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Actualités - CHRONOLOGIE

Spécial - Le Figaro Les vêtements pare-balles de Caballero

BOGOTA, de Pascale Mariani et Roméo Langlois Miguel Caballero charge une balle dans son calibre 38. « Voici Alex, notre nouveau coursier. Lui, je ne lui ai pas encore tiré dessus. » Un brin anxieux, le nouveau enfile une veste de daim. Alex se place face à son patron, les mains derrière le dos. Miguel Caballero vise l’abdomen. « Un, deux... » Sous les néons de l’atelier, les couturières suivent la scène les mains sur les oreilles. « Trois ! » Miguel tire à bout portant. La jeune recrue n’a qu’un léger mouvement de recul : la balle s’est incrustée dans la doublure de ce blouson d’apparence ordinaire. Chez Miguel Caballero, « l’Armani de la mode blindée », l’épreuve est devenue un rite initiatique. Miguel Caballero, 38 ans et beaucoup d’humour, a eu un jour cette idée très colombienne : vendre des vêtements anti-balles. Allier le style à la sécurité dans ce pays de mafias, de guérillas et de danseurs de salsa. À l’université, les gardes du corps d’une de ses amies laissaient toujours leurs gilets pare-balles dans le coffre de la voiture. Trop lourd, trop visible, l’équipement était inutile. Avec le fils d’un marchand de voitures blindées, Miguel Caballero, lui-même né d’un professionnel de la mode, s’est donc lancé dans la confection de vêtements haute sécurité. Gabardines, vestes de cuir et blousons de jean, blazers et même des chemises. Une ligne pour motards. Une autre, plus classique, pour policiers et soldats. Miguel Caballero offre plus d’une centaine d’articles, de 290 à 2 900 dollars. «Toute notre gamme est le fruit de quatorze années de recherche », explique-t-il dans ses locaux du nord de Bogota. Après des milliers de tests et quelques hématomes sur les abdominaux de ses collaborateurs, le poids d’un veston blindé est passé de 5,2 à 1,2 kg. Le secret de la doublure, une superposition de tissus synthétiques hybrides, est, « comme la formule de Coca-Cola », soigneusement gardé. Les lignes Gold et Platinum protègent des armes classiques des tueurs des villes : les pistolets automatiques et jusqu’aux mitrailleuses mini-Uzi et MP5. Il faudrait un fusil de guerre, type Kalachnikov, pour perforer les blindages civils des collections VIP du businessman de Bogota. Le président colombien de droite, Alvaro Uribe, et son homologue vénézuélien de gauche, Hugo Chavez, ont au moins ce point en commun : tous deux portent d’élégantes chemises caribéennes blindées sur mesure, l’une blanche, l’autre rouge. Miguel Caballero fournit trois autres présidents latino-américains, le prince Felipe d’Asturies et son épouse Letizia, le juge espagnol Balthazar Garzon, de hauts fonctionnaires iraniens... Et une myriade de chefs d’entreprise et de professionnels de la sécurité. Miguel Caballero dit qu’il préfère traiter avec les États qu’avec les mafias. « Pas de narcos, pas de guérilleros, ni de paramilitaires. C’est un principe de notre compagnie », assure Miguel ; en exhibant un épais document : la « liste Clinton », celle des principaux narcos identifiés de la planète, et des entreprises qui blanchissent leurs dollars. Le couturier confie avoir un jour refusé une veste à un mafieux célèbre et raconte l’histoire de ce négociant d’émeraudes qui, pour cause d’attentat mortel, n’est jamais venu retirer sa commande. Du démineur militaire en zone de guerre au citoyen caribéen sauvé d’une tentative d’assassinat par sa veste de lin, certains de ses clients ont pu éprouver sur leurs personnes l’efficacité du produit. «En quatorze ans, je n’ai jamais reçu une plainte », sourit Miguel Caballero. Et c’est la devise de la maison : «Si ça marche en Colombie, ça marche partout dans le monde. » Il est vrai que sur le marché international de la sécurité, le label colombien est gage de sérieux. « Les meilleurs conseillers en sécurité sont souvent des Israéliens ou des Colombiens », observe Miguel Caballero. En Afghanistan comme en Irak, les ex-soldats colombiens, rompus aux opérations antisubversives, sont très recherchés par les sociétés militaires privées. «Les pays qui souffrent d’une violence endémique sont de véritables laboratoires où se développent toute une série d’activités liées à la sécurité », résume cet autre professionnel du blindage, le Français Laurent Fossaert, vice-président de Blindex. Rien qu’en 2004, cette entreprise de Bogota a exporté plus de 500 véhicules blindés en Irak. Elle fournit aussi en « panic-room » quelques industriels colombiens menacés d’enlèvement. Les ventes domestiques de Miguel Caballero augmentent sensiblement en cette période électorale. Mais 70 % de sa production partent en Amérique latine, en Europe et au Moyen-Orient. En France, son représentant, André Assmus, a déjà reçu ses premières commandes. Il vise « une clientèle d’hommes d’affaires appelés à voyager dans des pays à risques ». Cinq mille ventes par mois, 5 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2005, pas de concurrence : le créneau est porteur. Surtout qu’« enfin se profile un phénomène que j’ai toujours attendu : les vestes blindées deviennent une mode. J’ai des demandes jusqu’en Australie, qui n’est pas précisément un pays à hauts risques ». Sa toute nouvelle ligne féminine a ainsi fait sensation au festival Intermoda de Guadalajara et la première boutique High Security Fashion du monde ouvrira ses portes en mai à Mexico. Comble du raffinement : une veste blindée « intelligente », qui rafraîchit sous les tropiques et tiédit en montagne. Le revers de la médaille : les vestes blindées qu’il doit lui-même porter lors de ses passages en Colombie et les faux Miguel Caballero vendus sous le manteau à Amsterdam. Un cas unique de contrefaçon, dans un pays riche, d’une griffe « Made in Colombia ».
BOGOTA, de Pascale Mariani et Roméo Langlois

Miguel Caballero charge une balle dans son calibre 38. « Voici Alex, notre nouveau coursier. Lui, je ne lui ai pas encore tiré dessus. » Un brin anxieux, le nouveau enfile une veste de daim. Alex se place face à son patron, les mains derrière le dos. Miguel Caballero vise l’abdomen. « Un, deux... » Sous les néons de...