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Actualités - OPINION

IMPRESSION Noces

Saint Valentin fut avant tout un général de l’armée romaine. Son haut fait est d’avoir imposé le sacrement chrétien du mariage aux hommes qui rejoignaient sa troupe. Il avait la ferme conviction qu’un soldat sans foyer et sans attaches était plus vulnérable qu’un autre. En ce temps-là, quand pour la maigre solde qui aidait à survivre, on n’avait d’autre moyen que d’engager sa vie entière, on était mercenaire. Un mercenaire abandonne ou trahit. Les soldats sans cause sont improductifs. Où trouver une flamme pour animer cette piétaille primitive, paquet de sueur, d’humeurs et d’encombrantes armures ? Les honneurs, la gloire, l’Empire, la haine de l’ennemi en face, César lui-même n’eurent pas suffi à prévenir les débâcles. Jusqu’où creuser dans la crasse pour arriver au cœur ? Génial Valentin ! L’amour, voilà un sentiment qui soulève des montagnes. Voilà qui vous rend votre estime de vous-même, qui vous pousse à être le meilleur car l’autre mérite le meilleur de vous. Et de savoir qu’une épouse attend, quelque part, avec un petit dans son ventre et quelques autres autour, vous donne envie de protéger son nid, d’y revenir la tête haute et d’appeler cet espace, entre le front et la maison, un pays. Il est vrai que l’amour n’est pas réservé aux seuls époux, mais en ce temps-là, sacraliser le lien du mariage en lui apportant la bénédiction divine, le rendre indéfectible, était un acte fondateur. Fondateur également, ce jour funeste de la Saint-Valentin à Beyrouth. Avant 2005, cet anniversaire agaçait les uns et amusait les autres. Une invention de l’économie américaine pour pousser à la consommation en ces débuts d’année où les tiroirs-caisses sont atteints d’apathie. Désormais, saint Valentin aura pour les Libanais de grands yeux noirs ombrés de sourcils broussailleux, une voix de gorge un peu voilée, une corpulence sécurisante, un sourire désabusé. Il aura pour ex-voto un gouffre noir au bord de la mer, des flammes et des sirènes et des visages aimés qui ne reviendront plus. Mais tant d’élans d’amour ont surgi depuis lors ! Tant de fraîcheur versée sur l’eau croupissante des haines dont on ne sait même plus comment elles avaient commencé. Des images, le barrage de l’armée forcé par le peuple à coup de roses blanches, les avocats en robe, comme une volée d’hirondelles surgie pour le printemps, tant d’émotion à l’état brut, informulée, jusqu’au serment de Gebran Tuéni. Alors les mains par milliers s’étaient levées pour promettre, subjuguées, enfin libérées des vieux tabous du communautarisme. Chrétiens et musulmans, nous nous étreignions dans les rues, et comme nous nous sentions beaux d’être libanais. De mémoire de saint Valentin, on n’avait jamais vu une telle noce ! Qu’importent les impostures, les mensonges et les faux-fuyants dont ce pays est l’éternelle victime, entre février et mars, quelque chose a germé en 2005. Une pousse rare et fragile dont les racines ont déjà besoin de creuser plus loin. Malgré le sang, la douleur et les larmes, saint Valentin est désormais notre saint tutélaire. Nous ne le bouderons pas. Fifi ABOU DIB
Saint Valentin fut avant tout un général de l’armée romaine. Son haut fait est d’avoir imposé le sacrement chrétien du mariage aux hommes qui rejoignaient sa troupe. Il avait la ferme conviction qu’un soldat sans foyer et sans attaches était plus vulnérable qu’un autre. En ce temps-là, quand pour la maigre solde qui aidait à survivre, on n’avait d’autre moyen que...