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Actualités - OPINION

Graine de Liban

Heureux Anglais ! A vrai dire, tous ne le sont pas en ce moment, avec cette affaire d’interdiction de la chasse à courre, dont les péripéties ont disputé la vedette, ces derniers jours sur vos écrans de télévision, au brasier de Falloujah. Car pour les chasseurs comme pour le gros de la population rurale, les tuniques rouges et longues bottes noires des cavaliers, les cors, les meutes de chiens hurlants, cela fait autant partie du patrimoine que la relève de la garde à Buckingham Palace, le five o’clock tea, la marmelade et l’agneau sauce à la menthe. Les écologistes ont fini par l’emporter hier aux Communes, pour le plus grand bonheur des cerfs, renards roux et autres lièvres d’Angleterre et du pays de Galles. Pour un débat national aussi futile en apparence mais qui pèsera lourdement sur les élections législatives du printemps prochain, heureux Anglais tout de même, une fois de plus. Heureux surtout car, même mécontents, nul ne songerait même à leur contester le droit de manifester dans la rue. De s’inviter même au dîner donné au château de Windsor par la reine en l’honneur de Jacques Chirac pour clamer leur colère, en français dans le texte. Les étudiants libanais, eux, ne veulent chasser personne : le voudraient-ils d’ailleurs qu’ils n’en ont guère les moyens. Ils refusent néanmoins que leur patrie reste plus longtemps une chasse gardée – et même sévèrement gardée – sous prétexte de fumeux impératifs stratégiques. Ce qu’ils réclament, forts de leurs seules convictions et le plus pacifiquement du monde, c’est que l’on applique les accords passés (sinon dépassés) : que l’on procède comme le veulent la justice et le bon sens à un retrait programmé et effectif des troupes syriennes stationnées sur place depuis près de trois décennies ; et que Damas cesse de s’ingérer dans les affaires du pays, désignant, au gré de ses propres intérêts, présidents de la République, Premiers ministres, ministres, députés et hauts fonctionnaires. Ils ne comprennent pas très bien, nos jeunes de toutes les communautés, de toutes les appartenances, de tous les environnements sociaux, que leur pays soit d’aussi flagrante manière privé de souveraineté, d’indépendance, du pouvoir de décider pour lui-même. Ils comprennent encore moins que leurs gouvernants tirent de toute cette misère nationale un bien illégitime orgueil, et cela au nom de ces fameuses relations privilégiées : lesquelles n’ont pas volé leur nom puisqu’elles privilégient systématiquement, outrageusement, l’un des deux partenaires : toujours le même, faut-il le préciser. Et ils ne comprennent pas du tout que puisse être impunément qualifié de traître quiconque brandit l’imprescriptible slogan de souveraineté, le label de «national» se voyant accaparer par les inconditionnels de la Syrie. Que les innombrables barrages installés par les forces de sécurité et certaines divergences de vues, notamment à propos de la résolution 1559 de l’Onu, se soient conjugués pour empêcher la jonction de tous les manifestants hier, place du Musée, importe peu en définitive. Le fait demeure qu’à la veille d’une peu festive fête de l’Indépendance, jeunesses musulmane et chrétienne, de gauche et de droite, ont pour la première fois au même moment fait entendre leur voix. Pour la première fois depuis trop longtemps aussi, cette voix du Liban de demain, on ne s’est pas employé à l’étouffer à coups de crosse et de matraque, mais « seulement » en multipliant les filtrages aux entrées de la capitale, clairsemant d’autant les rangs des manifestants. L’évènement mérite d’être salué quand même, dans une République où la mission assignée à l’armée régulière ne consiste pas à défendre les frontières – charge concédée à une milice suffisamment autonome pour lancer des avions sans pilote sans même consulter Beyrouth – mais à assurer, peu régulièrement le plus souvent, l’ordre interne. Qu’à l’intérieur de l’Intérieur s’affirme une autre manière – plus clémente et surtout plus intelligente – de faire ; que l’État ait pris conscience de la haute surveillance dont il fait actuellement l’objet de la part des puissances, qu’il se soit abstenu de cogner, tout cela est fort bon. Reste à savoir si l’on saura décrypter avec la même adresse tous les autres messages apportés à profusion par les vents d’Ouest. D’ici là, il continuera d’y avoir ceux qui célèbrent à grands frais une mensongère indépendance et ceux qui, grands ou petits, œuvrent plutôt à la refaire. Bien des mains – protocole, bienséance et intérêts divers obligent – seront serrées lundi devant les caméras. C’est aux jeunes du Liban que vont résolument, chaleureusement, nos congratulations. Issa GORAIEB
Heureux Anglais ! A vrai dire, tous ne le sont pas en ce moment, avec cette affaire d’interdiction de la chasse à courre, dont les péripéties ont disputé la vedette, ces derniers jours sur vos écrans de télévision, au brasier de Falloujah. Car pour les chasseurs comme pour le gros de la population rurale, les tuniques rouges et longues bottes noires des cavaliers, les cors,...