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Actualités - OPINION

POINT DE VUE La peine de mort

Par Salah HONEIN, député de Baabda Il serait bon de commencer en faisant un parallèle avec un autre débat qui avait eu lieu il y a quelques années en Europe lors de l’abolition de la torture, quand nombre de citoyens de l’époque affirmaient que celle-ci était le bras armé de la justice et protégeait les bons citoyens des mauvais. Pourtant, aujourd’hui, bien que la torture demeure pratiquée sournoisement, non seulement elle ne peut être défendue, mais elle peut faire tomber des gouvernements et pas des moindres. Nous pouvons citer en exemple ce qui s’est passé dernièrement dans les prisons irakiennes et les conséquences qui pourraient avoir lieu bien au-delà des frontières de l’Irak. Notons au passage qu’au Liban, le Parlement élu en l’an 2000 a suspendu l’application d’une ancienne loi qui statuait que le tueur devait être tué. Par conséquent, le juge peut maintenant apprécier et évaluer l’existence ou non de circonstances atténuantes. Cette première étape est quand même importante vu qu’elle a eu lieu après des temps troubles qui ont été témoins d’épreuves terribles et de crimes atroces. Il semblerait maintenant que les sensibilités soient prêtes à l’égard du débat sur l’abolition de la peine de mort. Le premier pas est significatif. Après la paix des armes, il faudra établir la paix des âmes. Cependant, il y a toujours la crainte de l’opinion publique. Serait-il démocratique de l’ignorer ? Faudra-t-il organiser un débat public à cet égard ou bien le Parlement devra-t-il prendre l’initiative et jouer le rôle de phare dans les multiples zones d’ombre qui subsistent au niveau de notre société, de nos lois et de nos structures ? La peine de mort ou son abolition, c’est d’abord un choix moral à faire. En effet, la peine capitale est considérée comme un acte d’agression prémédité et délibéré sur une personne incapable de se défendre. Elle est planifiée à l’avance et exécutée froidement, et non par légitime défense ou passion. Elle est par conséquent souvent appelée « meurtre d’État ». Par ailleurs, la peine de mort suggère qu’il n’y a pas d’espoir de réhabilitation ou de rédemption pour un criminel. Elle déshumanise la personne à exécuter en prétendant qu’elle est soit un monstre faisant partie d’une espèce pas tout à fait humaine, soit une personne fondamentalement mauvaise alors qu’elle demeure un être humain qui peut valoir plus que son crime, ou bien un individu inférieur, surtout que l’on remarque que la peine de mort a surtout été utilisée contre les personnes les moins privilégiées. La peine de mort serait-elle donc une analyse simpliste du phénomène complexe du crime ? Conditionnerait-elle les gens à penser qu’il y a des êtres humains si mauvais et si inutiles qu’ils méritent d’être éliminés par l’État ? Serait-elle l’antithèse de la compassion et de la compréhension ? Peut-on, par ailleurs, apprendre quelque chose à un criminel en le tuant ? Le punit-on mieux en lui ôtant la vie ou alors en le privant de sa liberté pour une période proportionnelle à l’atrocité de son crime ? La peine de mort ou son abolition est en second lieu un choix politique à faire, car dans tous les pays où la liberté est inscrite dans les constitutions et respectée dans l’application, la peine de mort a pratiquement disparu. Par contre, partout dans le monde où triomphent la dictature et le mépris des droits de l’homme, on y trouve la peine de mort bien établie et bien ancrée, d’autant qu’elle naît de l’idée que l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. La peine de mort ou son abolition est par ailleurs un choix politique vu que certains voient dans cette pratique une sorte de recours ultime de la démocratie contre la menace que constitue le terrorisme. Cependant, le crime politique n’a jamais reculé devant le danger de la mort et le terrorisme, encore moins lorsque l’on pense à la fascination du terroriste pour la violence et la mort. Quelle que soit l’idéologie prônée par le terroriste, il sera toujours animé par la culture de la mort et il ne serait qu’illusoire de croire que celle-ci l’arrêterait. Le choix politique réside aussi dans le fait qu’aux yeux de certains, l’exécution du terroriste en fait un martyr qui a été jusqu’au bout de ses convictions et qui a servi sa cause jusqu’à la mort. Cette transcendance a de quoi éblouir et attirer les plus vulnérables, et la peine de mort viendrait alors émanciper le terrorisme au lieu de le juguler. À cette dimension politique vient s’ajouter une dimension morale : utiliser la peine de mort contre les terroristes, c’est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs meurtrières. Ainsi peut-on enseigner à une société qu’il est mauvais de tuer tout en tuant, et froidement de surcroît. Des contradictions difficiles à surmonter. Nous avons déjà mentionné que la peine de mort ou son abolition était un choix moral et politique. Elle est aussi un choix juridique. Pour les partisans de la peine de mort, la mort du coupable est une exigence de justice. Toutefois, cela signifie que la loi du talion demeurerait, à travers les millénaires, une loi nécessaire à la justice humaine, ce qui est inconcevable à notre époque en raison du progrès et de l’évolution de la justice, qui ont fait que les actes de vengeance sont désormais dépassés et la loi du talion refusée. Elle est aussi un choix juridique lorsque l’on évoque la peur de la récidive, la seule garantie étant la mise à mort du criminel. Dans cette optique, la justice tuerait plus par précaution que par vengeance, et elle se transformerait dès lors en justice d’élimination. Mais enfouis au cœur même de la justice d’élimination, veillent le racisme et le parti pris. Si, en 1972, la Cour suprême des États-Unis a penché vers l’abolition, c’est essentiellement parce qu’elle avait constaté que 60% des condamnés à mort etaient des Noirs, alors qu’ils ne représentaient que 12% de la population. Le Liban, précautionneux, a cru résoudre cet aspect discriminatoire en répartissant les exécutions des peines de mort selon un prorata confessionnel rigoureux. Parti pris, équilibre confessionnel: deux faces d’une même monnaie... de singe. Dans la case du choix juridique, on trouve aussi la terrible erreur judiciaire. Néanmoins, ceux qui prônent une justice qui tue sont convaincus de ce qu’il existe des hommes totalement coupables, mais aussi une justice completement infaillible, ce qui ne peut être, car aucun homme n’est entièrement responsable et aucune justice humaine n’est absolument infaillible. Reste en dernier le choix de l’impact de la peine de mort ou de son abolition sur la courbe de la criminalité sanglante. Dans ce domaine, la peine de mort ne semble pas peser lourd dans la balance de la dissuasion ou de la répression, étant donné que les crimes les plus terribles sont souvent commis par des hommes ou des femmes emportés par une pulsion de violence et de mort qui annihile les défenses de la raison. À cet instant de passion meurtrière, la notion de peine n’influence aucunement l’homme ou la femme pris de folie. En septembre 1981, Robert Badinter affirmait devant l’Assemblée nationale francaise que « la passion criminelle n’est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d’autres passions, nobles celles-là, ne le sont. Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n’auriez ni grands soldats ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n’hésitent pas devant la mort. D’autres, emportés par d’autres passions, n’hésitent pas non plus. C’est seulement pour la peine de mort qu’on invente l’idée que la peur de la mort retient l’homme dans ses passions extrêmes ». Quant aux criminels organisés, ceux de sang-froid, les ennemis publics, ceux qui pèsent le risque, méditent le profit et évaluent la peine, ceux-là font de sorte, même si pris, de ne pas être menés à l’échafaud. Par ailleurs, selon nombre d’études conduites par le Conseil de l’Europe, le Parlement européen et les Nations unies, il n’a jamais été établi de corrélation quelconque entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de criminalité sanglante. Aussi, les grandes démocraties européennes auraient-elles voté l’abolition si elles avaient pensé que celle-ci pouvait être dissuasive contre la criminalité ? Quand on évoque la peine de mort, pointe à l’horizon le droit de grâce. On sait qu’au Liban, par exemple, le président de la République dispose de ce droit. Je citerai encore une fois, ici, Badinter, déclarant devant l’Assemblee nationale française que « lorsque le roi représentait Dieu sur la terre, qu’il était oint par la volonté divine, le droit de grâce avait un fondement légitime. Dans une civilisation, dans une société dont les institutions sont imprégnées par la foi religieuse, on comprend aisément que le représentant de Dieu ait pu disposer du droit de vie ou de mort. Mais dans une République, dans une démocratie, quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun pouvoir ne sauraient disposer d’un tel droit sur quiconque en temps de paix ». En conclusion, la peine de mort, comme le crime, est un supplice. Peut-on remplacer un supplice par un autre ? Peut-on faire disparaître le crime avec le criminel ? L’État exécute des gens en notre nom, ce qui nous rend responsables d’une certaine façon de cette machine de mort, du moins si on l’approuve. Toutefois, il n’est pas dit qu’un criminel resterait impuni, car les sentences de prison existent, de même que la perpétuité, si l’on estime que la sécurité des bons citoyens est compromise. Parce que c’est aussi et surtout d’eux qu’il s’agit. Mais aussi il faudrait que les prisons libanaises soient aptes a la réhabilitation des prisonniers, sinon l’espoir de régénérer leurs côtés les plus humains finirait par s’estomper et s’évaporer, et le mal ne serait pas guéri, mais sombrerait de surcroît dans la misère.
Par Salah HONEIN,
député de Baabda

Il serait bon de commencer en faisant un parallèle avec un autre débat qui avait eu lieu il y a quelques années en Europe lors de l’abolition de la torture, quand nombre de citoyens de l’époque affirmaient que celle-ci était le bras armé de la justice et protégeait les bons citoyens des mauvais.
Pourtant, aujourd’hui, bien que la torture...