Rechercher
Rechercher

Actualités

Séisme de l’Asie du Sud - Communications impossibles, cellule de crise, réseaux de solidarité... À Bourj Hammoud, un échantillon de la détresse des 80 000 Sri-Lankais vivant au Liban (photo)

Ils sont environ 80 000 à travailler au Liban et, depuis dimanche dernier, ils vivent le cauchemar. Le tsunami a dévasté les côtes du Sri Lanka et, jusqu’à hier, beaucoup de ressortissants sri-lankais demeuraient sans nouvelles de leur famille. D’autres savent déjà qu’ils ont perdu leurs bien-aimés. Certains ont plié bagage pour rentrer chez eux. Avec le peu d’arabe qu’ils ont appris à force de vivre au pays et de côtoyer les Libanais, ils parlent avec des mots simples de leurs peine et inquiétude. Et une fois n’est pas coutume, les Libanais compatissent, tentent tant bien que mal de les soulager ou de les rassurer. À l’ambassade du Sri Lanka à Baabda, depuis mardi, une cellule de crise a été mise en place. « Ceux qui sont sans nouvelles de leur famille peuvent se rendre à l’ambassade, remplir des dossiers sur les personnes qu’ils recherchent. Nous enverrons les documents au ministère des Affaires étrangères, à Colombo, afin que les recherches soient effectuées », a indiqué à L’Orient-Le Jour un diplomate sri-lankais. « Jusqu’à présent, les contacts sont très difficiles avec certaines zones du Sri Lanka, mais nous faisons notre possible pour recueillir les informations sur place », dit-il. Le quartier sri-lankais de Bourj Hammoud, hier après-midi. La rue d’Arménie, où ont poussé, depuis des années, des échoppes qui vendent toutes sortes de produits de l’Asie de l’Est, vit au ralenti. Les ressortissants sri-lankais vont par groupes pour téléphoner à leur famille, tenter d’avoir une quelconque nouvelle, ou encore soutenir des amis qui ont perdu les leurs. Nigambo tient un magasin de textile sri-lankais. Depuis plusieurs années, il vit avec sa femme au Liban. « Mon fils, Joseph, et mes parents ont survécu par miracle au tsunami, raconte-t-il. Nous n’avons plus de maison, plus rien. Ils se sont réfugiés à l’église. Les moines leur donnent de quoi manger, de la soupe et du lait », ajoute-t-il. Nigambo parle avec un grand sourire. Les siens font partie des rescapés. D’ailleurs, depuis lundi, il les appelle tous les jours. Bien qu’il s’inquiète des épidémies qui peuvent sévir, ou d’autres tsunamis de faible amplitude qui peuvent encore toucher son pays, il garde l’espoir. « Le mois prochain, dit-il, je vais envoyer de l’argent pour que ma famille reconstruise la maison. » Rohan travaille dans une grande épicerie du quartier. Originaire de Colombo, sa famille a été épargnée par le séisme. Il a décidé d’être présent auprès des autres, qui ont eu beaucoup moins de chance. Depuis lundi, Rohan ne s’est pas reposé. « Grâce à nos contacts au Liban et au Sri Lanka, nous avons recueilli et recoupé plusieurs informations. Des villages entiers ont été détruits, dit-il. Beaucoup n’arrivent pas à contacter leur famille, un grand nombre de lignes téléphoniques est toujours coupé. De plus, au Sri Lanka comme au Liban, les gens se connaissent, l’on finit toujours par avoir des nouvelles », indique-t-il. Mouvement de solidarité Rohan ouvre un tiroir, sort une pile de e-mails écrits en cinghalais. Il les lit en arabe, afin que ses interlocuteurs comprennent. Il y a les noms de morts et de rescapés qui ont des proches au Liban. Il y a des histoires aux détails tristes, celles de familles et de villages entiers touchés par la catastrophe. Il lit aussi des informations que l’on retrouve sur tous les écrans de télévision, avec le nombre de victimes, les risques d’épidémies, le montant des aides humanitaires de la communauté internationale. « Même si ma famille n’a pas été touchée, c’est tout le Sri Lanka qui souffre », dit-il calmement. À des clients libanais venus acheter des spécialités cinghalaises, il raconte : « Jayami (sa collègue) est rentrée hier en catastrophe au Sri Lanka. Je lui ai moi-même acheté le billet. Toute sa famille, dont ses quatre filles, ont péri à Matara (sud du pays) », dit-il. Puis il baisse la voix, chuchote. Il désigne un homme, Sana, qui dort paisiblement au fond du couloir. « Sa femme, qui vivait avec lui au Liban, est partie pour les vacances, jeudi dernier, à Gallé (sud du pays). Elle a été emportée par le raz-de-marée. Son fils, âgé de dix ans, est grièvement blessé, il avait besoin d’être opéré. Aujourd’hui, j’ai téléphoné pour savoir s’il a subi l’opération chirurgicale », indique Rohan. Sana ne sait pas encore que de toute sa famille proche, seul son fils a survécu à la catastrophe. « Nous lui dirons petit à petit. Il ne supportera pas le choc », affirme Rohan, qui raconte encore : « Vous savez, il y a des Libanais qui ont péri au sud du pays. Un hôtel, à Gallé, dont le propriétaire est libanais, a été complètement détruit », dit-il. Un autre fonds de commerce, spécialisé dans le transfert d’argent et les communications internationales. Fatmini a l’oreille collée au téléphone. Sa famille a échappé à la catastrophe. La jeune femme a une liste sous les yeux. Elle compose des numéros, l’un après l’autre, sans se lasser. Peut-être que cette fois-ci serait la bonne, qu’elle pourrait avoir un interlocuteur à des milliers de kilomètres de Beyrouth pour lui donner une quelconque nouvelle. Fatmini explique : « Comme je travaille ici, beaucoup de personnes de la communauté sri-lankaise au Liban, qui ne parviennent pas à appeler leur famille, m’ont passé leurs numéros. Mais la communication est impossible avec certaines zones. » « Il ne reste plus rien dans certaines régions, les maisons et les êtres humains ont complètement disparu, se plaint-elle. Même si ma famille a eu de la chance, c’est tout mon pays qui souffre », dit-elle. Fatmini a reçu le feu vert de son ambassade pour rassembler des fonds qui devraient être envoyés au Sri Lanka. « Beaucoup de ressortissants de mon pays viennent pour téléphoner. Ils vont certes contribuer avec 1 000, 3 000, ou 5 000 livres. Je vais transférer, moi-même, l’argent à partir d’ici pour qu’il soit distribué aux plus démunis, note-t-elle. C’est notre devoir d’aider notre pays, et les sinistrés manquent de tout », indique-t-elle fermement. La détresse de ceux qui ont perdu les leurs Un restaurant cinghalais. Une dizaine de personnes boivent du thé autour d’une table tout en regardant, sur un écran presque minuscule, les nouvelles de CNN. Tous sont venus tenir compagnie à Nissa. Les larmes aux yeux, affalée sur une chaise, elle tire dans sa cigarette. Nissa a su hier que toute sa famille, ses sœurs, son frère, ses parents et ses deux filles, l’une âgée de 20 ans et l’autre de 18 ans, a péri dans un village de Gallé. « Je ne sais pas ce que je vais faire. J’ai un passeport, mais mes papiers ne sont pas en règle. Je veux rentrer au Sri Lanka mais j’ai peur d’aller à l’aéroport avec mon billet d’avion. Peut-être que la Sûreté générale m’arrêtera et m’emprisonnera. Cela fait quatre ans que je n’ai pas vu mes filles », se lamente-t-elle. « Je veux qu’on m’aide. Je veux partir. Mais pourquoi rentrer quand je sais que je n’ai plus personne au Sri Lanka et que mon village a entièrement disparu ? » se demande-t-elle. Elle baisse la tête, chuchote : « Je veux aller au bord de la mer, ici à Beyrouth, je veux qu’une vague m’emporte à moi aussi. Ça sera beaucoup mieux. » Un Libanais qui vient d’entrer au restaurant essaie de la rassurer maladroitement. « Peut-être que ceux qui t’ont raconté se trompent. Peut-être que tu retrouveras tes enfants et ta famille », dit-il. Mais Nissa ne veut plus rien entendre, elle répète comme une automate : « Je veux rentrer au Sri Lanka ou aller au bord de la mer à Beyrouth, ça sera beaucoup mieux pour moi si une vague m’emporte. » Nissa n’est pas la seule à être dans cette situation. Selon les personnes croisées à Bourj Hammoud, un grand nombre de ressortissants sri-lankais, dont le permis de travail n’est pas en règle et dont la famille a été touchée par la catastrophe, se trouvent dans l’impossibilité de rentrer chez eux de peur d’être arrêtés par la Sûreté générale. Assouka est soutenue par ses amies. Elle habite Mtayleb et elle se rendait pour la deuxième fois, hier, au quartier sri-lankais de Bourj Hammoud, pour tenter d’appeler sa famille qui habite dans un village de Matara. « Je sais que mon frère, son épouse et ses cinq enfants sont morts, mais je suis sans nouvelles de mon père et de ma mère, de mes trois sœurs et de ma fille, qui a 20 ans, dit-elle. Je vois les images à la télévision et je me demande s’ils sont partis comme tous les autres, ce qu’ils ont dû ressentir. Je vais devenir folle », ajoute-t-elle, la voix à peine audible. Assouka travaille depuis trois ans au Liban. Elle parvient à peine à tenir debout ou à articuler ses mots. L’une de ses amies raconte : « Depuis dimanche, elle n’a rien mangé, elle n’a pas travaillé. Assouka ne fait que regarder les images à la télévision. Nous essayons de ne pas la laisser seule. Car lundi, elle a fait une crise de nerfs. Elle a cassé toutes ses affaires à la maison. Si elle reste sans nouvelles, nous nous cotiserons toutes pour lui acheter un billet d’avion afin qu’elle puisse rentrer au Sri Lanka », indique-t-elle. Hier en soirée, les représentants des communautés des pays touchés par le séisme et le raz-de-marée en Asie du Sud ont appelé leurs ressortissants « où qu’ils se trouvent au Liban » à allumer des bougies, dimanche 2 janvier, à 19 heures, en mémoire des personnes qui ont péri dans la catastrophe. Ils ont également invité les Libanais à se joindre à ce recueillement. Patricia KHODER
Ils sont environ 80 000 à travailler au Liban et, depuis dimanche dernier, ils vivent le cauchemar. Le tsunami a dévasté les côtes du Sri Lanka et, jusqu’à hier, beaucoup de ressortissants sri-lankais demeuraient sans nouvelles de leur famille. D’autres savent déjà qu’ils ont perdu leurs bien-aimés. Certains ont plié bagage pour rentrer chez eux.
Avec le peu d’arabe...