Rechercher
Rechercher

Actualités

SEPTIÈME ART - La cinéaste libanaise s’attaque aux tabous dans « Dounia », présenté récemment au Sundance Film Festival Jocelyne Saab, présentation esthétique pour un thème audacieux

La sexualité des femmes dans le monde arabe. Voilà un sujet tabou par excellence qui ne manque pas de provoquer des grincements de dents (au minimum) lorsqu’une âme courageuse ose le traiter. La cinéaste libanaise Jocelyne Saab en a fait les frais avec son film « Dounia : Kiss Me Not On the Eyes ». Cinq ans qu’elle se bat pour réaliser ce projet. Après avoir franchi la barrière de la censure et autres obstacles relatifs à la production, ce long-métrage se heurte aujourd’hui aux susceptibilités des uns et des autres, en Égypte surtout, lieu du tournage, où il a suscité un débat peu cordial. Quoi qu’il en soit et dans un domaine où polémique rime avec publicité, «Dounia» a été présenté au festival du film indépendant de Sundance où il a reçu un écho très favorable. Retour de Park City à Paris où elle a établi ses pénates depuis 1994, Jocelyne Saab se penche sur cette expérience qui relève du parcours du combattant. Son Il était une fois, Beyrouth avait inauguré la cinémathèque libanaise en 1994. Depuis, elle passe sa vie entre Le Caire et Paris. Elle explique son choix: «Je vais et je viens, je prends un peu de distance. Malgré sa situation de crise, Le Caire reste certainement le plus grand marché du cinéma dans le monde arabe. C’est Bollywood 2 en quelque sorte avec ses 4 millions de spectateurs. La capitale égyptienne, avec son industrie et ses studios, possède indéniablement un côté fascinant. Les films qui y sortent passent dans tout le monde arabe.» La cinéaste avoue par ailleurs qu’il s’agissait pour elle d’un rêve d’enfant qui vient d’être réalisé: faire un film en Égypte et, de là, avoir une ouverture sur tout le monde arabe. Le sujet est très égyptien, il respecte une unité de temps et de lieu. Et pourtant, le thème est en même temps arabe et universel. La commission de censure a refusé le film « en estimant qu’il porte atteinte à l’Égypte et à l’islam, qu’il incite à la débauche et qu’il aborde le thème de l’excision ». «J’ai touché à des sujets tabous, qu’il s’agisse des relations amoureuses ou sexuelles des jeunes aujourd’hui, le thème de l’excision ou du plaisir féminin», reconnaît Jocelyne Saab. Mais elle assure que «l’excision», question hautement délicate en Égypte, «n’est qu’un prétexte dramaturgique» et non pas le sujet du film. «Le sujet est universel, il ne touche pas seulement à l’Orient; j’ai choisi ce qui pouvait rapprocher l’Orient et l’Occident», indique-t-elle. Depuis fin 1997, l’excision est officiellement interdite en Égypte mais elle continue d’être «largement pratiquée», selon l’Unicef, notamment dans les couches populaires et rurales. La cinéaste s’est accrochée. Elle a fait travailler son imagination pour pouvoir parler de sensualité, de désir et de plaisir sans heurter la sensibilité populaire. «Ce film veut ouvrir une voie aux jeunes, c’est la recherche de soi sans tomber dans les archétypes», poursuit la réalisatrice. Dounia est une jeune Égyptienne de 23 ans qui souhaite devenir danseuse professionnelle et qui, ballottée entre la vie moderne et les traditions ancestrales, cherche sa voie. Le film, dans lequel plusieurs vedettes égyptiennes ont accepté de jouer, raconte l’apprentissage de la vie de Dounia, initiée par Bachar, un penseur et homme de lettres, et la sublimation du plaisir par la poésie soufie. Tout cela se passe dans un environnement qui interdit la pensée, dans un pays qui considère les Mille et Une Nuits comme un récit pornographique. «Même les termes de la poésie amoureuse arabe médiévale et de la poésie soufie ne sont plus acceptés aujourd’hui», la société arabe devenant de plus en plus conservatrice, souligne la cinéaste. Interprétations multiples Après une première sortie sur fond de controverse au Caire, le film a été présenté dans le cadre du Festival du film de Dubaï. «Chose étonnante, dans les Émirats, il a été bien reçu. Des jeunes filles sont venues me voir en m’affirmant qu’à l’instar de l’héroïne du film, il était important de choisir soi-même son chemin.» À chaque visionnage, Jocelyne Saab est surprise par les nouvelles interprétations que les spectateurs y trouvent. «Chacun lit le film à sa manière. C’est une femme qui veut dépasser les traditions, briser les tabous et devenir danseuse. C’est une première lecture. L’on peut aussi avoir une lecture plus moderne, en relation avec le plaisir inassouvi et la sensualité perdue. Suivre la quête de cette jeune femme qui cherche à trouver du plaisir dans ses relations sexuelles.» En somme, Jocelyne Saab aurait réussi à aborder des sujets très sensibles, pour ne pas dire explosifs, en les présentant dans un joli écrin sur fond de belles images et de bonne musique (la bande originale, un mix de musique orientale, de sonorités cubaines et des accents world, connaît un grand succès). «C’est cette audace du thème et l’esthétique de la présentation qui ont été si favorablement accueillies à Park City». Tremplin incontournable pour les réalisateurs indépendants, américains et autres, désireux de présenter leurs meilleurs travaux, le Sundance Film Festival montre des films pleins d’audaces, de diversité et d’innovation esthétique. Pour y avoir été sélectionné parmi des centaines de films et présenté dans la catégore World Cinema avec quinze autres œuvres seulement, Dounia adhère certainement à ces critères-là. Avec sa pudeur naturelle d’Orientale, Jocelyne Saab a fait preuve d’inventivité pour parler de sensualité et d’amour. Elle pose là un regard gracieux sur les Arabes dont l’image, de plus en plus ternie ces derniers temps, a grand besoin d’un relookage comme celui-là. Maya GHANDOUR HERT
La sexualité des femmes dans le monde arabe. Voilà un sujet tabou par excellence qui ne manque pas de provoquer des grincements de dents (au minimum) lorsqu’une âme courageuse ose le traiter. La cinéaste libanaise Jocelyne Saab en a fait les frais avec son film « Dounia : Kiss Me Not On the Eyes ». Cinq ans qu’elle se bat pour réaliser ce projet. Après avoir franchi la...