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Actualités - ANALYSE

ÉCLAIRAGE Entre loi du nombre, propagande et incidences politiques Demain, une manifestation prosyrienne riche en problématiques

Un million de manifestants – issus des courants politiques au pouvoir depuis que la « pax syriana » prévaut au Liban – dans la rue mardi, entre le Musée et la place des Martyrs, pour jurer fidélité et loyauté à Damas, et pour conspuer une résolution internationale, en l’occurrence la 1559. Depuis une semaine, le microcosme libanais ne parle que de « ça ». À juste titre d’ailleurs, puisqu’il s’agit d’un phénomène politique qui pourrait avoir des retombées importantes sur la suite des événements. Et même s’il n’a pas de retombées directes et concrètes sur le terrain, ce phénomène pourrait opérer un glissement dangereux (de plus) vers une logique qui n’a plus grand-chose à voir avec le Liban consensuel et démocratique. Nul ne conteste, en droit, la liberté qu’ont les courants prosyriens et loyalistes de descendre dans la rue. Il s’agit d’un droit sacro-saint garanti par la Constitution, à travers sa référence, dans le préambule, au respect de la Déclaration des droits de l’homme et des conventions internationales. Et ce même si le pouvoir n’a pas toujours été très bienveillant dès lors qu’il s’agissait de reconnaître ce droit aux jeunes de l’opposition. Dans ce cadre, notent certains observateurs, on pourra toujours se poser – virtuellement – beaucoup de questions sur le fait de savoir pourquoi ce rassemblement a obtenu son « permis » aussi facilement. Certains opposants, qui ne masquent pas leur dégoût de la décrépitude institutionnelle qui prévaut aujourd’hui, vont jusqu’à parler, pour qualifier la justice, de « pseudo-appareil idéologique d’État aux mains du pouvoir et de la Syrie, au service de leurs intérêts ». Les questions qui interpellent, à la veille du rassemblement anti-1559, sont d’ordre politique. Celle qui revient le plus souvent se rapporte à l’opportunité même d’une manifestation organisée par une grande partie du pouvoir (Sleimane Frangié n’ayant pas manifesté beaucoup d’enthousiasme). Que ce soit Kornet Chehwane, Michel Aoun ou Walid Joumblatt, toute l’opposition plurielle a estimé qu’un pays où le pouvoir organise et encadre des manifestations n’a plus rien à envier au « modèle totalitaire » soviétique, ou à ses dérivés. Pour certains opposants, si les étudiants manifestent dans la rue pour la souveraineté et l’indépendance, c’est parce que le système politique hermétique et ultrabloqué ne permet pas de faire aboutir ces revendications. Aussi, les jeunes manifestent-ils pour perpétuer ces revendications et les transposer dans la rue, en investissant l’espace public. En d’autres termes, la manifestation est un « contre-pouvoir ». Utilisée par le pouvoir, qui a, en principe, les moyens de mettre en pratique sa politique, cette forme d’expression devient une forme de propagande. L’objectif étant pour les partis organisateurs, dont le Baas et le Parti syrien national social, de faire, avec les pieds, allégeance à la Syrie, tout en montrant à la communauté internationale qu’ils sont capables de mobiliser un grand nombre de personnes pour manifester leur refus de la 1559. En réponse aux étudiants place du Musée et place Riad el-Solh, un million de contestataires au même endroit. Partant, le système politique, avec ses garde-fous, est abandonné, et le débat, la confrontation politique, quitte les institutions pour se transposer dans la rue. Sous l’impulsion du pouvoir. Un terrain miné Le risque de ce jeu est de dynamiter le système politique lui-même. On entre donc, de plain-pied, dans le terrain miné de la violence politique, qui a autrefois débouché sur la guerre (dont l’un des combustibles avait d’ailleurs été une manifestation à Saïda, faut-il le rappeler). Depuis l’an 2000, date à laquelle les étudiants de l’opposition ont commencé à sortir de leur campus pour protester dans la rue, le pouvoir a souvent joué à ce jeu. En 2001, il y a eu les ahbaches, avec leurs coutelas et leurs haches, pour empêcher, avec succès, les sections estudiantines de l’opposition de manifester dans la rue le 13 avril. Puis, en novembre 2002, au moment où Kornet Chehwane appelait le peuple libanais à manifester à Achrafieh, la très sympathique et folklorique « cellule de Hamad » de cheikh Taha Sabounji, décidément sur la même longueur d’onde que les services de renseignements, appelait à une contre-manifestation. Le ministre de l’Intérieur pouvait alors trouver sa parade pour annuler les deux meetings. Cette fois, après les près de 5 000 étudiants « antisyriens » du Musée et de la place Riad el-Solh – qui ont apparemment beaucoup gêné le système syrien au Liban – les prosyriens promettent « un million » dans la rue. Le nombre est donc devenu un élément majeur de la joute. Le danger de cette logique est de saboter le contrat social sur lequel le Liban consensuel et indépendant a été édifié. Taëf ne s’est pas trompé sur ce point, en affirmant que « tout pouvoir qui viole le pacte de convivialité est illégitime ». Ce pouvoir, en crise grave de légitimité, surtout depuis l’amendement constitutionnel, a-t-il vraiment intérêt à entrer dans ce dédale qui pourrait coûter très cher à la formule libanaise ? Quant aux moyens utilisés par les partis pour recruter, toutes les rumeurs circulent. Pour assurer la présence du « million », affirme une source de l’opposition, ils n’ont pas hésité à utiliser le réseau clientéliste, dans les différentes régions. Des listes auraient été organisées, avec l’orchestration des Services, pour garantir la participation des civils. On dit même que les participants ont été « achetés » pour quelques dollars. Certains corps constitués ont également été mobilisés, comme le syndicat des salons de coiffure au Liban-Nord ! Également de la partie, poursuit cette source, des travailleurs syriens et palestiniens. Si cette information devait se confirmer, tous les chiffres sont possibles, mais l’identité du rassemblement n’aurait plus grand-chose de libanais. C’est pourquoi, souligne cet opposant de Kornet Chehwane, « les députés et ministres doivent refuser de servir de marionnettes ». D’autant qu’en encourageant en sous-main cette manifestation anti-1559, l’État contredit la position du gouvernement qui s’était engagé, dans la déclaration ministérielle, à ne pas aller à l’encontre des résolutions internationales. Toujours sur le plan politique, deux observations restent à faire. La première concerne la participation du Hezbollah à la manifestation. On aurait demandé au parti de Dieu de mobiliser 300 000 personnes mardi. Mais le parti hésiterait. Participer reviendrait à remettre en jeu l’acquis politique obtenu par le Hezbollah après le retrait israélien du Sud, et le rabaisser au niveau d’une vulgaire manipulation de politique intérieure. Ensuite, cela signifierait, aux yeux de la communauté internationale, que le Hezbollah prend catégoriquement position, sur l’échiquier, aux côtés des Syriens, et ne dispose plus d’une marge de manœuvre personnelle réelle. En résumé, ce serait réduire le Hezbollah à pratiquer un petit jeu de politique interne, et par la mauvaise porte en plus. D’où la volonté du parti de se démarquer du lot – avec l’aide de Walid Joumblatt au Beau Rivage – en prenant rendez-vous à Bkerké aujourd’hui pour expliquer sa position au patriarche maronite. La deuxième observation concerne Damas. La manifestation de demain pourrait être perçue comme une volonté syrienne de rester coûte que coûte au Liban, dans une attitude de défi face à la 1559. Paradoxalement, cette insistance coïnciderait et contredirait les propos de Farouk el-Chareh à Colin Powell concernant un retrait syrien dans les mois à venir. Elle mettrait donc la Syrie en mauvaise posture sur le plan international en matière de bonne foi. Sauf si, comme l’affirme le député Salah Honein, ce rassemblement revêt une toute autre signification : celui d’une rupture, d’un « adieu aux armes », d’un chant du cygne. Et de l’ouverture d’une nouvelle ère d’indépendance et de souveraineté. Michel HAJJI GEORGIOU

Un million de manifestants – issus des courants politiques au pouvoir depuis que la « pax syriana » prévaut au Liban – dans la rue mardi, entre le Musée et la place des Martyrs, pour jurer fidélité et loyauté à Damas, et pour conspuer une résolution internationale, en l’occurrence la 1559. Depuis une semaine, le microcosme libanais ne parle que de « ça ». À juste...