont implicitement accepté de donner une légitimé à leur décision. La norme à respecter dans ce cas précis est la Constitution libanaise et certainement pas une vague déformation des termes et effets de la résolution 1559. Ce qui nous amène à la deuxième erreur de Saad Hariri, lequel se demande si Lahoud sera accueilli favorablement à Bucarest. Tout d’abord, la question de l’accueil du président libanais doit être distinguée de celle de l’accueil de la personne du président. C’est d’ailleurs la position du Quai d’Orsay, qui déclare que « ce n’est pas une personnalité qui est en cause ». Si donc ce n’est pas une personnalité qui est en cause, l’invitation doit être envoyée à la présidence conformément à la Constitution, et il appartient à la personne du président de décider si sa présence est perçue favorablement ou pas, et le cas échéant mandater quelqu’un. Il n’existe d’ailleurs pas de règle de droit internationale prévoyant la possibilité de ne pas respecter la Constitution d’un État de peur que son représentant légitime ne soit pas « accueilli favorablement » par ses pairs. Enfin, lorsque la France et la Roumanie décident de ne pas inviter la présidence de la République libanaise, elles sont en contradiction avec l’esprit de la résolution 1559 qui demande le respect « des règles constitutionnelles libanaises » et la non-« interférence ou influence étrangère ». Le gouvernement français et en particulier Chirac connaissent très bien le contexte politique libanais, et en particulier la question de la présidence. En jouant le jeu d’un parti, ils violent ce principe. Mais surtout, ils prennent le risque de personnaliser la relation franco-libanaise ou encore de se tromper de camp. Georges CHEBIB

Les propos de Saad Hariri au Sénat français – repris dans l’article du correspondant de L’Orient-Le Jour sous le titre : « Hariri : “Que Lahoud assume les conséquences des propos qu’il a tenus contre Chirac il y a deux mois” » – appellent un certain nombre de commentaires.
Tout d’abord, une telle réflexion est pour le moins étonnante, puisque Saad Hariri...