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Actualités - OPINION

Les barreaux du néant

Aucun rapport, s’empresseront évidemment de protester les chantres des relations privilégiées et autres béni-oui-oui de la communauté de destin ; il n’empêche qu’en cette veille de la Nativité, la libération des deux journalistes français Chesnot et Malbrunot, kidnappés il y a quatre mois en Irak, commande impérieusement que soit remis sur le tapis un cas qui nous touche d’encore plus près : celui de ces dizaines de détenus libanais, civils et militaires, croupissant depuis quinze ans parfois – dans des geôles syriennes (et encore n’est-ce là que la meilleure des hypothèses) et dont on reste sans nouvelles. Aucun rapport, bien sûr, entre les bandes de coupeurs de têtes et de preneurs d’otages sévissant en Irak sous prétexte de résistance à l’occupation, et un État constitué, organisé, structuré tel que la Syrie ; mais n’est-ce pas précisément là une raison supplémentaire pour crier au scandale ; et comment peut-on croire qu’entre autres bienfaits de l’alliance « stratégique » entre nos deux pays un prisonnier libanais devrait se sentir invariablement chez lui, qu’il soit détenu à Roumieh ou à Mezzé ? Le plus grave est qu’officiellement ces prisonniers n’existent même pas : c’est ce qu’affirment invariablement les autorités de Damas, c’est ce que confirment par voie de conséquence celles de Beyrouth. Qu’ils soient morts ou qu’ils vivent encore, ces absents sont des non-êtres absorbés par le néant et tombés peu à peu dans l’oubli général : le vôtre, le nôtre, avouons-le. Leurs proches, eux, n’ont pas oublié ; regroupés en associations, ils n’ont cessé d’interpeller, de harceler, de frapper à toutes les portes, certains sont même allés jusqu’à offrir toutes leurs économies à des intermédiaires sans scrupule, qui promettaient de leur rapporter des bribes de « nouvelles » : tout cela en vain. Mais combien peut humainement durer si mortelle attente ; et imagine-t-on seulement le calvaire de ces citoyens et citoyennes qui ne savent toujours pas si l’espoir reste permis ou s’ils doivent enfin porter le deuil du fils, de l’époux, du père, du frère ? Il y a quelques jours seulement, on pouvait entendre sur une chaîne locale la supplique, entrecoupée de sanglots, d’une mère s’adressant par téléphone au distingué invité de l’émission, le président de la commission parlementaire des Droits de l’homme. Et que répondait-il, le distingué invité ? Que les prisonniers en Syrie c’est une vue de l’esprit, une chimère. Et comment pouvait-il en être si sûr, question idiote : « Les Syriens nous l’ont certifié. » C’est beau tout de même la tranquillité d’esprit, surtout quand d’autres se chargent de vous la procurer. On doit à la vérité de reconnaître toutefois que le digne parlementaire, bafouillant et rougissant – d’émotion, voudrait-on croire – a finalement consenti à voir ce qu’il pourrait faire. Ah, la bonne âme que voilà ! Ce qu’il y a à faire c’est tout simplement de dire la vérité, aussi cruelle risquerait-elle de s’avérer, et de rapatrier tous ces tragiques fantômes embastillés à un jet de pierre de leur propre terre. Car persister à nier le problème, ce n’est pas le résoudre et aider à tourner une des pages les plus noires de la République de l’après-guerre : ce n’est pas neutraliser l’un des venins qui pervertissent les relations libano-syriennes non point au niveau des gouvernements, mais du peuple. Des gestes significatifs sont requis, et non de pâles gesticulations résultant visiblement des pressions internationales croissantes sur la Syrie et le Liban, telles les vagues promesses de libération du prisonnier politique Samir Geagea et de retour au pays de l’exilé politique Michel Aoun. Tels aussi ces redéploiements militaires opérés au compte-gouttes et dont tout le monde sait qu’ils n’entament en rien l’hégémonie qu’exercent sur les affaires du pays des services dits de l’ombre, mais qui ne se privent pas d’intervenir au grand jour. Des gestes, que diable, et pas seulement parce que c’est la saison des cadeaux. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, c’est un bon coup de dignité et de respectabilité que devrait s’offrir un État libanais figé lui aussi dans le néant. Issa GORAIEB
Aucun rapport, s’empresseront évidemment de protester les chantres des relations privilégiées et autres béni-oui-oui de la communauté de destin ; il n’empêche qu’en cette veille de la Nativité, la libération des deux journalistes français Chesnot et Malbrunot, kidnappés il y a quatre mois en Irak, commande impérieusement que soit remis sur le tapis un cas qui nous...