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Actualités - REPORTAGE

Règles parasismiques, mesures anti-incendie, maintenance des ascenseurs Les Libanais ont cinq ans pour rendre leur habitat conforme aux normes de sécurité

Un décret relatif à la sécurité du bâtiment a été promulgué début 2005. Il est partiellement entré en vigueur et n’attend que les décrets d’application, prévus au courant de l’année. Selon les termes du document, les Libanais bénéficient d’une période de cinq ans afin de rendre leurs immeubles conformes aux normes sécuritaires, prévues dans le décret sur la sécurité publique de mars 2005. Ces normes touchent trois volets principaux : les normes parasismiques, les mesures anti-incendies et les ascenseurs. Le coût de cette « mise à niveau » peut s’avérer élevé, et les modalités de son application ne sont pas encore bien explicitées. Surtout qu’il n’existe aujourd’hui, ni auprès des instances publiques, ministères, administrations indépendantes ou municipalités, ni auprès des organismes privés, un état des lieux concernant les quelque 570 000 immeubles édifiés sur l’ensemble du territoire libanais. Celui de l’Administration centrale de la statistique dénombre les immeubles qui ont besoin de réparation ou qui sont à démolir. Ils s’élèvent à près de 50 000 édifices (selon un décompte fait sur trois périodes 1997, 2000 et 2004, suivant les régions), dont 1 280 rien qu’à Beyrouth (2004 – voir tableaux 2,3 et 4). On ignore toutefois à quel point le restant des constructions est conforme aux normes de sécurité exigées par le décret. Les normes parasismiques Les experts annoncent que seuls les immeubles situés dans la zone Solidere sont construits selon les normes parasismiques, car ils sont sujets à des contrôles sérieux de la part de bureaux de contrôle internationaux. En dehors de cette région, aucun contrôle n’a jamais existé. À noter toutefois que depuis 2005, l’Ordre des ingénieurs exige une étude parasismique afin de donner son aval à tout permis de construire. La demande doit aussi être livrée avec un engagement de la part de l’ingénieur quant à l’application de ces normes telles que prévues dans le décret sur la sécurité publique. Mais les bureaux de contrôle n’étant pas encore désignés, on ne peut être sûr de l’application de cette étude parasismique. À quel point nos constructions résisteraient-elles à une secousse sismique ? Une question qui fait sourire plus d’un expert. L’ampleur de la catastrophe ne peut être mesurée, en l’absence d’études statistiques fiables. Mais Michel Barmaki, président de la branche des architectes à l’Ordre des ingénieurs de Beyrouth, note que l’ingénieur, responsable de tout problème survenant dans son bâtiment, prenait parfois des précautions supplémentaires lors de l’étude, n’étant pas toujours sur le chantier et ne connaissant pas souvent la nature et la source des matériaux utilisés. Ces précautions pourraient-elles néanmoins atténuer l’ampleur d’une éventuelle catastrophe naturelle ? Difficile à confirmer. M. Barmaki explique de même que ce travail est aussi un travail d’État. Or l’État au Liban est quelque peu absent. Il cite comme exemple le tremblement de terre survenu en Roumanie sous Ceausescu et qui avait détruit l’opéra de Bucarest. Le leader roumain a ordonné par la suite que tous les bâtiments publics soient rendus aux normes parasismiques. Les experts estiment le surcoût engendré par une construction selon les normes antisismiques entre 10 et 15 %. Un surcoût qui est loin d’être superflu surtout que le Liban se situe dans une région à activité sismique importante. Le tiers des incendies dans la capitale Mais il n’y a pas que les tremblements de terre qui menacent nos immeubles. En 2005, 1046 incendies domestiques ont été comptabilisés, dont plus du tiers à Beyrouth même, selon les chiffres fournis par la Défense civile (voir tableau 1). La sécurité incendie concerne plusieurs volets, et ne se limite pas uniquement à la simple mise en place d’extincteurs, loin de là. Dans ce cadre, Nabil Moussa, ingénieur spécialiste anti-incendie, employé dans le bureau de contrôle SGS, explique à L’Orient-Le Jour que « lorsqu’on parle de sécurité du bâtiment, il est question avant tout de la sécurité des personnes qui se trouvent dans ce bâtiment, et non de la préservation du bâtiment lui-même ». Il ajoute que le souci premier est donc l’évacuation des personnes qui se trouvent dans l’édifice, et ce en limitant la propagation de l’incendie. Suivant la fréquentation du lieu (immeubles résidentiels, centres commerciaux, hôtels, bureaux, écoles, hôpitaux…) l’étude anti-incendie va prévoir un temps d’évacuation plus ou moins important. Ce temps d’évacuation devra permettre aux personnes de quitter les lieux avant que l’édifice ne s’effondre. L’étude devra aussi permettre d’aménager des issues de secours à l’abri de la propagation des flammes et de la fumée dans l’immeuble. Quant aux extincteurs, ils doivent être adaptés à l’activité du local. On n’utilise pas les mêmes extincteurs dans un dépôt de produits inflammables que dans un bureau… Enfin, l’étude doit aussi tenir compte de la nature des matériaux utilisés dans la construction, certains étant de nature à prendre feu plus rapidement que d’autres. Par ailleurs, les facteurs d’incendie dans un immeuble sont nombreux : chaudières à mazout, gaz, électricité… La présence de dépôts dans les immeubles résidentiels augmente sensiblement les risques de feu. De toute façon, « nul ne peut prévenir le déclenchement d’un incendie », insiste M. Moussa. Mais on doit faire en sorte de limiter ses conséquences. Et ce travail doit être effectué de concert avec l’architecte, que ce soit dans la disposition des escaliers, des issues de secours, ou de l’emplacement des ascenseurs… Quant aux coûts engendrés par ses dispositions anti-incendie, M. Barmaki les estime à 10% du coût total de construction. Il précise néanmoins qu’on peut faire des économies sur le luxe ailleurs, par exemple sur la qualité du revêtement ou sur certains produits utilisés qui ne compromettent en rien la sécurité. M. Moussa va encore plus loin en précisant que le luxe peut faciliter un incendie, comme par exemple l’utilisation excessive de bois dans un appartement. Ascenseur infernal Quant aux ascenseurs, ils doivent suivre des normes très strictes. Vous avez sûrement lu sur au moins un ascenseur une notice gribouillée à la main mettant en garde : « Deux personnes seulement ». Si vous avez le courage de le prendre, à défaut d’avoir celui de gravir six étages, une symphonie diabolique vous accompagnera tout au long des six niveaux, avec une lampe fade qui pend du plafond, oscillant au rythme de l’ascension et qui semble rendre son dernier souffle. Au bout du troisième étage, vous aurez récité quatre fois votre chapelet et au cinquième, vous ne savez plus si l’ascenseur monte ou descend… vous ne cherchez d’ailleurs pas à le savoir. Paula Bou Raad, directrice commerciale de la société Atlas, énumère les raisons qui font que les ascenseurs au Liban ne sont pas conformes aux normes, et donc potentiellement dangereux et défaillants. Elle met l’accent sur la prolifération des « boutiques » qui assemblent des ascenseurs et s’occupent de leur maintenance. Selon elle, l’État doit réglementer ce secteur en homologuant les firmes qui peuvent monter un ascenseur. Mlle Bou Raad est catégorique : pour avoir un bon ascenseur, il faut une bonne étude et de bons composants respectant les normes européennes. L’étude porte sur le nombre d’étages qui doivent être desservis, le nombre d’ascenseurs, leur vitesse, la capacité de chaque ascenseur en fonction du trafic, les dimensions de la fosse et du puits… De plus, les firmes doivent être responsables de la maintenance de leurs propres ascenseurs, et ne peuvent s’occuper de celle d’ascenseurs de marques différentes. Le contrat d’entretien annuel d’un ascenseur comprend des visites mensuelles et un contrat d’assurance pour les utilisateurs de l’ascenseur, habitants de l’immeuble et visiteurs. Les « boutiques » effectuent une concurrence déloyale en proposant des prix très bas, ce qui se répercute sur la qualité de l’entretien et des pièces de rechange proposées. Mlle Bou Raad souligne que certaines firmes très connues ont fermé leurs portes en raison de cette concurrence déloyale. D’autres optent pour des « moyens compensatoires », en refusant par exemple d’enregistrer leurs employés à la CNSS afin de pouvoir réduire les coûts. Sans compter les personnes de mauvaise foi qui se livrent à des pratiques peu orthodoxes et qui vous remplaceront des pièces qui marchent à merveille pour aller les placer chez d’autres… Selon Mlle Bou Raad, il existe au Liban près de 120 entreprises d’ascenseurs, dont une dizaine seulement homologuée par l’État ! Ces trois aspects sont donc réglementés par le décret sur la sécurité publique, qui n’attend que les décrets d’application pour être totalement fonctionnel. Ils devraient être mis au point par une commission à laquelle participent, en plus des instances publiques, des bureaux de contrôle et l’Ordre des ingénieurs. D’ici à six mois, cette commission transmettra les projets de décrets au ministère des Travaux publics puis au Conseil des ministres afin d’être approuvés. Le décret sur la sécurité publique fixe le rôle des différents acteurs dans l’obtention d’une licence et dans le contrôle des constructions. Ces acteurs sont les organismes publics, comme les municipalités ou le service de l’urbanisme, l’Ordre des ingénieurs, les bureaux de contrôle et enfin les assureurs. Le rôle de l’Ordre des ingénieurs M. Barmaki précise que c’est l’Ordre qui est à l’origine du décret sur la sécurité publique. Mais son rôle, précise-t-il, ne s’arrête pas là. L’Ordre est en fait impliqué dans le processus même d’obtention d’une licence. Ainsi, le constructeur doit lui soumettre un certain nombre de documents comme le plan de masse, l’étude topographique, l’étude parasismique… et une déclaration écrite de la part de l’ingénieur comme quoi il s’engage à respecter les normes de construction. Après étude de la part de l’Ordre, si les plans s’avèrent non conformes, ils sont renvoyés pour amendement. Une fois l’approbation de l’Ordre obtenue, le dossier est envoyé soit à la municipalité de Beyrouth soit au service de l’urbanisme pour une étude au niveau légal (surface bâtie, hauteur…). Par la suite, l’Ordre des ingénieurs intervient pour étudier les plans d’exécution pour approbation. Il s’avère ainsi que la sécurité d’un bâtiment doit être conçue en même temps que le bâtiment lui-même. «Le concept architectural est à la base de tout dans le cadre de la sécurité du bâtiment», explique M. Barmaki, aussi bien au niveau des plans de structures, du désenfumage, de la disposition des escaliers… Le rôle de l’Ordre des ingénieurs est appelé à croître dans ce domaine. Afin de préserver les normes de sécurité, un changement prochain du système interne de l’Ordre devrait permettre de percevoir directement les honoraires des ingénieurs. Il se chargera lui-même de les lui payer. Cette mesure vise à éviter tout marchandage sur les honoraires, au détriment de la qualité du travail fourni. Ces honoraires seront fixés entre 4 % et 8 % du coût total, selon la nature du projet. Les bureaux de contrôle Mais cette supervision ne suffit pas. Il faut aussi un contrôle lors de l’exécution de la construction. Ce suivi est prévu par le décret sur la sécurité publique, qui prévoit que des bureaux de contrôle doivent jouer ce rôle. Mais on attend toujours la mise en place d’une liste des bureaux homologués par l’État. Cette liste devra aussi diviser les bureaux en catégories selon leur expérience et leurs prérogatives, notamment en ce qui concerne le type de construction qu’ils peuvent contrôler. En effet, les normes de sécurité requises pour un immeuble résidentiel ne sont pas les mêmes que celles exigées pour un centre commercial. Ce travail risque de prendre du temps. Nabil Moussa propose de solliciter, en attendant, l’aide des ingénieurs spécialisés, comme c’est le cas aujourd’hui au Liban pour l’étude du sol. Abdo Daccache, ingénieur employé dans le bureau de contrôle Socotec, explique à L’Orient-Le Jour les modalités de ce contrôle, en se basant sur le travail actuellement effectué lorsque la firme est sollicitée. Ce sont en général des écoles de renom, des grands centres commerciaux et la zone Solidere qui font appel aux services de ces bureaux. Ainsi, dans le centre-ville de Beyrouth, les permis de construire sont assujettis à l’approbation de Solidere, en plus du cheminement normal expliqué. Et Solidere ne donne son approbation qu’après étude des plans de conception et d’exécution par un bureau de contrôle. Les trois domaines qui sont sujets à un contrôle au niveau sécuritaire sont les normes parasismiques, les normes anti-incendie et l’accessibilité aux handicapés. Le contrôle se fait suivant des codes bien précis. Le code libanais dans le cadre de Libnor n’étant pas encore achevé, c’est sur les codes français, britannique ou américain que se basent les constructeurs libanais. M. Daccache précise que le bureau de contrôle effectuera son travail selon le code choisi par le promoteur. Un rapport est établi, comportant des remarques sur les éventuelles lacunes dans l’étude. Le concepteur, en général un architecte, répond en effectuant les modifications nécessaires citées dans le rapport. L’approbation de Solidere pour le permis de construire ne sera donnée que sur lettre du bureau de contrôle comme quoi les plans sont conformes aux normes de sécurité. Le seul contrôle exigé de Solidere est celui des plans, explique M. Daccache. Mais dans la majeure partie des cas, un suivi sur le terrain est prévu. Des visites hebdomadaires ou bimensuelles du chantier sont effectuées. Les plans d’exécution, plus détaillés que les plans de conception, sont étudiés. Des rectifications sont parfois exigées. C’est suivant ce schéma que se fera le contrôle technique sur l’intégralité du territoire libanais une fois la liste des bureaux de contrôle établie. Tous les chantiers (cités par le décret) devront ainsi choisir obligatoirement un bureau de contrôle. M. Daccache affirme que le contrôle en tant que tel n’est pas très onéreux : il est de l’ordre de 1 % du coût total du projet. Ce sont plutôt les remarques et modifications suggérées par les bureaux de contrôle dans le cadre d’une mise aux normes (protection parasismique, ascenseur aux normes, portes coupe-feu…) qui pourraient engendrer d’importants frais supplémentaires. En plus des organismes cités, MM. Daccache et Moussa soulignent l’importance du rôle joué par les pompiers dans les pays occidentaux, aussi bien dans l’élaboration des codes de sécurité que dans l’octroi des permis de construction. Assurance décennale Enfin, tous les experts ont exprimé la nécessité de contracter une assurance pour les constructions. D’une part, cette assurance se fera dans le cadre d’une garantie décennale : tout dysfonctionnement surgissant durant les dix premières années est couvert par cette garantie. D’autre part, cette garantie devra être couverte par une société d’assurances. Or cette société ne s’engagera que si elle est certaine que le bâtiment en question est aux normes. Elle mandatera donc de son côté des experts ou un bureau de contrôle pour suivre le chantier, une disposition de plus pour empêcher tout manquement à la sécurité publique. Sur un autre plan, M. Daccache met en exergue l’importance de tenir compte dans la construction d’un immeuble de l’accessibilité aux handicapés. «Il faut assurer l’accessibilité d’un handicapé sur fauteuil roulant dans les parties communes et dans des sections préparées spécialement pour lui », dit-il. Il faut donc lui permettre de parvenir à l’immeuble, d’entrer dans l’ascenseur, de s’en servir, d’utiliser une des toilettes publiques. Aussi, il faut prévoir un espace privé, une chambre pour lui, dans laquelle il pourrait se mouvoir aisément. La promulgation du décret sur la sécurité publique l’année dernière est un premier pas vers la régularisation du secteur du bâtiment au Liban. Mais il s’agit de continuer en édictant les décrets d’application nécessaires à un contrôle intégral des nouvelles constructions. Quant aux immeubles déjà en place, il est demandé au secteur public de penser une stratégie claire de « mise aux normes » afin d’éviter de nouvelles catastrophes s’ajoutant aux tragédies des années précédentes (voir encadré). Il faut aussi envisager la mise en place d’une contribution étatique pour les factures qui risquent d’être salées. Bruno BARMAKI
Un décret relatif à la sécurité du bâtiment a été promulgué début 2005. Il est partiellement entré en vigueur et n’attend que les décrets d’application, prévus au courant de l’année. Selon les termes du document, les Libanais bénéficient d’une période de cinq ans afin de rendre leurs immeubles conformes aux normes sécuritaires, prévues dans le décret sur la sécurité...