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Actualités - CHRONOLOGIE

CONCERT - Le prodigieux pianiste à l’amphithéâtre Aboukhater (USJ) Féeriques «fantaisies» par Abdel Rahman el-Bacha

Séjour éclair à Beyrouth et musique en profondeur avec Abdel Rahman el-Bacha. Un fastueux programme exclusivement consacré aux «fantaisies». Chevauchant en toute aisance trois siècles, bousculant avec un doigté infini les horizons européens, concoctant avec un souverain savoir-faire une sélection de partitions splendides, passant en toute harmonie d’un univers à l’autre, d’une fantaisie à une autre, sans coup férir, voilà le prodigieux pianiste, enfant du pays du Cèdre, devant son clavier à l’éloquence absolue. Les fantaisies, domaine de l’imaginaire, du ludique, du grave, de la liberté, du rêve, des sentiments que nul n’embrigade ni ne domestique, sont le vent, à la fois imperceptible et fort, mugissant et caressant, colérique et tendre, d’un clavier habité d’une indicible féerie… Un singulier et brillant menu où ont résonné, dans un choix attestant vaste culture musicale et sens du plaisir de faire et d’écouter de la musique, des pages de Mozart, Beethoven, Schumann, Chopin, Mendelssohn, Scriabine, de Falla et Balakirev. Tel un grand livre ouvert où Abdel Rahman el-Bacha se promène en solitaire inspiré, lui seul détenteur des clefs de ces pages qui ne s’ouvrent que sous l’ordre de ses sésames. Magnifique promenade allant des sentiers du rêve du génie de Salzbourg aux scintillements et tourmentes des romantiques pour finir avec des accents russes à la modernité déjà si classique… Frac noir, chemise blanche à col Mao, Abdel Rahman, d’un calme olympien, légèrement souriant mais parfaitement concentré, est devant les touches d’ivoire. Ses doigts, en effleurant les notes, vont soulever des tempêtes, faire frissonner les ailes des archanges, dessiner des sourires, effacer une larme qui roule sur une joue chaude et ouvrir toutes grandes les délicieuses géhennes de volcans enchanteurs… Premières mesures déjà de la Fantaisie en do mineur K475 de Mozart. Narration un peu grave pour l’aérien prodige de Salzbourg sur fond d’une rêverie insaisissable, un peu boudeuse… Avec une mélodie fluide qui s’infiltre furtivement et mord en toute douceur la pointe du cœur… Surtout ces arpèges perlés en pure nacre. Suivent les humeurs changeantes du maître de Bonn avec la Fantaisie op. 77. Beethoven avec ses phrases mordantes et sa passion dévorante. Premières phrases rapides et presque agressives pour un discours à la véhémence constante. Pour conclure, sur une chute tranchante, quasi abrupte, adroitement livrée par un pianiste aux aguets et service de toutes les fantaisies d’un compositeur… Schumann entre cri et plainte, détermination et abandon, colère et douceur avec ses trois Fantaisiestucke op. 111. Et place au prince du clavier avec une œuvre d’un ténébreux romantisme. Épanchements d’une poésie ardente de Frédéric Chopin avec cette somptueuse Fantaisie en fa mineur op. 49. Mélancolie du pèlerin polonais à travers les méandres d’une narration lente, presque majestueuse. Une voix venue d’ailleurs qui dicte sa loi et sa beauté solaire par-delà les chromatismes enfiévrés et les accords riches qui plongent l’auditeur dans des profondeurs insoupçonnées… Une œuvre magnétique, envoûtante comme une bacchanale, restituée avec un talent exceptionnel. Lyrisme et langage moderne Petit entracte et reprise avec le plus élégant et raffiné des musiciens: Félix Mendelssohn. Sensibilité à fleur de peau pour une œuvre tout en nuances et volutes légères, presque diaphanes. Ondulante, habitée de certains frémissements aériens, d’un rythme particulier, la phrase mendelssohnienne, à travers cette Fantaisie en fa dièse mineur op. 28, brille d’un éclat unique. Des steppes de la Russie profonde émerge cette déroutante sonate, Fantaisie en sol dièse mineur op. 19, de Scriabine. Déroutante, car elle est le porte-parole d’un certain modernisme au pays des tsars tout en respirant un air, une vigueur, une vitalité, une stature parfaitement russes. Alliant originalité d’un langage pianistique neuf et ne renonçant pas à certains effets à la russe, cet opus, d’un séduisant post-romantisme, a plus d’un accord et d’un rythme accéléré pour subjuguer l’auditeur et le garder amoureusement captif. Et voilà que du pays de Lorca surgit cette ensorcelante cantilène aux accents ensoleillés et d’un farouche ibérisme. Embardées rebelles, comme un coup de hanche ou de talon d’une danseuse flamenco, pour une musique qui renvoie à une âme andalouse, foncièrement hantée par l’esprit du feu et des gitans… De Falla avec la Fantasia Baetica fait revivre un flamboyant lyrisme ibérique entre mantille et eau-de-vie, entre rose baccarat aux lèvres, cheveux noir de jais, regards de braises et Carmencita ivre de liberté… La musique a le pouvoir de tout suggérer, surtout dans l’illimité d’une fantaisie. Pour conclure, la saisissante, provocante et célèbre Fantaisie orientale: Islamey, de Mili Aleseïevitch Balakirev, authentique cheval de bataille des pianistes virtuoses. Mais que Abdel Rahman el-Bacha se rassure, car son talent de pianiste a ébloui déjà l’auditoire dès les premières incartades imaginatives mozartiennes… Mais pour en revenir à Balakirev, voilà dans un brio incroyable, esprit de rénovation dans le sillage de Glinka et sauvegarde du culte sacré d’un nationalisme porté aux pavois. Russe dans son élan fou, sa vélocité, son tempérament de feu, ses éclats rougeoyants est cette œuvre déchaînée, d’une rare incandescence. Standing ovation d’un public certes bien sélect, mais surtout bien peu nombreux. D’habitude les concerts de Abdel Rahman el-Bacha font salle comble. La faute est sans doute au football car tout Beyrouth, désert, est vissé devant son écran télé! Le foot vs la culture? Vu les pronostics, cette dernière a peu de chance de gagner… En bis, le pianiste a offert au cercle d’amis et de mélomanes une œuvre de sa composition, en hommage à la mémoire de son père, portant le titre de Chant andalou. Après le déluge de notes qui a empli la salle, voilà un chant pénétrant, d’une obsession tranquille et tendre. Un lyrisme ample, imprégné d’une grande affection comme un regard perdu sous un ciel ouvert… Un grand moment où la musique est bien plus qu’un plaisir éphémère. Edgar DAVIDIAN
Séjour éclair à Beyrouth et musique en profondeur avec Abdel Rahman el-Bacha. Un fastueux programme exclusivement consacré aux «fantaisies». Chevauchant en toute aisance trois siècles, bousculant avec un doigté infini les horizons européens, concoctant avec un souverain savoir-faire une sélection de partitions splendides, passant en toute harmonie d’un univers à l’autre, d’une...