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CORRESPONDANCE - À l’occasion de la 25e édition du prix littéraire Grinzane Cavour L’écriture féminine arabe dévoilée à Turin

TURIN, de Zéna ZALZAL Aller à la rencontre des diverses cultures du monde à travers les ouvrages d’auteurs contemporains. Tel est le leitmotiv du prix littéraire italien Grinzane Cavour, qui fête cette année son quart de siècle en se penchant sur l’écriture au féminin dans les pays du monde arabe. Vingt-cinq ans d’existence célébrés donc, entre autres manifestations, par un colloque intitulé «L’écriture dévoilée. Mots et femmes du Maghreb à l’Iran. Vingt femmes écrivains du monde arabe». Et qui s’est tenu du 19 au 22 janvier à Turin, dans le Piémont, siège de la Fondation Grinzane Cavour. Si l’intitulé exprime, par lui-même, une insuffisante connaissance du monde arabe et, par conséquent, de ses auteurs, masculins ou féminins soient-ils (l’Iran et la Turquie, autres pays invités à prendre part à ce colloque, n’étant pas arabes), l’esprit de curiosité envers l’autre, de dialogue et de rapprochement qui a prédominé lors des rencontres a permis – au-delà de la confusion entre monde arabe et monde musulman – de faire découvrir aux critiques littéraires, essayistes, écrivains et journalistes italiens présents la pluralité des voix en provenance des pays d’Orient. Et cela à travers les interventions de la vingtaine de femmes écrivains et d’intellectuelles venues d’Algérie, d’Arabie saoudite, d’Égypte, d’Iran, d’Irak, du Liban, de Palestine, de Tunisie et de Turquie, qui ont pris part aux tables rondes menées, respectivement, par la traductrice et orientaliste italienne Isabella Camera d’Afflitto et le journaliste et sociologue algérien, installé en Italie, Khaled Fouad Allam. Hommage à Samir Kassir et Gebran Tuéni Centrés sur leur expérience personnelle de l’écriture, les propos des «écrivaines» ont apporté un témoignage – globalement sincère – sur la situation de la femme ainsi qu’un aperçu du panorama littéraire contemporain dans les pays d’expression arabe. Seul auteur masculin (non modérateur) invité, Tahar Ben Jalloun (membre du jury du prix Grinzane Cavour), pour qui «il n’y a pas de littérature masculine ou féminine». «Il y a de la littérature. Elle est bonne ou elle n’existe pas», a-t-il souligné. Il a axé, pour sa part, son allocution sur la crise politique dans les pays dits du monde arabe. Une crise qui devient forcément culturelle. «Cette langue si belle qu’est l’arabe vit aujourd’hui un certain ostracisme, car elle est dévalorisée et victime de préjugés et d’amalgames terribles», a-t-il regretté. Il a également dénoncé la répression, l’injustice et la barbarie qui sévissent dans plusieurs pays de cette région et qui font de l’écriture «un exercice de risque quotidien. Beaucoup d’écrivains arabes payent de leur vie ou de leur emprisonnement le droit d’écrire», a affirmé haut et fort le célèbre auteur marocain – établi en France depuis de longues années – avant de rendre hommage à «Samir Kassir et Gebran Tuéni, assassinés pour ce qu’ils ont écrit». «Shéhérazade est morte» Organisatrice du congrès, Isabella Camera d’Afflitto a ouvert le débat en affirmant que «Shéhérazade est morte» et qu’il fallait en finir avec cette image stéréotypée de la littérature et de la femme orientales. «Le regard que nous, Occidentaux, portons globalement sur le monde arabe est trop uniforme, alors que c’est un univers à multiples facettes. C’est pourquoi nous sommes réunies ici pour montrer, à travers ces paroles de femmes écrivains, la diversité de ses visages.» Consacrées donc à la «littérature et à la pluralité culturelle arabe au féminin», les interventions ont tantôt exprimé la souffrance de la femme écrivain qui, pour échapper à l’interdit, se trouve contrainte à l’exil, à l’instar de la poétesse irakienne Aliya Mamdouh ou de la romancière iranienne Goli Taraghi, aujourd’hui installées à Paris, et tantôt dénoncé, notamment par le biais de voix libanaises (l’auteure, éditrice et artiste May Ghossoub), les «stéréotypes exotiques» et l’image «de la femme arabe placée derrière un voile douloureux». Pluralité de voix Se consacrer à l’écriture n’est pas chose aisée. Les difficultés de l’écrivain sont, on le sait, nombreuses sous toutes les latitudes (problèmes pécuniaires, d’édition, de reconnaissance, etc.), sauf qu’elles se multiplient encore quand il s’agit d’écrire au féminin dans les sociétés arabes, patriarcales et conservatrices. Certaines femmes sont à la fois «insultées et encouragées» pour leur choix, d’autres vivent un «double exil», car elles doivent se censurer pour pouvoir publier leurs œuvres dans leur pays d’origine, d’autres encore doivent dépasser non seulement les pressions sociales mais également les événements tragiques qui bouleversent leur quotidien. L’acte d’écriture devient alors acte de résistance et établit des ponts avec l’extérieur, comme c’est le cas pour l’auteure-traductrice et réalisatrice palestinienne Liana Badr, qui évite la «victimisation» de ses personnages féminins et pour qui «il ne peut y avoir de “check point” qui arrête la parole». Il peut être également acte de transgression, comme pour la journaliste et poétesse libanaise Joumana Haddad, qui clame haut et fort les différences qui existent entre femmes arabes. Lesquelles ne sont pas toujours écrasées, comme se le figure l’Occident, par la loi du groupe et les traditions. «Par l’écrit, je vais à la recherche de mon individualité et de mon moi profond. Je vis, pour ma part, l’écriture comme un acte sensuel, un acte physique. Une écriture nue, par laquelle je parle d’érotisme sans fioritures.» Une écriture «miroir de soi», plutôt que témoignage social, dans laquelle se reconnaît également la jeune poétesse tunisienne Amel Moussa. Une certaine amertume Plus engagées, la journaliste libanaise Nada Dalloul, chargée par l’Unesco de la diffusion des œuvres littéraires à travers les médias, a souligné le rôle important de la femme et sa participation active dans ce projet, tandis que l’essayiste, romancière et universitaire égyptienne Radwa Ashour a affirmé se préoccuper particulièrement de «trouver un équilibre entre notre besoin d’être libre et celui d’exprimer les préoccupations de notre société». Une société «dévastée par un sentiment douloureux d’impuissance face à un passé glorieux et un présent décevant». Un sentiment d’amertume exprimé notamment par Hoda Barakat, romancière libanaise, et Magda el-Guindy, journaliste égyptienne. Lesquelles se sont insurgées contre le regard parfois supérieur, souvent anthropologique, que l’Occident pose sur l’Orient, contre l’absence d’intérêt des intellectuels occidentaux envers la culture et la littérature arabophones. Découvrir les différentes identités du monde arabe, les engagements littéraires, féministes ou sociaux de ses «écrivaines», réfuter les idées reçues, voilà ce qu’a apporté ce colloque sur les écritures de femmes arabes. Voilées ou dévoilées, là n’est pas la question. «Il y a des auteures qui sont voilées à l’intérieur et d’autres qui, tout en portant le voile, réalisent un excellent travail de réflexion». Voici, en substance, le message transmis et parfaitement reçu lors de ce colloque. Placé, bien entendu, sous le signe du dialogue des cultures.
TURIN, de Zéna ZALZAL

Aller à la rencontre des diverses cultures du monde à travers les ouvrages d’auteurs contemporains. Tel est le leitmotiv du prix littéraire italien Grinzane Cavour, qui fête cette année son quart de siècle en se penchant sur l’écriture au féminin dans les pays du monde arabe. Vingt-cinq ans d’existence célébrés donc, entre autres manifestations, par un...