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Actualités - OPINION

CITOYEN GROGNON - La « bétonite aiguë », bonjour l’asphyxie

Chantiers par-ci, constructions par-là, béton par-ci, grisaille par-là... y a de quoi étouffer. Y a de quoi se demander ce qu’il est advenu du Liban vert. Tiens ! Et si on l’appelait plutôt Liban béton ? C’est tellement plus adéquat ! Mais nettement moins joli ! Dans la capitale, les immeubles de béton s’entassent pêle-mêle comme des sardines. Belle promiscuité ! Plus question d’intimité. Le voisin vit carrément chez vous. Il épie vos moindres mouvements. Il a une vue plongeante sur votre salon, lorgne votre chambre à coucher, s’invite même dans votre salle de bains. C’est son linge plus blanc que blanc qui vous sert de décor, à défaut d’une vue paradisiaque sur la mer ou la montagne. Mais qu’importe tant que quelque chose brise quelque peu cette grise monotonie. Dans les quartiers, plus le moindre espace pour respirer. La plus petite parcelle est aussitôt transformée, en moins de deux, en immeuble « super de luxe », mais néanmoins en béton. Même les terrains vagues, qui servaient autrefois d’aires de jeux aux enfants en mal de loisirs, sont désormais la proie d’entrepreneurs peu scrupuleux, aux projets mirobolants, qui, alléchés par l’appât du gain, rognent encore quelques centimètres, voire quelques mètres, sur le trottoir, la route et l’espace public. Pour les enfants pauvres, plus question de jouer au foot, histoire de se dégourdir les jambes. Ils n’ont qu’à aller voir ailleurs. Pourquoi pas du côté des rares « jardins publics », qui font plutôt office de dépotoirs ? Car le béton est désormais le maître incontestable et incontesté de la ville. Y a qu’à voir ces buildings qui s’approprient jusqu’au ciel et offrent au regard leur triste grisaille. Qu’à poser les yeux sur ces carcasses d’immeubles, inachevées, promises à des lendemains meilleurs, qui attendent depuis une éternité le coup de pinceau salvateur. Qu’à jeter un œil sur ces vieilles constructions aux façades blafardes et éventrées qui n’aspirent plus qu’au repos éternel. Au milieu de ce béton envahissant, de cette ville asphyxiée qui ne sait plus respirer, créer des « espaces verts » est devenu illusoire. Sur les trottoirs, les ronds-points ou les axes principaux, en béton je vous prie, quelques arbres faméliques tentent vainement de survivre. Le long des rares promenades, en béton elles aussi, quelques parterres de fleurs éphémères aux couleurs vives vous narguent. Quelle vantardise ! Et voilà ce que nous avons en guise d’espaces verts dans la capitale. Mais pardon, nous oublions la Forêt des Pins de Beyrouth. Ce merveilleux jardin public réaménagé il y a plusieurs années et qui attend toujours d’être ouvert au public. Oubli significatif, car le seul lieu de la capitale qui puisse revendiquer l’appellation d’espace vert ou de jardin public est aujourd’hui interdit d’accès au citoyen. Est-il trop beau pour le Libanais moyen qui étouffe dans son logement si étroit ? Est-il trop précieux pour les enfants pauvres, désormais interdits de jeu ? Est-il trop distingué pour un peuple que l’on conforte dans son manque de civisme, sans pour autant vraiment chercher à l’éduquer ? Aujourd’hui, la « bétonite aiguë » de la capitale a contaminé les régions périphériques, gagné les côtes sablonneuses, mais aussi les villages verts et rustiques. Face à la mer, de hideux complexes ont confisqué aux citoyens la vue de la grande bleue alors que les bulldozers ravagent encore ce qui reste de nos forêts. Dans les villages, le béton a remplacé la pierre de taille, les constructions ont dévoré les espaces verts, les maisonnettes traditionnelles ont cédé la place à des « centres » qui n’en ont que le nom et demeurent vides faute de candidats. Au milieu des places ou des carrefours, fleurissent des monuments en béton, horloges, sculptures et autres bizarreries, aussi incongrus que désolants. Mais d’espaces verts, d’aires de jeux ou de jardins publics, point ! Bienvenue au Liban, pays du béton et de l’asphyxie. Anne-Marie EL-HAGE
Chantiers par-ci, constructions par-là, béton par-ci, grisaille par-là... y a de quoi étouffer. Y a de quoi se demander ce qu’il est advenu du Liban vert. Tiens ! Et si on l’appelait plutôt Liban béton ? C’est tellement plus adéquat ! Mais nettement moins joli !
Dans la capitale, les immeubles de béton s’entassent pêle-mêle comme des sardines. Belle promiscuité !...