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Actualités - OPINION

Abou de souffle

Pour les Palestiniens qui ne cessent d’encaisser coup dur sur coup dur, pour les Américains enferrés en Irak et qui souhaitent faire bouger quelque peu les choses au Proche-Orient, pour les Israéliens qui ne savent trop s’ils doivent ou non renoncer à Gaza, le courtois Ahmed Qoreï peut-il être l’homme de la situation ? À défaut d’être reçu à Washington, le chef du gouvernement palestinien autonome vient de rencontrer tour à tour, à Amman et à Berlin, Colin Powell et Condoleezza Rice, qui incarnent comme on sait deux facettes différentes de la schizophrénique Administration US. Au Forum économique mondial de Jordanie, le chef de la diplomatie américaine a fait assaut de conciliation envers les Arabes. Il a été ainsi le premier responsable US à présenter des excuses – des vraies, directes, formelles exprimées sans chichis – aux victimes des tortures pratiquées par des Américains dans la tristement célèbre prison d’Abou Ghraib. Et il a condamné sans détour les démolitions d’habitations auxquelles se livrent les Israéliens à Rafah, sous prétexte d’aménager un fossé destiné à empêcher toute contrebande d’armes entre l’Égypte et la bande de Gaza. Quant à elle, la conseillère de la Maison-Blanche en matière de sécurité n’aura pu s’empêcher de s’extasier devant l’énorme sacrifice consenti par cet apôtre de la paix bien connu qu’est Ariel Sharon, quand il presse les Israéliens « de partager la terre (!) avec les Palestiniens », quand il les prévient, le vertueux homme, qu’Israël ne pourra absorber « tous » les territoires qu’il occupe. Toujours est-il que les Américains ont obtenu de Qoreï qu’il cautionne publiquement le retrait de Gaza envisagé par Israël, dans son espoir – à chaque jour sa peine – que ce retrait pourra relancer la négociation sur tout le reste. Un reste dont Israël se promet de conserver de larges portions, ce qui est dit en toutes lettres dans ledit plan Sharon. Le fait est que l’Autorité palestinienne n’a d’autre choix que de prendre son mal en patience. Et de se préparer à gouverner, à l’ombre d’une autonomie étroitement surveillée et menacée, ce concentré explosif de nature ingrate, de promiscuité miséreuse et d’anarchie armée qu’est la bande de Gaza. S’y refuser, ce serait en effet se couvrir de ridicule à l’image du tandem Damas-Beyrouth s’élevant contre l’évacuation du Liban-Sud de l’an 2000, au motif qu’elle n’englobait pas les hauteurs syriennes occupées du Golan. Ce serait surtout faillir à la règle d’or qui a si bien réussi aux colonisateurs juifs de la Palestine : « Prends toujours et réclame davantage. » S’attaquer cependant, dans les conditions actuelles, à la gestion du microcosme de Gaza a tout l’air d’une mission impossible. D’Abou Ala’a comme de son prédécesseur Abou-Mazen, les États-Unis et Israël attendent rien moins qu’une série de miracles. Un de ceux-ci consisterait à chausser sans problème les bottes du chef historique des Palestiniens Yasser Arafat, boycotté sans appel. À la faveur d’un autre miracle, on verrait Qoreï imposer sa logique – et sa loi – aux extrémistes du Hamas dont le bastion se trouve précisément être Gaza ; et parvenir à le faire, miracle des miracles, en évitant une guerre civile palestinienne. Mais n’est-ce pas là la finalité à peine cachée du Plan Sharon, lui-même le fruit d’un vieux processus amorcé par les travaillistes israéliens et peaufiné par le Likoud ? À peine conclus en 1993, les accords d’Oslo n’ont cessé d’être retardés, remaniés, gelés et, en définitive, reniés par Israël. De l’Autorité autonome on a invariablement exigé, tout au long de la décennie écoulée, qu’elle réduise par la force les jusqu’au-boutistes ; et dans le même temps on lui a systématiquement dénié ces acquis qui lui eurent permis de démontrer le bien-fondé de son audacieux pari de paix. La « vision démocratique « de Bush n’a fait que donner plus de poids et de capacité de nuisance à cette pernicieuse logique. Aux Palestiniens dépossédés, refoulés, grignotés, saucissonnés, compartimentés dans des ghettos, on veut faire accroire que tous leurs problèmes seront réglés le jour où ils se doteront d’un gouvernement respectable et fréquentable. Que Yasser Arafat ait des tendances autocratiques, qu’il ait misé sur plus d’un tableau, qu’il ait puisé dans les maigres ressources financières de l’Autorité autonome est sans doute vrai et incontestablement malheureux pour le peuple palestinien ; mais au nom de quelle sorte de démocratie peut-on prétendre écarter celui que ce même peuple, à tort ou à raison et jusqu’à nouvel ordre, continue de considérer comme leur emblème vivant ? Et pour finir, par qui Arafat se fait-il traiter de malhonnête et de menteur ? Par un Sharon disant sans cesse la chose puis son contraire, et qui est lui-même l’objet d’une enquête pour corruption. Par une Administration américaine qui a accumulé les mensonges pour justifier son invasion de l’Irak ; qui a été éclaboussée, notamment en la personne du vice-président Cheney, par plus d’un scandale financier et qui se refuse à faire assumer à Donald Rumsfeld les conséquences « démocratiques » des barbares errements de ses geôliers, interrogateurs, tortionnaires et bourreaux. Cela dit bonne chance tout de même, Monsieur Qoreï. Issa GORAIEB
Pour les Palestiniens qui ne cessent d’encaisser coup dur sur coup dur, pour les Américains enferrés en Irak et qui souhaitent faire bouger quelque peu les choses au Proche-Orient, pour les Israéliens qui ne savent trop s’ils doivent ou non renoncer à Gaza, le courtois Ahmed Qoreï peut-il être l’homme de la situation ?
À défaut d’être reçu à Washington, le chef du...