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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - « Sizwe Banzi est mort » dans une mise en scène brillamment dépouillée au Monnot Le triomphe de la vie avec Peter Brook

Moment théâtral très attendu qui démarre pourtant avec un bon retard de quinze minutes sur l’horaire annoncé. Mais pourquoi donc, même les théâtres qui se veulent élitistes n’arrivent-ils jamais à commencer à l’heure ? Pour une inexorable ponctualité et le respect du public, il faut de toute évidence se référer au Bustan où, en ce domaine, jamais il n’y a une entorse. Cela dit, un grand maître de l’univers des planches a donné à voir une de ses œuvres au théâtre Monnot. Il y a déjà sept ans, en ces mêmes lieux et sous la même flaque de lumière, on avait déjà applaudi, heureux concours de circonstances, l’émouvante pièce La bête sur la lune d’Irina Brook, sa fille. Aujourd’hui, le bonheur de retrouver le père, Peter Brook, un octogénaire plus fringant de créativité et de jeunesse d’esprit que le plus enthousiaste jeune loup de l’univers du théâtre. Au programme Sizwe Banzi est mort d’Athol Fugard, John Kani, Winston Ntshona, dans une excellente adaptation française de Marie-Hélène Estienne. Ce géant du théâtre en signe la mise en scène brillamment dépouillée, débordante d’intelligence, pétrie de clins d’œil malicieux au public, grouillante d’inventions scéniques originales, habitée d’un rythme à la fois nerveux et équilibré, menée tambour battant, portée à la défense de la dignité humaine et parlant, surtout, avec esprit et humour, du triomphe de la vie. Cette « vie qui finit toujours par gagner »… Une scène presque nue avec des bouts de cartons kraft pour tout accessoire de décor, un rai de lumière pour sculpter l’espace et deux acteurs formidables : le pétillant et sémillant Habib Dembélé et le massif, impressionnant Pitcho Womba Konga. Il n’en faut pas plus pour voyager sur des rives lointaines, faire rêver, émouvoir et entrer dans le cœur battant des bidonvilles d’Afrique du Sud. Noir de lumière pour un texte sans sophistication, tiré des tripes mêmes du désarroi de vivre et de la misère. Un texte clair, charriant en toute humilité une certaine et très légère poésie, avec des accents parfois ironiquement parodiques. Un texte dénonciateur, aux vérités crûment livrées, axé sur les problèmes de la négritude en Afrique du Sud où, pour (sur)vivre et vaincre l’adversité et la désespérance, on fait appel à la dérision, à l’humour, aux espoirs les plus fous, aux pieds de nez les plus extravagants, les moins attendus, aux comportements les plus surprenants, aux humiliations les plus blessantes et aux trahisons les plus incroyables. Excellent moment de théâtre Une œuvre émouvante dans sa quête d’humanité perdue et qu’auraient aimé sans nul doute Léopold Senghor et Aimé Césaire, illustres précurseurs du réveil culturel du tiers-monde, éminents porte-drapeaux et hérauts de la lutte contre le racisme et le colonialisme. Une histoire banale d’ouvriers qui peinent de manière inhumaine dans les usines, d’un photographe du dimanche un peu hâbleur qui fixe l’expression des gens pour l’éternité, tout en dévoilant un pan de leur vie ainsi que les problèmes identitaires des miséreux, avec des passeports qui traduisent leur quotidien d’insoutenable démuni infernal. Un texte qui invite à la méditation tel ce passage : « On doit comprendre une chose. Nous ne possédons que nous-mêmes. Ce monde avec ses lois ne nous donne rien d’autre que nous-mêmes. Nous ne laissons rien derrière nous quand nous mourons, rien sauf la mémoire de nous. » Sizwe Banzi est mort le jour où il a troqué son identité contre celle de Robert Zouleizima pour accéder au travail et à la légalité… Dur combat quotidien pour affronter un réel surréel de noirceur « dans la grande chambre noire du rêve », comme dit l’un des deux protagonistes, héros vaguement beckettiens en attendant un improbable Godot... Il s’agit là d’un combat forcené et féroce pour arracher un peu de dignité et un sourire à ces sombres événements raciaux qui engloutissent les êtres. Sourd combat pour se dégager de cette inqualifiable misère qui couvre les vivants de ses lugubres et sinistres oripeaux. Une phrase déchirante dans cette pièce quand Sizwe dit à son bonimenteur d’ami Buntu : « Un homme noir pourrait ne pas avoir de problème ? Impossible ! Le problème c’est notre peau ! » Et pourtant, on sait pertinemment et depuis si longtemps que « Black is Beautiful ». Pour ce poignant drame de la négritude, traité avec profondeur, un saisissant sens du réalisme, un respect absolu de « l’autre », une remarquable finesse et un savoir-faire scénique éblouissant, en toute simplicité et dépouillement, en gardant intact le frémissement intérieur des acteurs et le rayonnement de leur âme, Peter Brook a trouvé les mots justes pour exprimer la portée de son œuvre et de son message de fraternité humaine. Il dit : « Sizwe Banzi à Beyrouth c’est juste, et plus que juste. Cette pièce est le reflet des longues années de souffrances subies par le peuple sud-africain pendant l’apartheid, et en même temps elle est l’affirmation d’une vie qui continue malgré tout, et c’est la vie qui finit toujours par gagner. Après une époque déchirante, c’est cette même force qu’affirme aujourd’hui le peuple libanais qui refuse de céder à un destin inacceptable. Je suis sûr que le public du théâtre Monnot partagera avec les acteurs cette histoire où la joie de vivre peut éclairer les pires moments du désespoir. Et pour moi-même, il y a aussi le plaisir secret de venir dans ce lieu où ma fille Irina, avec son spectacle La bête sur la lune a été si chaleureusement accueillie il y a quelques années. » Un bon texte, deux comédiens au-dessus de tout éloge et un grand metteur en scène, c’est cela le vrai théâtre. Sans artifice, ornementation, cris ou minauderies. Un excellent moment où les 90 minutes passent rapidement comme le déclic de la caméra de Styles, le photographe qui s’agite sur les tréteaux ! Une belle leçon de dramaturgie où il est prouvé qu’il suffit du talent, à voix et mains nues pour soulever l’enthousiasme du public. Un magicien Peter Brook ? Mieux que cela, un homme qui croit en la force vive des êtres et de l’humanité. Un brillant et émouvant credo. Edgar DAVIDIAN
Moment théâtral très attendu qui démarre pourtant avec un bon retard de quinze minutes sur l’horaire annoncé. Mais pourquoi donc, même les théâtres qui se veulent élitistes n’arrivent-ils jamais à commencer à l’heure ? Pour une inexorable ponctualité et le respect du public, il faut de toute évidence se référer au Bustan où, en ce domaine, jamais il n’y a une entorse. Cela...