Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE Nidal el-Achkar, une grande agitatrice des consciences

Nidal el-Achkar est, aujourd’hui, une femme comblée. Neuf mois après avoir été obligée de fermer le théâtre al-Madina, rue Clemenceau, elle a frappé un premier coup en transformant un ancien complexe de cinéma – le Saroulla de la rue Hamra – en un centre culturel qui, depuis son inauguration en avril dernier, n’a cessé de donner aux amoureux des planches, aux mélomanes, aux cinéphiles ou aux amateurs des arts plastiques une programmation de qualité. Sa deuxième source de fierté vient de sa nouvelle mise en scène, une adaptation du roman de Rachid al-Daïf, « Qu’elle aille au diable Meryl Streep ». Rencontre avec une grande dame du théâtre qui éprouve, visiblement, un malin plaisir à émietter les tabous et à agiter les esprits pantouflards. Elle n’a ni la langue dans la poche, ni la matière grise en congé sans solde. Loin, très loin de là. Nidal el-Achkar s’est, au fil d’une carrière trentenaire, bâti une réputation à la mesure de sa personnalité. Sous un vernis de courtoisies – son «ahlan wa sahlan» à bras ouverts est légendaire –, derrière le sourire qui s’efface rarement, l’on devine un caractère intransigeant, un tempérament de fonceuse, une pionnière qui flaire le printemps bien avant l’arrivée de l’hiver. Sitt Nidal est, en deux mots, une battante qui n’a pas peur de dire tout haut ce que les autres n’ont pas encore eu le temps de penser tout bas. Une toupie multifonctions avec, en prime, de l’audace, du bagout et du culot. Elle a ri, elle a beaucoup ri, en lisant le roman de Rachid el-Daïf. «Qu’elle aille au diable, Meryl Streep expose des thèmes tabous d’une manière tellement intelligente, drôle, moderne et rapide! lance la grande dame des planches. Il s’agit sans aucun doute du roman arabe où la question du couple est la plus explicitement traitée, où la sexualité est abordée sans ambages et où le mariage apparaît comme une institution mise à rude épreuve par la modernité.» C’est en tournant la dernière page qu’elle a pris la décision de mettre en scène l’histoire de ce couple. Il faut dire qu’elle a toujours été attirée par les sujets tabous, les thèmes audacieux. Le tout présenté d’une manière moderne et attirante. «Le théâtre est, avant tout, un divertissement. Même s’il traite de sujets dramatiques», souligne-t-elle. «Le théâtre, dit-elle, est une boîte à merveille. Mais le spectacle, aussi captivant qu’il soit sur les plans auditifs et visuels, n’est jamais complet s’il n’a pas de consistance. Le spectateur doit rentrer chez lui avec une matière à réflexion, à débat.» Et de poursuivre: «Lorsque j’ai décidé de mettre en scène ce roman, je n’ai pas songé une seconde à la réaction du public. Tout ce qui m’intéressait, c’était d’introduire cette pièce dans mon répertoire théâtral.» La concrétisation C’était lors d’un déjeuner. Elle annonce à la canonnade qu’elle compte réaliser Qu’elle aille au diable Meryl Streep. L’auteur du roman, présent ce jour-là, avait esquissé un sourire. Le dramaturge franco-algérien, Mohammad Kacimi, relève tout de suite le défi. Quelque temps plus tard, elle s’est retrouvée avec lui à Paris, en train de discuter des modalités de l’adaptation théâtrale. «Après moult réunions, Kacimi a décidé de dénuder le roman des personnages secondaires pour ne garder que l’homme et la femme. Il a refait dix fois la trame de la pièce. Et à chaque version, j’étais frappée par l’intelligence et le talent de cet homme.» Le résultat est là: une pièce dramatique est née, avec tous les éléments qui la caractérisent. «L’on peut mettre de côté le roman et considérer cette pièce comme une œuvre complète, bâtie par Kacimi avec, pour toile de fond, l’histoire imaginée par al-Daïf.», précise Nidal el-Achkar. Pour la mise en scène, el-Achkar n’a pas hésité une seconde dans le choix de sa méthode, de ses outils. «Il fallait transporter l’histoire de ce couple, qui se déroule entre quatre murs, vers l’extérieur. J’avais deux solutions: ou bien en faire une sorte de Qui a peur de Virginia Woolf, une pièce en trois actes de dialogues sans événement extérieur, dans un même lieu, presque dans un même temps (le temps réel correspondant à peu près au temps scénique). Mais cela ne m’intéressait pas. Alors, deuxième solution, j’ai emmené la pièce ailleurs. Vers un espace ouvert sur l’immensité, hors des temps, pour mieux servir le texte mais aussi l’imaginaire.» Le couple a pris alors une nouvelle dimension humaine, existentielle et humaniste. Nidal el-Achkar ajoute qu’elle a entièrement fabriqué le style de jeu des acteurs. Et stylisé la pièce en utilisant trois éléments essentiels: le texte, le mouvement et la voix. Le concept et les propos peuvent paraître vagues (et ils le sont!), mais l’on n’en saura pas plus car le metteur en scène souhaite garder le suspense. Mais elle ajoute, mutine, que dans cette chorégraphie des corps, chaque geste, chaque mouvement est étudié au millième près. Motus et bouche cousue donc, mais elle ne tarit pas d’éloges sur son équipe, ce nucléus qu’elle a formé à bonne école. Elle cite le traducteur, Élie Karam, qui a ingénieusement bâti une version en libanais dialectal. Des acteurs, elle dit qu’ils sont «hautement professionnels, ouverts à toute expérience. Ils se sont jetés avec moi à la mer. Une mer qui était parfois houleuse. Ils sont allés jusqu’au bout de l’expérience. Sans jamais remettre en question la méthode que j’ai adoptée». Elle loue également le talent de la chorégraphe Nada Kano, l’éclairage de Mona Knio, la musique de Khaled Naim (son fils) et Fouad Zakka, les conseils avisés de Nagy Souraty (son consultant artistique). Sans oublier les costumes de Nada Talhamé, les dessins de Omar Khoury… «Qu’ils aillent au diable ceux qui n’iront pas voir cette pièce, conclut Nidal el-Achkar dans un grand éclat de rire. Ils auront raté une merveille.» Dont acte. Maya GHANDOUR HERT
Nidal el-Achkar est, aujourd’hui, une femme comblée. Neuf mois après avoir été obligée de fermer le théâtre al-Madina, rue Clemenceau, elle a frappé un premier coup en transformant un ancien complexe de cinéma – le Saroulla de la rue Hamra – en un centre culturel qui, depuis son inauguration en avril dernier, n’a cessé de donner aux amoureux des planches, aux mélomanes, aux...