HOMMAGE En Russie, pays d’origine de Gainsbourg, une actrice cultive la légende

Serge Gainsbourg nourrissait l’amer regret de n’avoir pas connu la Russie, son pays d’origine. Un spectacle musical le fait revivre, sur une scène moscovite, grâce à la passion d’une jeune femme russe pour le chanteur flambeur. Si Gainsbourg s’était entouré chez lui à Paris d’un univers noir, Macha de Valukhoff a choisi le rouge dans son grand appartement aux allures d’atelier de peintre, face au Kremlin. Tout y est rouge, du piano à queue, sous lequel dorment deux grands chiens, aux reflets de ses cheveux. Après une pause, le spectacle Sorry Angel (Prosti Anguel) reprend (lundi) dans une salle de 1000 personnes, au lendemain de l’anniversaire du chanteur français qui aurait eu 78 ans dimanche. L’acteur de télévision russe Andreï Sokolov joue le rôle du chanteur compositeur, dont il interprète en russe les chansons en duo avec Macha de Valukhoff, qui chante aussi seule en français trois morceaux écrits par Gainsbourg pour Brigitte Bardot, Jane Birkin et Catherine Deneuve. «C’est un collage entièrement musical, construit autour des chansons dans lesquelles sont contenues la vie de Gainsbourg, son histoire d’amour», explique cette jeune femme de 36 ans aux yeux sombres et à la voix grave, diplômée de l’Académie russe d’art dramatique, et qui a déjà produit en France et en Russie plusieurs spectacles. Avec Gainsbourg, tout a commencé il y a quatre ans lorsqu’elle a traduit en russe Gainsbourg raconte sa mort: entretiens avec Bayon. Macha de Valukhoff, mariée à un Français, détient actuellement en Russie les droits sur les livres et chansons de Gainsbourg traduits en langue russe. Puis elle a organisé des concerts et enfin ce spectacle lancé il y a un an avec des chanteurs comme interprètes, et à partir de lundi, un acteur professionnel. «J’ai compris que j’avais besoin d’un acteur capable de porter en lui une histoire à travers tout le spectacle», alors qu’avec les chanteurs, tout talentueux qu’ils fussent, «c’est une chanson, des applaudissements, un vide». Gainsbourg est encore peu connu en Russie où la chanson française est pourtant appréciée. «Personne ne l’entendait jamais ici. À l’époque soviétique, c’était impossible: les gens ne pouvaient écouter que Charles Aznavour, Édith Piaf, Yves Montand, Joe Dassin», explique Macha, assise sous une grande photographie en noir et blanc de Gainsbourg. Alors, pourquoi lui? Parce qu’elle est fascinée par cet homme qui «avait tout et malgré cela, se détruisait volontairement, de façon absolument consciente, un homme qui ne voyait pas de sens à la vie». Il avait les plus belles femmes et elles l’aimaient toutes. Il était exceptionnellement sexuel malgré son manque de beauté naturelle. Il était incroyablement populaire. Il était intelligent, fin, s’y connaissait excellemment en peinture, il avait de l’argent...» s’exclame-t-elle. Elle espère aussi réaliser un peu le rêve de ce Serge, né Lucien Ginzburg à Paris de parents juifs russes qui avaient fui la révolution de 1917. «Il avait eu cette phrase extraordinaire: j’ai choisi Serge par nostalgie d’une Russie que je n’ai jamais connue», raconte-t-elle en citant le livre de Gainsbourg: Mon propre rôle. Elle se rappelle l’histoire touchante d’une escale du couple Gainsbourg/ Jane Birkin à l’aéroport Cheremetevo de Moscou, que lui a racontée cet automne la chanteuse et actrice britannique venue voir un de ses spectacles à Moscou. «Il a couru vers un buffet soviétique de l’aéroport et il a dit “Donnez-moi des saucisses, je veux goûter des saucisses russes”, et elle m’a dit qu’il avait mangé ces saucisses pour avoir en lui le goût de la Russie. Il rêvait de ce pays», dit Macha.