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Actualités - CHRONOLOGIE

Le professeur français de droit constitutionnel souligne qu’il n’y a pas d’antagonisme entre démocratie et logique communautariste Jean Gicquel: L’équilibre intercommunautaire au Liban, plus vital que la loi de la majorité (photo)

Ce n’est pas pour rien que l’étude du droit constitutionnel est, depuis de nombreuses années, intimement liée à son nom. Professeur à l’Université de Paris-I (Sorbonne) et ancien membre du Conseil supérieur français de la magistrature, Jean Gicquel a participé très activement à l’évolution de la matière depuis plusieurs décennies. Le droit constitutionnel étant cette discipline essentiellement politique qui gère la vie de la Cité, nous avons tenu à le rencontrer, en marge du colloque organisé par le Cedroma à la faculté de droit de l’USJ, rue Huvelin. En effet, le débat avec lui n’a pas une simple importance théorique ou juridique, mais acquiert une dimension remarquablement libanaise, surtout lorsque l’on sait qu’une grande partie des remous vécus par le Liban depuis 14 ans, de Taëf jusqu’à la prorogation du mandat du président Lahoud, tournent principalement autour de ce texte qu’on appelle la Constitution. D’emblée, M. Gicquel souligne sa « sympathie immédiate et naturelle » pour le Liban, un pays qu’il visite pour la première fois, précisant toutefois qu’il n’en a pas cette connaissance approfondie qu’ont eue certains de ses collègues « qui ont eu la chance de venir enseigner ici ». Rejetant vigoureusement l’universalisme d’un schéma constitutionnel occidental classique, qui ne devrait pas obligatoirement trouver application, selon lui, dans les sociétés pluriethnique ou pluriconfessionnelle comme la société libanaise, il affirme: «Un système constitutionnel n’a d’intérêt que dans le pays où il s’applique, puisqu’il appartient à chaque pays, en fonction de sa culture et de sa sociologie, de trouver les formes constitutionnelles les plus appropriées.» Et de poursuivre: «Ce serait la pire des choses que de verser dans une forme d’impérialisme culturel ou politique. Si l’on sait que la civilisation occidentale repose sur l’individu, vous pouvez parfaitement imaginer un autre système de valeurs où vous accordez la priorité à la communauté.» Mais le concept de démocratie consensuelle régnant au Liban ne s’oppose-t-il pas à la démocratie classique où le fait majoritaire occupe une place essentielle? Citant Bertrand de Jouvenel, qui disait que la démocratie c’est un peu une gare dans laquelle chaque train arrive à son heure, M. Gicquel souligne la spécificité du contexte libanais, où l’équilibre intercommunautaire peut être plus vital que la loi de la majorité. Réfutant un quelconque antagonisme entre démocratie et logique communautariste, il affirme, encore une fois, qu’à chaque pays sa recette: «Actuellement en France, le pacte républicain empêche d’accorder des droits spéciaux aux minorités ». « Mais ces idées ne peuvent être transposées au Liban. Autant en France l’idée de minorité est rejetée pour des raisons historiques, au Liban, elle est inhérente à votre nature profonde. Le Liban ne serait plus le Liban s’il ne reposait plus sur une association, une juxtaposition de communautés», ajoute-t-il. Mais quel serait alors le meilleur moyen de gérer une société multicommunautaire ? C’est là que M. Gicquel se lance dans une véritable plaidoirie en faveur du fédéralisme, qui constitue, selon lui, «une excellente formule, aussi bien intellectuellement que politiquement». «C’est une technique juridique et philosophique très séduisante, une sorte de synthèse entre l’autonomie et la solidarité, l’unité et la diversité. Chacun trouve son compte dans ce système, où l’on garde ses propres règles du jeu, en participant malgré tout à un ensemble», précise-t-il. Faisant référence à la construction européenne en cours, il estime que le fédéralisme serait «un moyen d’éviter des conflits ensanglantés, de permettre à des groupes qui ont une culture quand même identique, mais avec des différences très affirmées, de vivre ensemble». Abordant les spécificités constitutionnelles du régime libanais, qui glisse depuis Taëf vers un régime d’assemblée où l’exécutif s’efface devant un pouvoir législatif prépondérant, M. Gicquel indique que le renforcement des pouvoirs du Parlement n’est pas condamnable dans l’absolu, avant de rappeler que le régime libanais serait une sorte de «gouvernement d’opinion où la majorité se répercute comme une onde de choc jusqu’au sommet de l’État». Et il répond immédiatement à l’argument tiré de l’incongruité d’un cabinet qui comprendrait également une opposition, comme c’est le cas au Liban, en déclarant le plus pragmatiquement du monde : « Vu le contexte libanais, peut il en être autrement?» avant d’élaborer un peu plus sa pensée: «Si je vois bien les choses, l’opposition chez vous, ce n’est pas simplement des individus, mais à travers ces individus, ce sont des communautés qui sont représentées. Des communautés qui, en dehors du pouvoir, se sentiraient écartées de la gestion du pays, ce qui serait catastrophique, puisqu’aucune communauté ne doit avoir le sentiment d’être frappée d’ostracisme.» La discussion ne pouvant évidemment pas éviter la question de la légitimité de l’amendement constitutionnel qui a permis au président de la République, Émile Lahoud, de proroger son mandat, il souligne sa volonté de ne pas s’ingérer dans les affaires de «ce pays ami qu’est le Liban», avant d’accepter de répondre d’un point de vue «purement technique»: «Par définition, une révision constitutionnelle ne peut pas être anticonstitutionnelle puisque, et toujours d’un point de vue théorique, le pouvoir constituant est un pouvoir de souveraineté, et quand la souveraineté s’exprime, personne ne peut la contester». «Politiquement, philosophiquement, on pourrait aboutir à d’autres réponses. Mais juridiquement, une révision est intouchable. En France, nous avons eu des débats similaires, notamment en ce qui concerne le traité de Maastricht, et le Conseil constitutionnel français, dans une décision d’avril 1992, avait clairement indiqué que le pouvoir constituant est souverain», conclut-il. Enfin, et dans la perspective des élections législatives de 2005, M. Gicquel estime que la meilleure loi électorale pourrait bien être un mélange de scrutin majoritaire et de scrutin proportionnel, d’efficacité et de justice, qui assurerait à toutes les composantes de la scène libanaise leur place, tout en permettant à la vie politique de fonctionner convenablement. Samer GHAMROUN

Ce n’est pas pour rien que l’étude du droit constitutionnel est, depuis de nombreuses années, intimement liée à son nom. Professeur à l’Université de Paris-I (Sorbonne) et ancien membre du Conseil supérieur français de la magistrature, Jean Gicquel a participé très activement à l’évolution de la matière depuis plusieurs décennies.
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