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Actualités - OPINION

L’ambivalence entre le politique et le religieux en Syrie

Salam KAWAKIBI* La question de la montée des pratiques religieuses et la « réislamisation » de l’espace privé et de l’espace public refait surface, de manière de plus en plus forte ces dernières années, au Proche-Orient en général et en Syrie en particulier. Il y a quelques années, d’éminents chercheurs et spécialistes occidentaux ont tenté de prouver que l’islam politique est en déclin. Cependant, avant même le 11 septembre 2001, les pratiques politiques et les mutations socioculturelles dans les pays arabo-musulmans ont démenti cette analyse. Les conséquences des attentats du 11/09 ont, en outre, changé la donne, selon certains. Mais peu d’études se sont attardées sur le cas syrien. Un cas pourtant révélateur d’un changement important dans le contexte de l’histoire récente de ce pays, de sa culture et de ses pouvoirs publics. IL a fallu attendre la chute de Bagdad, et l’implication, présumée, des jihadistes syriens dans l’insurrection en Irak, pour que les spécialistes se penchent sur ce dossier. Le conservatisme syrien est bien ancré dans la tradition du pays comme de la région. Cependant, depuis la création de l’État moderne et la fondation d’un système socio-politique inspiré de l’Occident, la Syrie a connu un mouvement de réforme séculaire et une école d’interprétation qui ont pu influencer une société très marquée par la religion. Depuis la fin du XIXe siècle, des écrits audacieux ont traité la question religieuse sous trois angles : l’interprétation, la manipulation et la récupération. Par la suite, la scène politique a connu la création de partis laïcs et le développement d’une spiritualité « purifiée » indépendante de la sphère politique. Les années 40 et 50 ont, quant à elles, aussi connu un développement social et culturel loin du champ religieux, sans pour autant le prendre pour cible. Cette évolution a permis d’établir une plate-forme nationale, qui a rassemblé des laïcs comme des conservateurs d’accords sur le principe du partage et de l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Dans les années 60 et 70, les idéologies progressistes et libérales ont imprégné la société malgré la nature autoritaire du système politique. Le développement, presque sans tabous religieux, de la production artistique et littéraire en est une illustration. Durant toutes ces années, l’islam politique en Syrie était incarné par les Frères musulmans qui siégeaient dans les années 50 au Parlement démocratiquement élu, phénomène rare, dans l’histoire de la Syrie contemporaine. Des affrontements violents ont mis fin à cette « cohabitation » sur la scène politique syrienne. Entre le début des années 60 et la fin des années 70, cette mouvance politique est devenue l’ennemi juré du pouvoir du parti Baas. À tel point qu’une loi a été votée qui menaçait de peine de mort le seul fait d’adhérer à ce parti. Le pouvoir a gagné, dans la douleur, cette épreuve de force condamnant les sympathisants de la politique islamisée à l’exil vers des pays arabes ou occidentaux. La scène est donc redevenue, théoriquement, dépouillée de toute tendance qui chercherait à impliquer la religion dans la politique. Cependant, en s’apercevant de la « défaite » des idéologies nationaliste arabes et marxistes, les « stratèges du palais » ont tenté de dessiner un scénario dans lequel la politique peut s’approprier le religieux et le manipuler à son gré. La Syrie a, dès lors, commencé à introduire du vocabulaire religieux dans son discours politique et dans les pratiques socioculturelles. Dans ce cadre, on a fait appel aux services d’anciens Frères musulmans « repentis » ou à ceux de personnalités nouvellement formées pour séduire la rue conservatrice. Parallèlement, la construction des lieux de culte a atteint son apogée entre les années 80 et 90 avec le financement d’écoles de formation théologique bien contrôlées. Logiquement, les principes de laïcité et de progressisme ont commencé à être mis en veille alors que débutait une réislamisation sociale et culturelle. Un processus qui s’est traduit, sur le terrain, par un pourcentage plus élevé de port du voile, par une censure étatique sur les œuvres littéraires, par la propagation d’une littérature religieuse notamment dans les bibliothèques, par l’islamisation de l’enseignement supérieur et ce, notamment au niveau des sciences humaines. Tout récemment, un livre traitant de l’expérience d’une jeune Iranienne obligée par sa famille de porter le voile a été interdit de diffusion, et un film canadien réalisé par une Syro-Canadienne, évoquant le choix d’une Syrienne habitant le Canada de vivre sa vie amoureuse sans interdictions et sans limites, a été censuré. Sans s’avancer à affirmer qu’il s’agit là d’un tournant politique radical, il est certain que le pouvoir joue à un jeu dangereux. À l’aune de l’évolution du Hezbollah et du Hamas, l’on constate en effet un double mouvement : les partis religieux se lancent sur la scène politique, alors que les partis politiques se mettent à faire du religieux. Dans le premier cas, la démarche est très productive et « risque » de réussir. Dans le deuxième cas, l’amalgame amène souvent à des impasses. * Politologue
Salam KAWAKIBI*

La question de la montée des pratiques religieuses et la « réislamisation » de l’espace privé et de l’espace public refait surface, de manière de plus en plus forte ces dernières années, au Proche-Orient en général et en Syrie en particulier. Il y a quelques années, d’éminents chercheurs et spécialistes occidentaux ont tenté de prouver que l’islam...