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ÉCLaIRAGE - « Il y a désormais chez tous la conscience d’une fin de règne », explique Samir Frangié à « L’Orient-Le Jour » L’opposition nationale n’est plus druzo-chrétienne

Hussein Husseini et Sélim Hoss ont, simplement, lâché les eaux. C’est un bien joli, un bien inattendu cadeau de Noël que deux alliés modérés de la Syrie, deux alliés de très gros calibre – un ancien président de la Chambre et un ancien Premier ministre –, ont offert hier, chacun à sa façon, aux Libanais en général et à l’opposition en particulier. Mais aussi, sans doute, et le court terme le dira, ces deux lettres ouvertes à Bachar el-Assad sont un paquet enrubanné que ces deux éléphants politiques, convaincus, à raison, qu’on n’est jamais aussi bien servis que par soi, se sont envoyés à eux-mêmes. Sélim Hoss d’abord. Voici un homme remarquablement intègre mais qui a commis de nombreuses erreurs de discernement politique, un vieux routier de la res publica certes, mais qui n’a jamais brillé par son charisme ; voici un volcan que l’on croyait trop vieux et qui, sans crier gare, sans préavis, sans tambour ni trompette, se réveille, appelle au redéploiement des forces armées syriennes dans la Békaa et à l’arrêt total des ingérences des services de renseignements militaires de Damas dans les affaires libanaises qui « ne les regardent absolument pas ». Parce que, a-t-il dit, ce « côté obscur » de la présence syrienne au Liban bafoue l’accord de Taëf, et stérilise d’avance toute tentative visant à construire puis consacrer l’unité nationale libanaise, que l’ancien locataire du Sérail sacralise par dessus tout. Sans oublier que même s’il commence par s’employer, sur des mètres et des mètres de phrases, à chanter les louanges des régimes Assad père et fils, Sélim Hoss assène une véritable leçon de politique au jeune président syrien, en lui rappelant que le Liban est à la fois « système et culture » démocratique, au sein desquels « le pluralisme, la multitude d’opinions, de positions, de croyances sont tout à fait naturels ». Qu’est-ce qui sépare désormais, politiquement parlant, Sélim Hoss des membres de la rencontre du Bristol ? Rien, ou presque. Kornet Chehwane et Walid Joumblatt doivent avoir le sourire (et Misbah Ahdab, Habib Sadek, entre autres, se sentir plus légers) : la bataille en faveur de l’indépendance, de la souveraineté et de la libre décision du Liban, la bataille en faveur de la démocratie n’est plus l’apanage des seuls chrétiens et druzes. Parce que (et qu’il ait perdu son strapontin parlementaire en septembre 2000 n’y change rien) Sélim Hoss reste une référence sunnite nationale incontournable. Et même pas rancunier, puisqu’avec cette lettre ouverte adressée au président syrien, il balise le terrain et montre la voie à suivre à celui de ses coreligionnaires qui l’avait privé, il y a quatre ans, de son siège de député de Beyrouth. Hussein Husseini ensuite. L’ancien n° 2 de l’État n’évoque certes ni redéploiement de l’armée syrienne ni arrêt des ingérences des SR. Beaucoup moins direct, moins frontal que Sélim Hoss, donnant, volontairement ou pas, le beau rôle à l’envahissant voisin et l’appelant carrément à l’aide – « aidez les Libanais à pouvoir exprimer leur volonté » –, il n’en fait pas moins un « redoutable et effroyable » constat, selon les termes utilisés par Samir Frangié pour qualifier la lettre ouverte du député de la Békaa. En administrant un retentissant soufflet au pouvoir en place – « l’État et les institutions libanaises n’existent pas ; il n’y a pas de loi électorale conforme au document d’entente nationale » – mais aussi, d’une façon bien plus ambiguë, au régime syrien, qui, en tuteur absolu, est responsable de la marche du pays, de l’État et de la non-nation libanaise depuis plus d’une décennie, comme des lois électorales qui se sont succédé depuis 1992. Particulièrement singulière est la démarche de celui qui avait fait (avec le même Sélim Hoss, avec Boutros Harb et Nayla Moawad, avec Omar Karamé et Albert Mansour...) les beaux jours, en 2004, d’un Front national pour la réforme aujourd’hui décédé. Et cynique. Mettant clairement le tuteur devant ses responsabilités, elle lui assène, entre les lignes, un presque zéro de conduite. En gros : puisque tutelle il y a, qu’au moins ce soit pour ne pas faire que du tort. On peut même aller plus loin : Hussein Husseini demande à cette tutelle responsable de tous les maux du Liban de travailler à la création de l’instrument même de la légitimisation et de la légalité de sa propre fin : la loi électorale. Seule à même d’installer un jour, dans six mois ou dans cent ans, ce pouvoir de substitution que Damas ne pourra plus contrôler et endoctriner. Il n’en reste pas moins que se bousculent depuis hier questions, hypothèses, interprétations et tentatives de réponses autour des motivations et du timing de ces deux lettres de rupture. Hussein Husseini et Sélim Hoss ont senti que le navire est sur le point de couler, ils le quittent avant de se noyer avec. Hussein Husseini et Sélim Hoss ont senti que le vent tourne, que les chrétiens et les druzes accompagnent depuis le début ce vent-là, et qu’ils ne peuvent plus se permettre de l’ignorer. Ou alors ces deux hommes ont quelque chose en eux comme des graines d’hommes d’État qu’ils ont longtemps cachées ; ils ne conçoivent pas de regarder passer le train de l’indépendance et de la souveraineté en parfaits spectateurs. Ou bien voient-ils le pouvoir actuel s’engluer et s’embourber jusqu’au haut du crâne ; ils veulent s’en démarquer totalement. Ou enfin, c’est la Syrie elle-même, comprenant que le changement est inéluctable, voire imminent, qui leur a demandé de catalyser la réaction. « Cela voudrait dire que la Syrie a compris qu’il fallait qu’elle revoit sa politique. Je ne pense pas que ce soit le cas. Je vois plutôt ce sentiment général partagé désormais par tous, cette conscience d’une fin de règne. Les deux hommes ont pris leurs distances, ils ont pensé à leur opinion publique », dit Samir Frangié, interrogé par L’Orient-Le Jour. Peu importe pourquoi ils l’ont fait. Hussein Husseini et Sélim Hoss ont contribué hier à une plus large déconfessionnalisation de l’opposition nationale plurielle. Et tout le monde le sait : plus on est de faiseurs, plus on fait. Ziyad MAKHOUL
Hussein Husseini et Sélim Hoss ont, simplement, lâché les eaux.
C’est un bien joli, un bien inattendu cadeau de Noël que deux alliés modérés de la Syrie, deux alliés de très gros calibre – un ancien président de la Chambre et un ancien Premier ministre –, ont offert hier, chacun à sa façon, aux Libanais en général et à l’opposition en particulier. Mais aussi,...