Une cérémonie constituée de diverses pratiques mystiques Au Kosovo, les derviches à la recherche de Dieu

Avec une longue aiguille, Shehu, le maître de cérémonie, transperce les joues de ses deux fils. Aucun ne bronche. Aucun cri de douleur ne vient troubler le traditionnel rituel initiatique des derviches du Kosovo. À Prizren, (sud du Kosovo), l’ordre local des derviches procède, chaque année au mois de mars, à cette cérémonie au cours de laquelle les prières à Allah conduisent les initiés à l’extase. «Nous célébrons l’anniversaire de la naissance du sultan Nevruz, une fête qui permet à notre confrérie de se tourner vers Allah », explique Adrihusejn Shehu. À 44 ans, Shehu est le leader (cheikh) d’une des communautés de derviches de Prizren. L’ordre qu’il dirige tient directement ses origines du saint musulman Ali ibn Abi Talib, beau-fils et cousin du prophète Mohammad. Les derviches sont arrivés dans les Balkans avec l’Empire ottoman. Quelque 50000 vivent au Kosovo, mais l’ordre est également représenté en Macédoine et en Albanie. « Nous propageons l’amour entre les hommes. Notre croyance est essentiellement une forme d’amour envers Dieu, envers autrui, envers la vie », indique Shehu. « Je suis opposé à toute forme d’extrémisme. Je suis musulman et européen du XXIe siècle. Avant d’hériter de mon père le titre de cheikh, je travaillais dans le commerce du cuir », ajoute-t-il. Le rituel de mars, le plus important de l’année, est exécuté dans un petit amphithéâtre (mejdan) du lieu de prière (teqe), dans une maison de la périphérie de Prizren où, cette année, une soixantaine de derviches participent à la cérémonie en l’honneur de Nevruz. Quelques enfants, choisis pour subir le rite initiatique, prient avec ferveur. La teqe est bondée. Depuis un petit balcon en bois, des invités, femmes ou journalistes, observent la cérémonie qui débute par une prière : « La-illaha-illallah (il n’est pas d’autre Dieu que Dieu). » Au début, ce n’est qu’un simple murmure. Peu à peu, les voix enflent pour devenir progressivement un véritable hurlement. Après deux heures de rite, les derviches entrent en extase et commencent à se transpercer. « Allah Hu (il est Dieu) », chantent-ils à l’unisson. Le cheikh Shehu transperce alors, à l’aide d’une aiguille de 15 cm de long, les joues de ses deux fils, habillés en noir, et celles de trois autres enfants. Aucun ne manifeste la moindre crainte ni la moindre douleur. Puis, avec des couteaux de 40 cm de long, le cheikh transperce lentement les joues des derviches. Le rite se déroule au son des tambours. Les derviches, les joues transpercées, semblent dans un état second. Ils effectuent une danse rythmée et répètent inlassablement leur appel à Dieu. Certains, le cou transpercé, montrent fièrement leurs blessures. « Le couteau symbolise la guérison. C’est la bénédiction de Dieu. C’est la force de notre ordre », confie un vieux derviche. Fascinant, le rituel vieux de sept siècles tient du défi à la réalité : les derviches ne semblent nullement souffrir et aucune goutte de sang ne suinte de leurs blessures. À la fin de la cérémonie, ils retirent couteaux et aiguilles qu’ils remettent au cheikh avant de lui embrasser la main. En Persan, le mot derviche signifie « entrée » et les membres de l’ordre s’estiment proches de l’union avec Dieu. Considérés comme une secte, minoritaires dans le monde musulman, les derviches sont souvent isolés. À certaines époques, leur ordre a été interdit, en particulier en Turquie sous Atatürk. «Nous n’acceptons pas d’être présentés comme une secte musulmane mystique ou comme une branche extrême de notre religion. Nous ne perturbons personne et les opinions sur nous ne nous importent guère », déclare cheikh Adrihusejn. «Nous sommes l’avant-garde de la religion musulmane», conclut-il.