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CONFÉRENCE - Deux économistes soulignent la nécessité de revoir les priorités du gouvernement La politique économique actuelle entrave le développement des PME

Plutôt que de s’interroger sur les politiques publiques souhaitables pour promouvoir les petites et moyennes entreprises, thème de l’une des conférences organisées hier dans le cadre d’un séminaire sur les PME, l’économiste Toufic Gaspard a souligné la nécessité de commencer par changer les politiques publiques, de façon à ce qu’elles ne soient pas un « obstacle » au développement économique. Car quels que soient les critères que l’on adopte pour définir les petites et moyennes entreprises (chiffre d’affaires, nombre d’employés, etc.), il ne fait aucun doute que ces dernières représentent l’écrasante majorité des entreprises libanaises. « Les PME sont l’économie libanaise », selon la formule de Toufic Gaspard. Le constat est similaire pour l’économiste Charbel Nahas, qui participait hier à la même table ronde, au deuxième jour du séminaire sur les PME, organisé au siège du Conseil économique et social, en partenariat avec le ministère de l’Économie, l’Union européenne et le Fonds économique et social. « Réfléchir à l’amélioration de l’environnement des PME revient à entamer le débat sur le contenu du plan de réformes que doit proposer le Liban dans le cadre de la conférence internationale annoncée pour la fin de l’année », dit-il. « Dutch Disease » Le choix des politiques budgétaires et monétaires découlera des objectifs que fixera le gouvernement, souligne Charbel Nahas. Si ce dernier estime que les problèmes actuels sont conjoncturels, liés à la dette publique, il cherchera prioritairement le moyen d’alléger cette dernière et de combler les déficits en essayant de garantir la poursuite des flux entrants de capitaux. Ce scénario « d’atterrissage en douceur » a pour but d’éviter une crise financière, au prix d’une augmentation drastique de l’excédent budgétaire primaire. « Il s’agit d’une ponction supplémentaire de plus de 1,5 milliard de dollars par an, qui ne manquera pas d’affecter le pouvoir d’achat. » En revanche, si le gouvernement estime que le problème est structurel et que le Liban souffre de ce que les économistes appellent la « Dutch Disease », il cherchera à utiliser l’aide internationale dans le cadre d’une stratégie globale destinée à y remédier, afin de relancer emploi et croissance. Le modèle de la « Dutch Disease » correspond au gonflement spectaculaire de la demande, grâce à un facteur exogène. Dans le cas des Pays-Bas, il s’agissait de la découverte soudaine de pétrole. Dans le cas du Liban, cette demande est alimentée par les transferts de capitaux. Le problème de cette demande excédentaire est qu’elle crée des distorsions de prix énormes sur le marché local, qui affectent la compétitivité de l’économie, explique Charbel Nahas. Les revenus supplémentaires gonflent spécifiquement la demande de consommation finale, sans aucun effet d’entraînement sur la consommation de biens intermédiaires qui sont le moteur des PME, elles-mêmes moteur de l’économie, souligne-t-il. Taux de mortalité élevé « Les PME libanaises sont un fait macroéconomique plutôt que microéconomique. Les politiques économiques globales concernent ipso facto les PME, que ce soit en termes de politique monétaire, de taux de change, de taux d’intérêt ou autres », estime Toufic Gaspard. Or en la matière, ces politiques sont particulièrement défavorables aux petites et moyennes entreprises, comme en témoigne le taux de mortalité élevé des PME. Selon une étude réalisée par le Conseil économique et social, 46 % des PME ont débuté leur activité entre 1997 et 2002. « Leur faible productivité explique le phénomène de rotation élevé », dit-il. La théorie économique traditionnelle suggère de ne pas intervenir pour tenter de sauver des agents économiques qui ont prouvé leur inefficacité, souligne l’économiste. « Ce serait au marché de déterminer qui est efficient et qui ne l’est pas. » Mais Toufic Gaspard défend un point de vue contraire. « Les entreprises ne peuvent être rendues responsables de facteurs d’inefficience qui sont exogènes. Or au Liban, les conditions d’entrée sur le marché et les conditions d’opération sur un marché donné sont particulièrement défavorables aux PME en raison de facteurs sur lesquels les entreprises n’ont aucune prise. » Taux réels prohibitifs Parmi ces facteurs, l’économiste a passé en revue ceux qui sont liés à une politique monétaire fonctionnant « contre » les PME, selon l’intitulé de sa présentation. Depuis 1993, deux éléments sans précédent ont marqué la politique économique du Liban : l’appréciation du taux de change (de 3,4 % par an entre 1992 et 1998) et un niveau exceptionnel de dépenses publiques (deux fois et demie plus élevé, par rapport au PIB, qu’en 1975), rappelle Toufic Gaspard. Ces deux facteurs ne sont pas compatibles avec une productivité faible (ils en sont même peut-être la cause), dit-il. Ainsi, le taux de change effectif en livres libanaises a presque doublé entre 1992 et 2004, causant une baisse significative de la compétitivité des exportations. « La politique suivie a donc servi à subventionner les importations, en contenant leur coût, tout en pénalisant les exportations. » À ce handicap s’ajoute celui des taux d’intérêt réels. Ces derniers ont été en moyenne de 8,8 % entre 1993 et 2004, alors que le taux de croissance réelle était de 3,9 % sur la période considérée. « Ce différentiel est funeste pour toute entreprise ! Il ne décourage pas seulement l’investissement, mais entrave tout simplement l’activité économique », commente Toufic Gaspard. L’économiste considère que le niveau des taux d’intérêt est un élément de politique monétaire et non pas le résultat d’un équilibre dicté par le marché. Il en veut pour preuve la stabilité absolue des taux (sur les bons à deux ans de référence) pendant 36 mois consécutifs entre octobre 1999 et octobre 2002, « forcément obtenue à la suite d’un accord entre la Banque centrale et les principales banques commerciales ». Désintermédiation bancaire Il est vrai que des ONG et Kafalat compensent la cherté du crédit par des prêts subventionnés, mais les crédits concernés ne représentent que 1 % du total des crédits au secteur privé, souligne l’économiste. De façon générale, Toufic Gaspard estime que les banques ignorent les PME. « Nous assistons à un phénomène alarmant de désintermédiation bancaire », souligne-t-il. D’une part, 5 % des bénéficiaires de crédits bancaires obtiennent 81 % de la valeur de ces prêts, pour un montant moyen de 2,6 millions de dollars, tandis que 95 % des autres bénéficiaires se partagent 19 % des prêts pour un montant moyen de 35 800 dollars. « Les crédits octroyés aux PME sont loin de correspondre à leur poids dans l’économie. » D’autre part, malgré la croissance exponentielle des banques, le secteur privé en général ne reçoit plus que 24 % des crédits bancaires, contre 46 % avant la guerre, alors que parallèlement l’État concentre 53 % des engagements des banques, contre 9 % avant la guerre. « Même en termes absolus, les crédits au secteur privé sont passés de 14,8 milliards de dollars en 2000 à 15,9 milliards en 2004, soit une différence inférieure aux intérêts accumulés sur la période. » Sibylle RIZK
Plutôt que de s’interroger sur les politiques publiques souhaitables pour promouvoir les petites et moyennes entreprises, thème de l’une des conférences organisées hier dans le cadre d’un séminaire sur les PME, l’économiste Toufic Gaspard a souligné la nécessité de commencer par changer les politiques publiques, de façon à ce qu’elles ne soient pas un « obstacle...