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SEPTIÈME ART - « Terminator, la dernière bataille », un documentaire de Katia Jarjoura Une lecture inédite du printemps de Beyrouth à travers les militants du camp de la liberté

Le printemps de Beyrouth. On a beau en parler, jusqu’aux limites de l’épuisement, voire de l’écœurement, surtout par les temps qui courent. Qu’à cela ne tienne, les pistes d’analyses, elles, paraissent nombreuses et inépuisables. Si nombreuses que certaines d’entre elles ne sautent pas immédiatement aux yeux, surtout celles qui, pour « raison d’État » – c’est-à-dire pour garantir un bon dénouement au printemps de Beyrouth –, ont été jusqu’à présent soigneusement évitées, un peu édulcorées. C’est l’une de ces pistes que Katia Jarjoura a choisi d’explorer dans son nouveau documentaire, intitulé Terminator, la dernière bataille (90 minutes), et dont le décor est le camp de la liberté et les héros des jeunes militants en train de faire l’histoire de la révolution du Cèdre. « Terminator », c’est le surnom d’un militant du Courant patriotique libre, excentrique, kitsch, un peu farceur, un peu rêveur, souvent crâneur, un tantinet militariste, mais juste ce qu’il faut pour que ce ne soit jamais trop sérieux. Un peu attachant, aussi, avec son antenne bluetooth dans l’oreille, la nostalgie qu’il traîne au fond des yeux, ses coups de gueule et ses petites pointes d’ironie sur la vie ou sur la politique libanaise, souvent pleines de bon sens, qu’il lance au détour de chaque phrase... La trentaine, chiite, natif des hameaux de Chebaa, « Terminator » a servi durant la guerre de Libération contre l’armée syrienne sous les ordres du général Michel Aoun, dont il est devenu un défenseur farouche dans un culte du chef qui frise presque l’idolâtrie. Le portrait du général se trouve d’ailleurs dans le petit chalet au bord de la mer qu’il partage avec son colocataire, à Jounieh. En fait, « Terminator » est un militant comme on en retrouve par dizaines dans différents courants libanais. Mais il n’est pas non plus tout à fait comme les autres. C’est d’ailleurs pour cette raison que Katia Jarjoura se décide à le suivre dans un itinéraire de plus en plus intimiste, pour tenter de le pousser dans ses derniers retranchements, là où il cesse d’être le militant « Terminator », redevient Maher (son véritable nom), commerçant dans le secteur des téléphones mobiles, et recouvre sa dimension humaine. Caméra à l’épaule, Katia Jarjoura se lance donc dans une quête initiatique à la recherche de l’homme et de ses blessures derrière la figure publique militante, qui mène sa « dernière bataille » contre l’occupation syrienne. Mais sa quête a immanquablement une dimension politique. Puisqu’à observer la vie commune des jeunes dans le camp urbain de la place des Martyrs, la réalisatrice apprentie sociologue parvient à saisir, derrière l’idéologie patriotique et républicaine qui cimente les différents courants politiques durant la durée du printemps de Beyrouth, les premières fissures, sinon les premières brisures, entre les ennemis d’hier, frères d’aujourd’hui, et adversaires de demain. Le caractère politique de Terminator, la dernière bataille n’est d’ailleurs pas une coïncidence. Le film évolue de manière circulaire, comme un filet qui se referme progressivement sur les jeunes campeurs de la place des Martyrs. Il commence par un flash-back sur la guerre et, plus précisément, sur les affrontements entre Michel Aoun et Samir Geagea dont la conséquence est l’affaiblissement du camp chrétien et l’entrée des forces syriennes, le 13 octobre 1990, au palais de Baabda... et se termine par des bastonnades entre aficionados de Samir Geagea et de Michel Aoun, préfigurant la violence dont nous sommes aujourd’hui témoins au quotidien sur les campus universitaires. Des images filmées discrètement, pour éviter une censure de la part des jeunes, trop soucieux de faire triompher les valeurs républicaines de la révolution du Cèdre pour permettre aux dissensions de paraître au grand jour. Comme quoi tout ce qu’on cherche à tuer et à enfouir de manière artificielle finit par ressurgir, avec plus de violence encore. Le documentaire ouvre ainsi des perspectives de méditation sur la tension permanente entre le renouvellement des élites et le culte des chefs, d’autant qu’il touche au problème jusqu’à présent assez tabou du rapport entre les jeunes militants et leurs leaders absents, en l’occurrence Michel Aoun et Samir Geagea, figures chrétiennes toutes deux victimes de l’oppression syrienne et toutes deux récemment réintronisées au panthéon des chefs. Le film se termine d’ailleurs sur les scènes de liesse des militants du CPL et des Forces libanaises, saluant chacun de son côté, et les uns après les autres, le retour du général Aoun et la libération de Samir Geagea. Avec, en filigrane, la perspective d’un éternel recommencement de l’histoire, comme une triste anecdote. Michel HAJJI GEORGIOU
Le printemps de Beyrouth. On a beau en parler, jusqu’aux limites de l’épuisement, voire de l’écœurement, surtout par les temps qui courent. Qu’à cela ne tienne, les pistes d’analyses, elles, paraissent nombreuses et inépuisables. Si nombreuses que certaines d’entre elles ne sautent pas immédiatement aux yeux, surtout celles qui, pour « raison d’État » – c’est-à-dire...