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Actualités - REPORTAGE

Société - La Vierge Marie, lien de fraternité entre chrétiens et musulmans Béchouate : appel à la prière et annonce de temps difficiles(photo)

«De tout temps, Dieu a donné des signes à ceux qui craignent son nom. » Cette petite phrase extraite du communiqué mensuel des évêques maronites du mercredi 3 novembre est une reconnaissance en demi-teinte des manifestations qui attirent depuis le mois d’août dernier chrétiens et musulmans au sanctuaire marial de Béchouate, dans la Békaa, à une centaine de kilomètres de Beyrouth. Depuis la date du 21 août, en effet, des dizaines de milliers de Libanais de toutes les régions et de toutes les communautés ont visité le sanctuaire Notre-Dame de Béchouate. De ce grand nombre, des centaines de fidèles ont témoigné avoir vu la Vierge leur faire signe sous la forme d’un regard, d’un mouvement des yeux, d’une élévation, d’un ondoiement de la robe ou d’une oscillation du chapelet. Certains en ont même reçu des paroles. De grands signes ont été donnés à certains fidèles, chrétiens et musulmans, qui ont été miraculeusement guéris, ou dont la santé s’est améliorée de façon spectaculaire. Une dizaine de ces cas ont été signalés, dont le plus récent concerne un petit musulman de dix ans, guéri d’une grosse tumeur au cou, qui a disparu en ne laissant subsister qu’une légère cicatrice. Mais à côté de ces grands signes, des dizaines d’autres ont été donnés aux fidèles sous d’autres formes. Le plus généralement, ces derniers ont vu la Vierge s’animer. Mais si certains ont imploré ce signe, d’autres semblent en avoir été gratifiés comme par inadvertance. Ainsi de cet homme qui a vu la Vierge alors qu’il demandait à un voisin de lui indiquer laquelle des deux statues de la Vierge présentes dans la petite chapelle était « miraculeuse ». Ou de ce garçon d’une douzaine d’années qui a vu la Vierge pleurer, et dont la conduite à la maison a été changée par ce moment de grâce. Ainsi, si certains fidèles qui ont vu la Vierge étaient conditionnés par une attente particulière, ce qui pourrait fausser leur témoignage, d’autres ne l’étaient pas du tout. Réservée sur l’authenticité de ces signes, distincts de ce qu’on sait des apparitions proprement dites, qui répondent à d’autres critères, la hiérarchie maronite est conquise, néanmoins, par les témoignages des fidèles, comme en fait foi le communiqué des évêques . Le père Fady Bassil, curé de Béchouate, ne peut que constater tout ce qui se passe autour de lui. En l’absence d’un bureau de notification ou d’enregistrement des guérisons, il en est réduit à recueillir les témoignages que son emploi du temps surchargé lui permet. Il le fait tantôt sur place, tantôt en se rendant auprès des personnes qui affirment avoir été guéries. Il en sort généralement édifié et impressionné par la foi qu’il rencontre. Il tient dans son carnet une liste d’une quinzaine de personnes guéries miraculeusement, parmi lesquelles figurent plusieurs musulmans et une femme druze. Le sens d’un phénomène Que peuvent signifier ces manifestations mariales, que certains assimilent à des visions, un terme plus subjectif que le mot apparition ? En l’absence d’un message bien distinct, c’est le domaine par excellence des interprétations personnelles. On l’a dit, et c’est évident ; il s’agit d’invitations à la foi et à la prière. Certains y voient un avertissement et l’annonce de temps difficiles. Un jeune homme de la région, entré en extase dans la chapelle, affirme avoir entendu la Vierge affirmer avec insistance : « Priez, priez, priez ! » avant d’ajouter : « La famine menace. » Le terme « extase » se justifie dans son cas, selon des témoins dignes de foi, car la mère du jeune homme tentait en vain, en le secouant, de le tirer de la chapelle. Le jeune homme se trouvait, en quelque sorte, déconnecté de la réalité qui l’entourait. Le père Fady Bassil, qui aspire à une meilleure organisation du pèlerinage, tient cependant à démentir catégoriquement une nouvelle publiée par un quotidien arabe à grand tirage, affirmant qu’une peinture de la Vierge, à Béchouate, suinte de l’huile et du sang. Ces traits que l’on distingue sur le portrait ne sont pas récents, explique-t-il énergiquement. C’est de la peinture qui a fondu, il y a quatre ou cinq ans, en raison de la chaleur et de l’humidité. Au-delà de l’appel insistant à la prière, qui ressemble à ceux que Notre-Dame, selon les fidèles, lance en d’autres sanctuaires, notamment à Medjugorje, en ex-Yougoslavie, les manifestations de Béchouate portent une marque pour ainsi dire libanaise : elles semblent s’adresser indifféremment aux chrétiens et aux musulmans. Sous les traits de Notre-Dame de Pontmain, l’image de la Vierge de Béchouate trône dans de nombreux foyers musulmans, et les croyants de cette religion n’ont aucun complexe à visiter le sanctuaire et à en repartir avec de l’encens et de l’huile bénite. Les autorités religieuses musulmanes ne semblent pas s’en offusquer. Le pèlerinage à Béchouate n’est pas né d’hier et remonte à aussi loin que le XIXe siècle, rappellent-ils en général. Traditionnellement, le sanctuaire est fréquenté aux grandes dates mariales, et en particulier le 15 août, à la fête de l’Assomption. Du reste, le Coran porte si haut la vertu de la Vierge (« Sitna Mariam ») que, selon un uléma de Dar el-Fatwa, cheikh Mohammed Nokkari, secrétaire personnel du mufti, le dogme de l’Immaculée Conception a été affirmé par l’islam avant même de l’être, au milieu du XIXe siècle, par l’Église catholique. Familiarité Cette familiarité que la Vierge manifeste à l’égard des musulmans est illustrée, de façon singulière, par le fait que c’est à un jeune Jordanien, Mohammed el-Hawadi, que la Vierge se serait manifestée en premier, le soir du 21 août dernier. Le jeune garçon était assis à côté d’un ami libanais de son père, François Saab, un chef d’entreprise qui possède une ligne de production de jeans en Jordanie, quand il a vu la Vierge s’animer sous ses yeux. « Ammo François, la statue bouge » ( « tataharrak »), avait-il dit à François Saab, qui avait répondu paternellement : « Ammo, c’est là une statue en plâtre, elle ne bouge pas .» D’autres devaient cependant attester du phénomène dans les instants qui suivirent, déclenchant l’affluence que l’on sait et qui ne s’est plus démentie. Depuis, selon les parents du jeune Mohammed, ce dernier aurait vu à plusieurs reprises la Vierge en rêve, sans qu’elle ne lui confie un quelconque message, comme certains se sont pris à l’espérer. Mohammed el-Hawadi, que nous avons rencontré à Amman, où ses parents résident, est un jeune garçon vif, éveillé, parfaitement équilibré, aimant la glace et la limonade à la menthe. Inscrit en classe de 8e, il a deux sœurs plus jeunes que lui. Son père jouit d’un bon poste au ministère jordanien des Cités industrielles, l’équivalent de notre ministère de l’ Industrie. Ce qu’il a vécu lui vaut une petite notoriété au Liban, mais pas en Jordanie, du moins pas hors du petit cercle familial, et il en parle avec timidité et quelque réticence. Par ailleurs, plusieurs guérisons éclatantes de musulmans ont également été enregistrées. Le père du jeune Mohammed a été guéri d’un disque au niveau des vertèbres cervicales (C4-C5). Un pédiatre de leur connaissance, qui a oint son bras gauche ankylosé par des douleurs arthritiques au niveau de l’épaule avec un coton imbibé d’huile de Béchouate, a été instantanément guéri de son arthrose. La douleur, par ondes concentriques, est descendue le long de son bras avant de s’évanouir, raconte un témoin de la guérison. Des paroles qui viennent toutes seules Au-delà de ces signes qui s’adressent à des non-chrétiens qui la vénèrent, la Vierge pourrait ainsi chercher à faire parvenir aux Libanais de toutes confessions un message de respect et de fraternité tout à fait dans la ligne de ce que le concile Vatican II enseigne sur le dialogue interreligieux. Après avoir vu la Vierge, le petit Mohammed, qui connaît bien son Coran, s’est approché de la statue de plâtre et, s’adressant à la Vierge, a prononcé des paroles qui, assure-t-il, « sont venues toutes seules » sur ses lèvres . Il a prié pour les populations d’Irak et de Palestine, qui souffrent et meurent sous les bombes et les balles, il a prié pour la paix. Faut-il rappeler que, dans la « géographie de la prière » du pape, l’Irak et la Palestine occupent, en ce moment, une place privilégiée ? À Béchouate, comme partout ailleurs où sa présence est annoncée, la Vierge propose la foi et la paix à un monde désorienté, divisé, éclaté, qui semble en avoir perdu la clé. Fady NOUN

«De tout temps, Dieu a donné des signes à ceux qui craignent son nom. » Cette petite phrase extraite du communiqué mensuel des évêques maronites du mercredi 3 novembre est une reconnaissance en demi-teinte des manifestations qui attirent depuis le mois d’août dernier chrétiens et musulmans au sanctuaire marial de Béchouate, dans la Békaa, à une centaine de kilomètres...