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Actualités - OPINION

perspectives - Les municipales se transforment en laboratoire pour une nouvelle distribution des rôles Amal-Hezbollah, le duel qui fait peur... aux chrétiens

«Nous vivons un dilemme terrible. C’est une chose d’appuyer le projet de résistance du Hezbollah, une autre de voter pour lui dans les municipales, qui touchent à la vie quotidienne. Mais si nous ne le faisons pas et qu’en définitive, comme tout semble l’indiquer, il remporte les élections, ne risque-t-il pas de se venger sur nous ? » Cette chrétienne de Tyr exprime à haute voix ce que beaucoup d’habitants du Sud pensent tout bas. Face au grand duel, qui a des allures de règlements de comptes, opposant actuellement le mouvement Amal et le Hezbollah, beaucoup de gens sont perdus et ne comprennent pas comment une échéance municipale peut devenir un enjeu existentiel. Et si, pour des raisons politiques, Amal devait quitter la scène, qui prendrait la relève ? Depuis des années, en fait depuis l’accord de Taëf, le Sud n’avait pas connu une bataille aussi féroce. Image des morts et des vivants, grands principes et attaques personnelles, tous les moyens sont bons pour gagner quelques voix, comme s’il s’agissait d’un enjeu vital pour l’avenir de la région. Longtemps bridés par les Syriens et contraints à une coopération positive, les deux grandes formations chiites, Amal et le Hezbollah, se livrent une guerre sans merci, chacune voulant, à travers l’échéance municipale, envoyer des messages aux décideurs de ce monde. La revanche du Hezbollah Pour le Hezbollah, l’enjeu est clair : il veut enfin obtenir la place qui, selon lui, lui revient de droit sur la scène politique et populaire libanaise, et montrer à tous ceux qui l’accusent de terrorisme qu’il est une formation bien implantée dans le tissu social libanais, porteuse de projets aussi bien nationaux que de développement. Et pour renforcer cette nouvelle image qu’il veut donner de lui, il n’hésite pas à jouer sur la fibre nationale des Libanais et sur un sentiment antiaméricain grandissant au sein de la population. C’est tantôt une réactivation du front de Chebaa, tantôt l’organisation de « fuites » dans la presse sur le processus d’échange de prisonniers avec Israël et, plus récemment encore, le démantèlement d’un réseau affilié au Mossad qui planifierait l’assassinat du secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah. Ce dernier s’investit lui-même dans la situation irakienne, voulant ainsi gagner encore plus la sympathie de la communauté chiite libanaise, outrée des attaques contre les lieux saints de la communauté, et s’affirmer comme le seul grand représentant des chiites du Liban en se dotant d’une envergure qui dépasse les frontières. Dans ce duel avec Amal, le Hezbollah joue à merveille sur la confusion des critères, mélangeant son projet national de résistance à une situation imposée en Palestine et en Irak avec les enjeux d’une bataille municipale, qui reste un projet de développement limité à chaque localité. Mais si les chiites du Sud, souvent fatigués du « règne d’Amal », peuvent se laisser entraîner dans cet amalgame, les chrétiens de la région, eux, voient les choses d’un œil différent. Beaucoup d’entre eux n’ont pas vraiment eu à se plaindre du comportement du mouvement présidé par Nabih Berry – depuis la fin officielle de la guerre –, qui reste, à leurs yeux, un leader modéré et une sorte de garantie face à l’extrémisme. Certes, le Hezbollah n’a jamais non plus eu un comportement discriminatoire ou confessionnel, mais le mode de vie de ses partisans ne peut pas séduire les chrétiens. Car si la plupart d’entre eux appuient le projet national de résistance du Hezbollah, tous continuent à faire une distinction entre ce projet et la vie quotidienne. En temps normal, nul n’aurait parlé de ce phénomène, mais la bataille est si âpre que les voix des chrétiens du Sud pourraient faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre dans de nombreuses localités du Sud. Le Hezbollah l’a d’ailleurs bien compris puisque, depuis quelques semaines, il courtise les chrétiens, ses représentants multiplient les déclarations apaisantes à leur égard, affirmant que si leurs listes sont élues, il n’est pas question d’islamiser les villages. Seulement, de telles déclarations peuvent-elles suffire à rassurer des habitants qui se sentent, dans certains villages, de moins en moins chez eux ? Les appréhensions des chrétiens de Tyr À Tyr, par exemple, ville à vocation touristique, comment effacer les appréhensions d’un tel qui compte ouvrir un restaurant et peut-être une boîte de nuit sur la plage ? Ou de tel autre qui affirme que même si le Hezbollah laisse la pleine liberté aux gens de vivre comme ils le souhaitent, le climat sera tel que, même inconsciemment, la tendance sera à plus de réserve et d’austérité. Comme le fait remarquer une habitante de la ville: « C’est une chose d’appuyer le Hezbollah, tout en vivant tranquillement à Jounieh ou à Achrafieh, c’en est une autre de l’élire à la municipalité de son propre village. Allez donc faire un tour dans les villages du Sud libérés en mai 2000. Le paysage social y a discrètement mais sûrement changé, et en remportant les élections municipales, le Hezbollah ne pourra que marquer de plus en plus son empreinte sur la vie des villages. Sans contrainte ou mesures vexatoires, mais petit à petit, en misant sur le temps. » La personne qui tient un tel discours n’est nullement une extrémiste chrétienne, mais elle déplore une situation de fait, qui n’a rien à voir avec les options stratégiques et nationales. Cette crainte-là pèse d’ailleurs sur l’ensemble du Sud. Car si tout le monde souhaite appuyer un Hezbollah pris pour cible par les Israéliens pour le compte des Américains, son projet de vie suscite malgré tout de grandes réserves chez les chrétiens et chez les musulmans. Et s’il est désormais acquis que les Syriens, entre autres parties, souhaiteraient donner, à travers les municipales, une leçon au mouvement Amal, présidé par M. Nabih Berry, pour des erreurs commises ou des alliances nouées, la relève inquiète les milieux populaires. Depuis des années, c’est Amal qui s’adjugeait la part des chiites dans les institutions de l’État et dans les groupes populaires. Qui pourrait désormais le faire ? La disgrâce présumée du mouvement ouvre de nombreux appétits, mais si le Hezbollah est le plus habilité à assurer la relève, il est loin d’être un choix rassurant. Et sur la scène chiite, mais aussi nationale, toutes les cartes sont en pleine redistribution. Tout cela à cause des municipales qui, finalement, sont en train de servir de laboratoire pour, sans doute, la même formule chimique, mais avec de nouveaux dosages. En tout cas, elles pourraient bien entraîner une nouvelle distribution des rôles. Scarlett HADDAD
«Nous vivons un dilemme terrible. C’est une chose d’appuyer le projet de résistance du Hezbollah, une autre de voter pour lui dans les municipales, qui touchent à la vie quotidienne. Mais si nous ne le faisons pas et qu’en définitive, comme tout semble l’indiquer, il remporte les élections, ne risque-t-il pas de se venger sur nous ? » Cette chrétienne de Tyr exprime à...