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Actualités - REPORTAGE

Santé - Un chiffre d’affaires mondial estimé à plus de 400 milliards de dollars Le marché du médicament : une compétition féroce et des pratiques parfois douteuses (photos)

Le médicament serait-il devenu la poule aux œufs d’or ? Ce secteur qui brasse plus de 400 milliards de dollars, sur le marché international, a un pouvoir certain et l’exerce dans l’apathie générale. Par manque d’informations principalement. Un exemple : le retrait récemment du Vioxx – un anti-inflammatoire dont les effets bénéfiques ont été longtemps loués dans la littérature médicale – du marché international sans que le consommateur et les autorités locales et internationales ne réagissent pour autant. Au Liban, où l’industrie pharmaceutique se porte bien enregistrant une croissance annuelle régulière de près de 30 % depuis moins d’une décennie, le Plavix, un antiaggrégant plaquétaire, en est un autre exemple. Introduit sur le marché vers l’an 2000, ce médicament a été longtemps vendu à 148 300 LL, alors qu’en France (pays d’origine), il coûte 59,85 euros, soit l’équivalent de 118 000 LL. Au cours de cette même période, une autre firme a importé le même produit, de la même source, le proposant sur le marché à 132 780 LL. Le ministère de la Santé a demandé l’ouverture d’une enquête, interdisant par la même occasion l’importation du médicament si son prix n’est pas révisé. Finalement, l’agent a publié un communiqué informant les pharmaciens qu’à partir du 29 octobre 2004, le Plavix sera vendu à 134 953 LL. Entre-temps, les bénéfices de l’agent se sont chiffrés à des millions de dollars. Mais c’est le citoyen qui a été le plus lésé, ainsi que les tiers payants. Et la question qui se pose est celle de savoir qui va indemniser ce patient qui a payé son médicament au prix fort ? L’histoire ne s’arrête pas là. La compétition est tellement féroce que des offres promotionnelles s’abattent sur les pharmaciens et les médecins, selon certaines sources : week-ends dans de grands hôtels ou lots de médicaments variant de quelques boîtes à 50 % de la quantité achetée, selon l’importance de la commande. La promotion auprès du médecin varie, quant à elle, des simples aide-mémoire (gadgets sur lesquels sont gravés le nom ou le logo du médicament : stylos, montres de bureau, CD, calendriers, etc.) jusqu’aux voyages organisés à des fins scientifiques (congrès, symposiums...), en passant par l’offre d’encyclopédies, de stéthoscopes, de livres médicaux, etc. Certains laboratoires proposeraient de plus, selon ces mêmes sources, une gratification financière pour chaque prescription. La liste est loin d’être exhaustive. Mais ce dossier épineux n’est pas de toute actualité. Il remonte en fait, selon l’ancien député Ismaïl Soukkarieh, au gouvernement de l’indépendance. Ce dossier a en effet coûté sa carrière à l’ancien ministre Émile Bitar qui a voulu introduire des réformes au secteur. M. Soukkarieh, quant à lui, remue l’affaire depuis près de sept ans. De son côté, le président de l’Ordre des pharmaciens, Ziad Nassour, dénonce ces pratiques « illégales » affirmant qu’il veut réformer le secteur transformé en un commerce. Alors que le président du syndicat des importateurs de médicaments et des droguistes du Liban, Armand Pharès, assure que la tarification et l’importation des médicaments se font en toute transparence, affirmant que le syndicat ne couvre aucun importateur ayant recours à des pratiques illégales. Qui croire ? Nada MERHI Ismaïl Soukkarieh : « Une volonté collective pour abattre les mafias » «Le marché du médicament est régi par l’appât du gain et par une mafia basée sur un accord tripartite : politique, administratif et commercial, et soutenue par l’administration du ministère de la Santé. » Depuis plus de sept ans, l’ancien député Ismaïl Soukkarieh ne mâche pas ses mots et relance « l’affaire du médicament » en mettant en garde contre « cette mafia, qui a pu au cours des deux dernières décennies faire échouer toutes les tentatives visant à réformer le secteur et à définir une politique nationale en matière de médicaments ». « Dans les années cinquante, le Liban était, rappelons-le, pionnier de l’industrie pharmaceutique dans le monde arabe, remarque-t-il. Il exportait même plusieurs genres de médicaments dans ces régions. Au cours de la guerre, et même après cette période, une politique nationale sur la gestion de ce secteur a fait défaut, laissant la voie libre devant cette mafia qui a accaparé le marché. » Selon l’ancien député, cette mafia a réussi à faire échouer les tentatives visant à faire fonctionner le Bureau national des médicaments. Créé en 1983 par un décret d’organisation, ce bureau a été doté d’une indépendance financière et administrative et a été soumis à la tutelle du ministère de la Santé et au contrôle ultérieur de la Cour des comptes. Le bureau a de même été soustrait au contrôle du Conseil de la fonction publique. Sa mission est celle d’importer, d’acheter, de vendre et de classifier les médicaments. « Ce bureau ne peut pas être géré par une seule personne, à moins qu’il ne s’agisse d’un prophète, souligne le Dr Soukkarieh. Or le directeur de ce bureau est rentré dans le jeu des sociétés multinationales, effectuant des voyages à leur compte, alors que ce bureau constitue une menace sérieuse pour la survie des sociétés pharmaceutiques. » Et le Dr Soukkarieh de poursuivre : « Cette mafia du médicament a également empêché la dynamisation du Laboratoire central, qui est la soupape de sécurité du contrôle sur le médicament. Ce laboratoire, supposé mener une série de tests pour s’assurer des dosages, de la stabilité, de la toxicité, de la pureté de la formule chimique et de la bioéquivalence des médicaments génériques, se limite à un unique test : la formule chimique du médicament. Si ce laboratoire réussit à effectuer tous ces tests, près de mille médicaments seront retirés du marché. J’aimerais préciser dans ce cadre que plusieurs pays ont proposé d’équiper le Laboratoire central. La dernière proposition en date a été avancée par le gouvernement suédois, en 1997. Les équipements ne sont jamais sortis des dépôts. » Les monopolisateurs sont allés plus loin encore, gênant l’informatisation du ministère de la Santé. « La première initiative dans ce sens a été entreprise en 1989, suivie d’une autre, en 1996, ajoute le Dr Soukkarieh. Le projet ayant avorté, les personnes formées à cet effet ont été désignées fonctionnaires au sein du ministère. » Une signature politique ! À ces problèmes s’ajoute celui de la liste des médicaments principaux. « Cette liste, approuvée dans la majorité des pays du monde, devra être adoptée par les tiers payants, qui ne couvriront plus un médicament n’y figurant pas », explique le Dr Soukkarieh. Une première liste comprenant quelque 290 genres de médicaments a été mise au point, en 1993, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en collaboration avec le ministère de la Santé, les Ordres des médecins et des pharmaciens, le syndicat des importateurs de médicaments, ainsi que des représentants des trois principales facultés de médecine du pays. Mais elle n’a pas été appliquée. Une deuxième liste, comprenant 1 500 genres, a vu le jour en 1999. Elle a subi le même sort. Le 14 juillet dernier, une réunion supplémentaire a été tenue pour mettre au point une nouvelle liste. « Pour des raisons inconnues, cette réunion à été reportée à une date qui, jusqu’à présent, n’a toujours pas été fixée », précise-t-il. Au Liban, quelque 3 500 médicaments sont enregistrés au ministère de la Santé, sans compter les vitamines dont le nombre varie entre 800 et 1 000 genres. « Il n’y a aucune raison d’avoir autant de médicaments, au moment où ce nombre est réduit presque de moitié dans les pays voisins, signale le Dr Soukkarieh. La liste des médicaments comporte 2 700 genres en Arabie saoudite, 2 500 en Égypte, 1 700 en Syrie et 2 400 en Jordanie. En Europe, la liste ne comprend pas plus de 1 000 genres. » « C’est un scandale, s’exclame-t-il. La pharmacie d’un des plus importants hôpitaux universitaires compte près de 440 genres de médicaments. Le représentant de cet hôpital, qui est membre du comité technique du médicament, approuve la mise sur le marché de centaines de médicaments, alors qu’il refuse de les introduire à la pharmacie de l’établissement qu’il représente ! À cela s’ajoutent les problèmes des médicaments périmés et de contrebande, de la rupture des traitements des maladies chroniques, de la vente des médicaments au marché noir, des offres faites aux pharmaciens et qui ne profitent pas au patient, des donations faites aux hôpitaux et aux dispensaires. Ces médicaments, qui souvent sont sur le point d’être périmés, sont introduits au pays sur autorisation du ministre et ne sont soumis à aucun contrôle. Il s’agit là d’une signature politique d’un sujet scientifique. » Un citoyen apathique Le premier responsable de cette anarchie demeure le citoyen libanais. « Il m’énerve, affirme le Dr Soukkarieh. Je n’arrive toujours pas à comprendre son rôle. J’aurais voulu que ce citoyen fasse pression sur le député qu’il a élu pour tirer au clair cette affaire qui le concerne directement. Rien. Hélas, notre société ne sait pas demander des comptes. Les hôpitaux réalisent des bénéfices énormes et le citoyen ne réagit pas, la facture du médicament a atteint l’an dernier 600 millions de dollars et il reste tranquille, assis dans son coin. » Quelle solution propose-t-il ? « La solution émane d’une décision nationale ayant pour but de mettre au point une politique qui régira le secteur du médicament, répond-il. Ainsi, les corrupteurs et les corrompus ne pourront plus être protégés, quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent, qu’ils soient fonctionnaires ou responsables politiques. Le ministère de la Santé pourra alors mettre au point un plan visant à redresser la situation en adoptant une liste des médicaments principaux, en baissant les prix, en dynamisant le Laboratoire central, etc. Mais nous ne pourrons jamais y arriver sans une volonté collective. » Armand Pharès : « L’importation et la tarification se font en toute transparence » L’importation du médicament et sa tarification se font selon les réglementations en vigueur et dans une transparence totale. C’est ce qu’affirme M. Armand Pharès, président du syndicat des importateurs de médicaments et des droguistes au Liban. « Il n’est pas vrai qu’il n’y a aucun contrôle sur le médicament et que celui-ci est vendu de façon chaotique sur le marché libanais, précise-t-il. Si certaines anomalies sont constatées, il y a des moyens pour les repérer. Mais le médicament reste garanti, du moment qu’il est soumis au contrôle du ministère de la Santé. » Ce contrôle ne semble cependant pas efficace, le Laboratoire central n’effectuant pas tous les tests nécessaires. « Le Laboratoire central est le dernier problème à envisager, remarque M. Pharès. Ce laboratoire est important pour contrôler les génériques que nous essayons d’importer de plus en plus pour obtenir une baisse des prix des médicaments. Et s’il n’est pas bien équipé, cela ne signifie pas que les produits mis sur le marché libanais ne sont pas valables. D’ailleurs, ceux-ci n’ont pas besoin d’être contrôlés par ce laboratoire, puisqu’ils sont garantis par les grandes firmes internationales. Le Laboratoire central est une priorité, mais non la première. Je tiens à rassurer le consommateur que le cadre juridique existe, même si certaines fraudes sont observées. Les bandits existent, mais ce ne sont pas eux qui font la loi. » Mais le prix du médicament au Liban est de 170 % plus cher que dans le pays d’origine. « Et alors ? se demande M. Pharès. Le prix du médicament se divise en deux parties, le FOB ou le CIF, qui représentent chacun les prix d’importation auxquels s’ajoute le coefficient de conversion au prix public. Ce coefficient est fixe. Il est de l’ordre de 1,71 pour le FOB et de 1,58 pour le CIF et a été établi depuis des dizaines d’années. Il n’y a aucune raison de le mettre en doute. Le médicament est soumis à une tarification transparente. Le prix FOB ou CIF est soumis à l’accord du ministère, au coefficient de conversion vers le prix public et au taux de conversion de la devise d’importation vers la livre libanaise. Parce que, figurez-vous, nous sommes obligés de vendre le médicament en livres libanaises. Bon, le dollar est stable, mais ce n’est pas le cas de la monnaie européenne, du sterling ou du franc suisse. Le fait d’imposer la vente du médicament en livres libanaises est aussi une contrainte. » « Pour éviter des ruptures de stock, les taux de change sont révisés de façon régulière, tous les quinze jours, sur base de la moyenne du prix de clôture de la Banque centrale, poursuit M. Pharès. Si la variation par rapport au coût pratiqué par le ministère est de plus ou moins 3 %, il y a un changement des prix. Le ministre signe de nouveaux taux qui sont appliqués sur le marché. » Un hologramme pour garantir la qualité Les prix FOB et CIF sont fixés selon trois critères : les prix dans le pays d’origine qui doivent être inférieurs au prix des grossistes locaux, le prix FOB ou CIF pratiqué dans les pays voisins du Liban et qui ont une économie similaire (Jordanie, Arabie saoudite, Qatar, les Émirats arabes unis), et le prix du produit local. « Si le médicament n’est pas unique et qu’il a des concurrents locaux, fabriqués au Liban ou enregistrés à une date antérieure, le ministère ne fixera pas pour ce nouveau médicament un prix supérieur au plus bas prix déjà existant, souligne M. Pharès. Imaginez les niveaux de prix que nous sommes en train d’obtenir avec ces trois critères. Il existe peut-être des imperfections ou des prix qui passent au travers de cette grille et ne répondent pas à ces critères. Mais ils ont lieu, parce que les lois existent. » « Nous rencontrons des problèmes aux trois niveaux que je viens de décrire, ajoute M. Pharès. Au niveau de l’enregistrement, l’industrie internationale pharmaceutique a évolué, mais nos lois n’ont pas suivi. Une nouvelle loi prenant en compte les transformations mondiales a toutefois été votée l’an dernier, sans que les décrets d’application ne soient promulgués. Au niveau du terrain, c’est-à-dire au moment de l’importation, il nous arrive de nous retrouver avec des produits frelatés. Conscients de nos responsabilités, nous avons décidé d’aider le consommateur à repérer le produit qui, non seulement est légal, mais qui est importé directement de la fabrique. Ainsi, nous avons décidé, au sein du syndicat, d’adopter un hologramme qui portera les noms du syndicat et de l’importateur accompagnés du slogan : “Du producteur au citoyen”. Ce label sera la référence de l’acheteur. » Et les médicaments qui ne portent pas l’hologramme ? « Il peuvent être garantis, répond-il, parce que notre syndicat n’est pas obligatoire. Il n’en demeure pas moins que nous couvrons 90 % du marché de l’importation. Si d’autres importateurs veulent se joindre à nous, il faudrait qu’ils nous garantissent que leurs produits sont légalement importés du fabricant. Nous ne couvrons pas une importation qui n’est pas faite auprès du fabricant. » Nous ne sommes pas des commerçants Qu’en est-il des offres promotionnelles faites aux pharmaciens et aux médecins ? « Les offres commerciales ne sont admises que si elles sont passagères et dues à une situation de stockage bien définie, signale M. Pharès. Elles ne sont valables que pour des médicaments ne nécessitant pas de prescription médicale. En aucun cas une offre commerciale, permanente, prohibitive est légale. Le syndicat des importateurs de médicaments ne couvre en aucun cas ce genre d’opérations. Mais ce n’est pas à moi de chercher à savoir quel importateur propose des offres prohibitives au cours de l’année ! Si un pharmacien ou un laboratoire peuvent maintenir leurs offres durant un an, ils doivent baisser leurs prix de façon permanente. Et c’est une chose que nous ne cachons pas. » L’importateur de produits pharmaceutiques n’est pas un commerçant et il a un rôle bien précis dans la société, estime M. Pharès. « Évidemment, l’argent entre en jeu, note-t-il. C’est le cas du médecin également. Et ce n’est pas parce qu’il touche des honoraires qu’on va le qualifier de commerçant. Un grand laboratoire, qui dispose d’un produit révolutionnaire, a-t-il besoin de corrompre un médecin ? Quand il a un produit nécessaire au traitement d’une maladie, c’est le médecin qui va le solliciter. Logiquement, on ne peut pas corrompre un médecin, notamment lorsqu’on dispose de bons arguments scientifiques. C’est quand même le cas de 80 % des produits. Proposer de l’argent au médecin à chaque prescription médicale n’est pas éthique et celui qui le fait ne bénéficie pas de notre couverture. C’est quelque chose qui va à l’encontre de notre éthique professionnelle. Il est vrai que certains médecins sont invités à des conférences et à des symposiums internationaux aux frais de la compagnie pharmaceutique. La démarche est normale pour lui présenter les avantages du produit. D’ailleurs, ces pratiques sont acceptées, sur le plan de l’éthique internationale. Cela ne fait pas construire des immeubles. C’est le fait d’être rémunéré à chaque opération de prescription qui assure des rentrées supplémentaires aux médecins. Et cela est contre l’éthique professionnelle. Si le procédé existe, nous ne pouvons que le condamner. » « La fonction de notre syndicat c’est de faire en sorte que les établissements pharmaceutiques membres de notre syndicat assurent leur métier au mieux de leur capacité, réaffirme-t-il. Notre but est d’assurer au Liban les médicaments de qualité à des prix contrôlés. Tous les prix ne sont pas raisonnables mais ils sont fixés avec une totale transparence, qui permet de repérer tout produit présentant une anomalie. Nous allons, dans tous les cas, réviser les principes qui sont à la base des tarifications afin de pouvoir forcer les prix à la baisse. » Êtes-vous en faveur d’une liste des principaux médicaments ? « Dans l’absolu, le nombre des médicaments enregistrés n’indique rien. Toutefois, il vaut mieux en avoir trop qu’en avoir moins, car les prix risquent de flamber. En plus, éliminer les produits chers serait dramatique pour un pays comme le Liban qui vit de la liberté économique. Il faut laisser aux Libanais le droit de choisir le médicament qu’ils veulent. Une éventuelle réduction du nombre des produits thérapeutiques favorisera les décisions discrétionnaires prises par les fonctionnaires qui sélectionneront les médicaments en fonction de critères qui ne sont pas nécessairement scientifiques. Le nombre des médicaments sur le marché n’est pas un problème. Le fait de ne pas en avoir besoin est une autre question. » « On pousse les pharmaciens à choisir entre la faillite ou la fraude », accuse le président de l’ordre Le pharmacien libanais s’est transformé en commerçant. Une triste réalité, dont le président de l’ordre, Ziad Nassour, est parfaitement conscient. « Je veux remettre les pendules à l’heure et abolir la mentalité mercantile au niveau de la profession, déclare-t-il. Le médicament n’est pas un bien de consommation, mais une matière dangereuse. Nous refusons, en tant qu’ordre, que la santé du citoyen soit en péril. » Le médicament a certes un pouvoir thérapeutique. Mais il a aussi des effets secondaires, des contre-indications et des interactions médicamenteuses, explique M. Nassour. Sur le plan scientifique, il est divisé en quatre catégories : toxique, stupéfiant, dangereux et psychotrope. « Ces substances ne peuvent donc être commercialisées et un abus peut avoir des conséquences graves sur le patient, insiste-t-il. C’est une matière utilisée pour le traitement d’une personne déterminée, dans un cas précis et pour une période limitée. C’est la raison pour laquelle la consommation de ces molécules doit être contrôlée par le pharmacien. Or ce dernier est en train d’abuser de son pouvoir, ce qui n’est pas permis. » Comment l’interdire ? « Il faudrait, tout d’abord, établir des garde-fous, remarque M. Nassour. Les pharmaciens doivent avoir une formation continue pour mettre à jour leurs connaissances et fournir, par conséquent, les bons conseils aux patients. Par ailleurs, nous essayons, à l’ordre, de publier un code de déontologie du pharmacien, d’autant que l’anarchie règne dans cette profession. Le métier de pharmacien est régi par des règles universelles qui doivent être renforcées par des garde-fous afin de contrôler la situation. » « Au Liban, malheureusement, le pharmacien est poussé à faire du commerce, relance-t-il. On le force à baisser les prix, en réduisant sa marge de profit et non pas celle de l’agent chez qui il se fournit. Or la part du pharmacien sur le prix du médicament, telle que fixée par le ministère de la Santé, est de 22,5 %. Ce pourcentage lui permet à peine de survivre, parce qu’après avoir déduit les dépenses, il lui reste 9 %, soit l’équivalent de quelque 2 000 dollars par mois. C’est comme si on demandait à un employé de faire don de 10 % de son salaire à la fin de chaque mois. Pourquoi le ferait-il ? C’est illogique. Si le pharmacien prenait part à ce jeu de la concurrence, comme c’est le cas aujourd’hui, il se retrouvera devant deux solutions : la faillite ou la fraude. Au Liban, ils ont opté pour la fraude. De plus, depuis que la loi permettant aux pharmaciens de disposer de leur marge de bénéfices a été votée, le prix du médicament n’a pas baissé. Au contraire, il a augmenté de 38 %, car celui-ci suit les fluctuations de l’euro. » Bonus illégaux Mais les bénéfices du pharmacien dépassent largement les 22,5 % avec toutes les offres dont il bénéficie. « Les agents qui se permettent de proposer des offres aux pharmaciens n’ont qu’à réduire le prix de leurs médicaments, affirme M. Nassour. Nous refusons les bonus. C’est illégal. Et si certains agents ont recours à ces moyens, c’est dans l’objectif de promouvoir leurs médicaments. Or ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’une promotion, puisqu’il ne s’agit pas d’un bien de consommation. Nous refusons que le médicament fasse l’objet de manigances, ni la santé des gens d’ailleurs. Le pharmacien qui accepte les bonus fait du commerce, puisqu’il prescrira le médicament qui lui est le plus rentable. Ainsi, il occultera un aspect important de sa profession, qui exige de dispenser au patient le remède dont il a vraiment besoin. » N’est-ce pas la stratégie de vente qui domine le marché actuellement ? « Oui, mais il faut mettre fin à cette situation. Il faut arrêter les bonus. » À qui incombe cette tâche ? « Au gouvernement. » En tant que président de l’ordre, ne pouvez-vous pas réglementer la profession et publier des décisions interdisant aux pharmaciens ces pratiques ? « Je ne peux pas publier une décision interdisant aux importateurs de médicaments de faire des bonus. C’est au gouvernement de le faire, sachant qu’il a les prérogatives de baisser le prix du médicament. Sans oublier qu’il sera le premier bénéficiaire de cette mesure puisque la facture de la santé va baisser, d’autant plus que les offres ne profitent pas au gouvernement, qui continue à payer le médicament au prix fort. » Et M. Nassour de déplorer : « Nous avons un problème d’éducation à la santé, qui s’est malheureusement transformée en un objet de commerce. Cette situation se traduit sur le terrain par le grand nombre de médicaments enregistrés qui peuvent, à mon avis, être réduits à 1 000 genres. Actuellement, j’effectue une étude pour définir les cinquante maladies les plus répandues dans le pays avec leur protocole de traitement. Cette étude sera prête dans six mois et montrera que le pays n’a pas besoin de plus d’un millier de molécules. » Et les médicaments contrefaits ? « Les pharmaciens chez qui je trouve des médicaments contrefaits sont automatiquement traduits en conseil de discipline, assure M. Nassour. De plus, ils sont empêchés d’exercer leur métier durant une semaine au moins. Nous avons déjà effectué des rafles dans certaines pharmacies, où nous avons saisi des médicaments de contrebande. C’était une première initiative qui sera suivie par d’autres. » Et de conclure : « Mener la concurrence entre les pharmacies pour faire baisser le prix du médicament ne servira à rien. Celui-ci doit être baissé dans les pays d’origine. Et c’est au gouvernement d’agir. Il dispose d’ailleurs des moyens nécessaires pour effectuer ce contrôle. »

Le médicament serait-il devenu la poule aux œufs d’or ? Ce secteur qui brasse plus de 400 milliards de dollars, sur le marché international, a un pouvoir certain et l’exerce dans l’apathie générale. Par manque d’informations principalement.
Un exemple : le retrait récemment du Vioxx – un anti-inflammatoire dont les effets bénéfiques ont été longtemps loués dans...