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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Le dessert est servi

«Aurait-il donc fallu aller pêcher les ministres sur la Lune ? » : cette boutade lancée hier par le Premier ministre Omar Karamé vient confirmer à souhait qu’en dépit des promesses présidentielles de changement, de répudiation des vieilles pratiques politiques, la formation de tout gouvernement au Liban continue de donner lieu à une âpre compétition entre les divers pôles du pouvoir, chacun cherchant à y installer le plus grand nombre possible d’hommes liges, de fidèles ou, plus dignement, d’amis : à se tailler la plus grosse part du juteux gâteau découpé en trente portions. Que dans la cohorte d’excellences nouvelles il puisse se trouver des compétences attendant de se révéler, c’est bien possible, si tant est que le permet un cabinet de transition. Que l’on ait songé par ailleurs à agrémenter ledit gâteau de deux cerises plutôt qu’une, avec l’entrée tant attendue de femmes au gouvernement, ne peut qu’être salué. Il n’en demeure pas moins que cette équipe ne répond guère aux attentes des Libanais hantés par les mille et un soucis de la vie quotidienne. Et qui doivent s’inquièter, de surcroît, des calamités que leur réserve peut-être l’ère de « confrontation » ouverte par l’intempestive reconduction du mandat présidentiel : une confrontation visant à l’évidence, en priorité, le leader druze Walid Joumblatt et des forces politiques chrétiennes de premier plan. Ce n’est pas avec des seconds rôles en effet que l’on peut espérer faire oublier l’absence, même volontaire, de ceux qui font incontestablement le Mont-Liban. Toujours est-il que ce peu engageant gâteau, Émile Lahoud vient d’en rafler plus de la moitié, ses partenaires devant se partager le reste. Après tout, c’était dans l’ordre des choses, depuis l’irrévocable ukase que décréta Damas en septembre, suivi de la savante mise hors jeu de Rafic Hariri. Et pourtant, le copieux dessert ne passe pas tout seul, le maître pâtissier syrien ayant apparemment jugé bon, ces tout derniers jours, de remanier la sauce. Impénétrables en temps normal déjà sont les voies de la Syrie ; et elles paraissent plus indéchiffrables et tortueuses encore, dès lors que certaines urgences commandent à la lourde machine un exceptionnel degré d’improvisation.C’est bien d’ailleurs cette impression de flottement, sinon de désordre, que laissaient les réactions de divers hauts responsables syriens à la résolution 1559 de l’Onu : gravissime complot occidental pour les uns, dérisoire, « triviale » manœuvre pour les autres. En veillant à ce que le portefeuille de l’Intérieur soit attribué à Sleimane Frangié, lui aussi une des personnalités maronites qui lui sont le plus étroitement alliées, la Syrie a paru procéder soudain à un rééquilibrage de ses propres troupes, dont l’épisode de la reconduction avait passablement dérangé la parfaite ordonnance. Damas ramasse naturellement d’une main ce qu’il lâche de l’autre ; peut-être même offre-t-il de la sorte au leader de Zghorta un appréciable tremplin pour l’avenir. Le coup est sévère néanmoins pour le chef de l’État qui perd le contrôle d’un redoutable instrument de gouvernement confié à son gendre, lequel perpétuait ainsi un monopole étrangement concédé à la famille Murr. Parler de postes-clés dans un pays qui n’est même pas maître de ses portes et serrures peut évidemment prêter à sourire : jaune. Les Affaires étrangères ? Rien d’autre à faire que de suivre le guide. Le ministre de la Défense ne contrôle pas davantage son département surtout depuis que les contraintes de la « coopération stratégique » se doublent d’une nette propension des chefs militaires à caresser plus ou moins ouvertement le rêve d’un destin national. Si le surendettement du pays contribue ironiquement à garder son poids singulier au ministère des Finances, c’est bien à l’Intérieur que réside le plus gros d’un pouvoir arraisonné sans doute, mais qu’au bout du compte il faut bien déléguer. L’Intérieur, en effet, c’est la force publique, police et gendarmerie, auxquelles vient à l’occasion s’ajouter une armée pléthorique mais jugée inapte à garder les frontières. L’Intérieur, c’est aussi la force invisible des services qui y sont rattachés, et dont la plupart ont des activités à but essentiellement politique. L’Intérieur, c’est enfin et surtout l’organisation et la supervision des élections. À quelques mois d’un scrutin législatif en tout point crucial, ce gouvernement-là n’est certes pas fait pour recueillir les suffrages.

«Aurait-il donc fallu aller pêcher les ministres sur la Lune ? » : cette boutade lancée hier par le Premier ministre Omar Karamé vient confirmer à souhait qu’en dépit des promesses présidentielles de changement, de répudiation des vieilles pratiques politiques, la formation de tout gouvernement au Liban continue de donner lieu à une âpre compétition entre les divers...