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Près de 10 000 électeurs dans un groupe de 17 villages À Tannourine, Boutros Harb reste maître du jeu, mais fait face à une contestation (Photo)

Tannourine (située à une trentaine de kilomètres de la ville de Batroun) n’est pas une localité, contrairement à ce que l’ont pourrait penser de prime abord, mais plutôt un regroupement de 17 villages et zones résidentielles s’étendant entre 800 et 2 000 mètres d’altitude sur une vaste région géographique représentant près de 2 pour cent de la superficie du Liban. Peuplée d’environ 35 000 habitants en été, elle compte un peu plus de 10 000 électeurs. La municipalité de Tannourine est la plus grande de tout le caza. Plus grande que celle de la ville même de Batroun. Le conseil est formé de 18 membres (contre 15 pour le chef-lieu du caza). Une quinzaine de familles forme le tissu social de cet agglomérat. La plus importante, qui représente à elle seule 40 pour cent de l’électorat, est la famille Harb dont les deux tiers des voix sont traditionnellement acquises au député Boutros Harb. Les autres grandes familles sont les Tarabay (ou Torbey), Younès, Mrad, Comair, Faddoul, Matar et Dagher. Compte tenu de son poids politique indéniable et de sa solide assise populaire, M. Boutros Harb a de tout temps en un rôle de premier plan dans le jeu électoral de Tannourine, et du « jurd » de Batroun en général, plus particulièrement lors des élections municipales. En 1998, à titre d’exemple, il avait parrainé une liste consensuelle regroupant les autres familles de la région et qui n’avait pratiquement pas de concurrent de poids. En dépit de ce consensus, 5 300 électeurs (soit plus de 50 pour cent des inscrits) avaient alors participé au scrutin municipal. Cette année, la liste soutenue par M. Harb a fait face, pour la première fois, à une sérieuse opposition née de la formation d’une liste appuyée, notamment, par le courant aouniste, les Forces libanaises, des jeunes indépendants et M. Manuel Younès, adversaire de M. Boutros Harb. Pour les contestataires, la mise sur pied d’une telle liste est en soi une « victoire morale et symbolique, car cela a brisé un tabou, en l’occurrence la prépondérance de M. Harb au niveau du jeu électoral dans la région ». Cette vision des choses est partagée par le député de Batroun qui estime qu’effectivement, son leadership et sa place politique sur l’échiquier local sont visés dans cette bataille municipale. Affable, accueillant et courtois, M. Harb nous reçoit dans sa résidence rurale, bondée de partisans et théâtre d’une activité particulièrement fébrile. « Certaines fractions ont voulu donner une tournure politique à la bataille, estimant que j’ai pris une envergure politique un peu trop grande et qu’il fallait, par conséquent, me rogner les ailes, souligne M. Harb. Il est incontestable que si ma position est ébranlée ici, cela ne peut servir que le gouvernement. J’ai tenté de prôner un consensus, mais certaines parties s’y sont opposées car elles cherchent à polariser la population dans la perspective des prochaines élections législatives. D’autres fractions, telles que les aounistes, sont politiquement contre moi et ont, par conséquent, refusé le consensus. » M. Harb précise sur ce plan que dans la pratique, de nombreux sympathisants des Forces libanaises votent pour lui et font même partie de sa machine électorale. « Je me suis allié à des familles qui sont traditionnellement mes adversaires, comme les Tarabay, précise en outre le député de Batroun. En tout état de cause, ce n’est pas moi qui ait choisi les membres de la liste, mais les familles. Je ne fais qu’apporter mon appui. » La tête de liste de la coalition parainée par M. Harb, le Dr Issam Torbey, abonde dans le même sens. Médecin de profession, particulièrement actif depuis de nombreuses années dans le domaine médico-social dans la région, il nous reçoit dans une splendide villa surplombant la vallée de Tannourine. Candidat pour la première fois à des élections municipales, le Dr Torbey a été désigné comme président potentiel du conseil municipal par la coalition des familles Harb et Tarabay. « C’est la famille Tarabay qui a proposé mon nom et la coalition l’a avalisé, affirme le Dr Torbey. La liste a été formée en concertation avec les Harb et les autres familles, et même au sein de la famille Harb, le député s’est concerté avec les différentes branches de sa famille. » Sur le plan pratique, le Dr Torbey se dit parfaitement conscient de la difficulté de la tâche qui l’attend, non seulement du fait du manque de moyens dont dispose le conseil municipal, mais surtout en raison d’un ensemble de facteurs inhérents à Tannourine. L’agglomération est d’abord particulièrement étendue et, de surcroît, la grande différence d’altitude entre les localités rend le travail plus complexe. Il reste que le Dr Torbey affiche sa détermination à améliorer la situation de la région et prône à cet égard un programme d’action ambitieux : réfection des routes internes ; développement de l’écotourisme ; exécution de projets médico-sociaux ; sauvegarde des ressources en eau ; amélioration de la situation des écoles et des clubs ; coopération avec des ONG internationales. Pour pallier les moyens modestes dont dispose la municipalité, le Dr Torbey souhaite amener les habitants à participer activement à l’effort de redressement en fonction de leurs possibilités. « Nous estimons que la bataille que nous menons est essentiellement une bataille pour le développement de la région, même si la partie adverse cherche à politiser le scrutin, souligne-t-il. En tout état de cause, dès le lendemain de l’élection, nous considérerons que la page est tournée et nous tendrons la main à l’autre partie pour coopérer ensemble en vue de servir la région. » Lutter contre le « féodalisme politique » Dans le camp adverse, le discours est beaucoup plus politisé. Le responsable du courant aouniste dans le caza de Batroun, Tony Harb, souligne sans détours que pour les partisans du général Michel Aoun, la bataille vise à s’opposer à la logique du « féodalisme politique et du partage du gâteau entre les clans ou les familles ». « Les expériences passées ont montré que les conseils municipaux issus de la volonté des pôles familiaux ont pratiquement paralysé l’action municipale et plongé Tannourine dans le sous-développement, affirme M. Harb. La liste que nous soutenons regroupe des membres des différentes familles, mais non pas des représentants des familles, en ce sens que ces membres n’ont pas été choisis en leur qualité de représentants du féodalisme politique. » Le responsable aouniste tient à préciser dans ce contexte que la bataille n’est nullement dirigée contre Boutros Harb en personne, mais plutôt contre « le clientélisme à caractère familial et clanique ». « C’est Boutros Harb qui mène campagne contre nous, affirme-t-il. Nous voulions que les forces politiques restent au-dessus de la mêlée et laissent les forces vives de la région jouer le jeu démocratiquement. En tout état de cause, notre objectif était d’affirmer la présence de notre courant face au féodalisme politique. » Le représentant des Forces libanaises à Tannourine, Kanaan Tarabay, tient un discours plus nuancé et souligne que le soutien du courant FL à la liste opposée à celle de M. Boutros Harb est motivé par des considérations non pas politiques mais essentiellement municipales. « Nous n’avons pas de position hostile à Boutros Harb, contrairement aux aounistes qui ont mené une bataille politique contre lui », précise le responsable FL, qui souligne que nul ne peut nier que le député de Batroun a une stature d’opposant. « M. Harb est une figure opposante et à ce titre, nous ne pouvons pas croiser le fer avec lui, indique Kanaan Tarabay, qui reconnaît que plusieurs sympathisants et militants FL ont sans doute décidé de voter pour la liste de Boutros Harb pour des considérations familiales ou personnelles. « Mais en tant que courant FL, nous avons estimé que la seconde liste (soutenue par les aounistes) est un meilleur choix pour le développement de la région. » Le courant FL, qui peut compter sur un capital de près de 500 voix à Tannourine, a appuyé la seconde liste en dépit du fait qu’il n’avait pas de candidats. Une réaction au « despotisme » Dans le camp opposé au député de Batroun, Me Assaad Tarabay – qui a été l’un des premiers éléments moteurs de la liste « contestatrice » – ne se montre pas particulièrement tendre pour Boutros Harb. Soulignant que la mise sur pied de la liste opposée à M. Harb est « une victoire en soi, quel que soit le résultat », Me Tarabay affirme que cette seconde liste est « une réaction au despotisme de M. Harb, qui a imposé la composition de la liste qu’il a parainée. Notre attitude est une réaction au fait que rien n’a été fait pour la région alors que depuis trente ans, M. Boutros Harb contrôle tout et toutes les municipalités qui se sont succédé à Tannourine », déclare Me Tarabay, qui précise qu’un large courant au sein de sa famille a refusé de s’allier au député de Batroun. Hier soir, les dés étaient jetés et les premières estimations donnaient une nette victoire à la liste soutenue par le député de Batroun. Une rude tâche attend désormais le nouveau conseil municipal. Car une simple tournée dans la région de Tannourine permet de constater à quel point celle-ci est gravement défavorisée en matière de développement. Reste à savoir si une municipalité alignée sur une personnalité de l’opposition ne sera pas, dans la pratique, paralysée par des blocages suscités par le pouvoir. Michel TOUMA
Tannourine (située à une trentaine de kilomètres de la ville de Batroun) n’est pas une localité, contrairement à ce que l’ont pourrait penser de prime abord, mais plutôt un regroupement de 17 villages et zones résidentielles s’étendant entre 800 et 2 000 mètres d’altitude sur une vaste région géographique représentant près de 2 pour cent de la superficie du Liban....