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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE La cerise sur le gâteau

Quarante-sixième semaine de 2004. Qui est le ministre libanais de la Défense ? Depuis des lustres, le locataire de Yarzé doit répondre à certains critères : adhérer inconditionnellement au principe de la concomitance des volets libanais et syrien ; bénéficier de la confiance quasi aveugle du voisin tuteur ; être, contrairement à son collègue de l’Intérieur, d’une discrétion et d’une modestie à nulles autres pareilles, et rayer de son dictionnaire amoureux ne serait-ce que la moindre allusion à des concepts aussi irrecevables, lorsque l’on occupe ce poste, que souveraineté, indépendance ou libre décision. Ainsi, depuis la naissance du cabinet Karamé, c’est à l’inénarrable Abdel-Rahim Mrad, qui succède entre autres aux dynamiques Khalil Hraoui et Mahmoud Hammoud, que ce portefeuille a été offert. Sauf que depuis vingt-quatre heures, les Libanais ont découvert qu’en réalité, leur véritable ministre de la Défense n’est autre que Hassan Nasrallah. Le secrétaire général du Hezbollah a ainsi prouvé dimanche dernier et confirmé hier qu’il possède des drones capables de pénétrer en profondeur dans le territoire israélien, d’y rester près d’un quart d’heure sans être inquiétés, d’y larguer éventuellement des bombes. Le patron du parti de Dieu, en parfait show-man, s’est même présenté sous un nouveau jour, l’âme commerçante en diable, certes – ceux qui veulent acheter des drones sont invités à en faire commande –, mais pas mercantile, puisqu’il est disposé, dans un grand élan de générosité, à en faire cadeau gratuitement au... ministère libanais de la Défense. Hassan Nasrallah sait pertinemment que les Libanais garderont une reconnaissance éternelle à ceux – à commencer par le Hezbollah – qui ont fait en sorte qu’Israël ait décidé qu’il était temps pour lui, s’il voulait limiter les dégâts, de se retirer de la totalité du territoire libanais. Il sait très bien aussi que la très grande majorité des Libanais aurait mille fois préféré ne pas avoir à traiter avec une résolution onusienne appelant entre autres exigences au désarmement du parti de Dieu ; que ce désarmement au profit d’une véritable et exclusive dynamique sociopolitique aurait dû se faire naturellement, entre Libanais, loin du tutorat de Damas ou des exigences de Téhéran. Hassan Nasrallah doit être également tout à fait conscient qu’une éventuelle et nécessaire « sinn féin-isation » du parti qu’il dirige n’entamerait en rien la crédibilité électorale d’un Hezb dont les députés sont loués pour leur intégrité par la grande majorité de leurs collègues, notamment ceux qui ne partagent en rien leurs idées politiques. Il sait très bien que son parti est désormais autre chose qu’un prétexte, une marionnette, un instrument aux mains des autres, un épouvantail planté face à Israël pour défendre surtout des intérêts très étrangers ; mais qu’il a acquis une légitimité interne, sociale et politique, maintenant indiscutables. Pourquoi le Hezbollah – qui s’attendait sans doute, après l’exploit du drone, à une condamnation de l’Onu pour violation de la ligne bleue – a-t-il fait un étalage musculaire aussi outrancier ? Comment les drones sont-ils arrivés entre les mains du parti de Dieu ? D’où est-ce que l’ordre de l’envoyer en Israël a-t-il été donné ? Ou bien ce vol a-t-il été décidé unilatéralement ; la peur, l’affront de se transformer en véritable bouc émissaire des bazars entre capitales ont-ils motivé les responsables du Hezbollah ? Et pourquoi avoir choisi ce timing, à l’heure où l’Américain Jeffrey Feltman, le Britannique James Watt et, surtout, l’ami français Philippe Lecourtier rappellent au quotidien l’importance de l’application de la résolution 1559 de l’Onu ? Mais s’il n’y avait que cela... Hassan Nasrallah a profité de son discours de Baalbeck pour rappeler, cerise sur le gâteau, que son parti « n’informe le gouvernement libanais d’aucune action qu’il entreprend, et qu’en sus, il n’a aucune permission à demander » à ce même gouvernement. Il n’a pas dû échapper au patron du Hezb, comme à tous les Libanais d’ailleurs, que leur ersatz d’État, même fantomatique à souhait, est presque tétraplégique ; mais s’autoriser à le nier à ce point, hypothéquant ainsi le pays et le jetant à tous les vents mauvais devient totalement inadmissible. Mis sous tutelle, scruté au microscope électronique par la communauté internationale, au bord d’une monstrueuse faillite économique et politique, le Liban, depuis hier, continue sa plongée dans l’absurde : ce pays dispose, sinon de deux gouvernements, du moins de deux pôles de décision. L’un siège place du Musée, pour l’instant sous la présidence de Omar Karamé, l’autre à Baalbeck, sous la haute autorité de Hassan Nasrallah. Le tuteur syrien, décidément, est stakhanoviste. Ou simplement masochiste. Ziyad MAKHOUL
Quarante-sixième semaine de 2004.
Qui est le ministre libanais de la Défense ? Depuis des lustres, le locataire de Yarzé doit répondre à certains critères : adhérer inconditionnellement au principe de la concomitance des volets libanais et syrien ; bénéficier de la confiance quasi aveugle du voisin tuteur ; être, contrairement à son collègue de l’Intérieur, d’une...