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analyse Entre syndrome de Jeanne d’Arc et volonté inhibée Cette pathologie complexe que diagnostique Fouad Boutros

On appelle cela le syndrome de Jeanne d’Arc. Une forme redoutable de mégalomanie. Qui porte un être à se croire investi d’une mission céleste de sauveur. Un phénomène fréquent chez les leaders de tout acabit, jeunes loups aux dents longues, politiciens ou militaires. À l’Est, cette dérive de l’ambition n’est qu’un contre-effet d’un virus de nostalgie larvée. « Mais où sont les neiges d’antan ? » Comme Villon, le bon peuple soupire après la blancheur immaculée des anciennes toges consulaires maintenant disparues. De l’aura, de la puissance, d’un Émile Eddé ou de son fils Raymond, d’un Béchara el-Khoury, d’un Camille Chamoun, d’un Fouad Chéhab, d’un Hamid ou d’un Sleiman Frangié, d’un Pierre Gemayel... D’où la tentation, pour tout homme public crédité d’une relative popularité, d’assurer la succession, la relève sur le Hall of Fame. Seul, bien entendu. Projection qui sous-tend, qui explique, tant de rivalités entre gens du même bord. Cet individualisme notoire est terriblement, dangereusement déplacé. Comme le constate, dans ses assises privées, un mentor dont on n’écoute pas la voix, Fouad Boutros. Qui note, devant ses visiteurs, une régression générale inquiétante, sinon effrayante. D’abord au niveau de la cause des chrétiens d’Orient, qui se délite. Principalement drainée, bien évidemment, par les chrétiens du Liban. Dont le poids se rétrécit comme une peau de chagrin. Au point que l’on peut reprendre à leur propos la célèbre boutade de Staline : « Le Vatican, combien de divisions ? » Des divisions, justement, l’Est n’en manque pas. L’on a pu de la sorte entendre une figure de proue arabe lancer à des pôles de ce camp : « Croyez-moi, nous vous avons en grande estime, le patriarche en tête. Mais aujourd’hui, vous représentez quoi, au juste ? » Et qui, quel quartier, quelle rue, quel microcosme... Dans cet état d’affaiblissement, dans quelle mesure une attitude nette, ferme, peut-elle être adoptée sans provoquer de contrecoup fatal. C’est la question que pose Boutros, cité par les témoins. À son avis, Kornet Chehwane tente en réalité de concilier l’inconciliable. Il faut sans doute comprendre par là que les contradictions inhérentes à des intérêts d’autant plus opposés que les vues sont communes, sont insolubles en l’état actuel des choses. Une anecdote significative à ce propos : vers la fin du mandat Hraoui, il avait été question de créer un large front d’opposition. Nassib Lahoud, notamment, s’était démené à cet effet. Prié de cautionner le projet en y adhérant, Fouad Boutros, affirment des témoins, a rétorqué qu’en bonne logique, il fallait un programme. Prévoyant que pendant quatre ans au moins, aucun membre du front n’accepterait d’être nommé ministre. Vlan, tout était par terre... Le monde secoué D’autant que cette virgule dans l’écrit houleux du monde se déforme encore plus sous les effets des tempêtes régionales. Ou internationales. Dont le Liban est l’un des réceptacles les plus fragiles. Ce vase de cristal, toute forte vibration peut le fêler. Tout heurt accusé peut le faire voler en éclats. Il est ainsi l’un des pays les plus exposés aux retombées de ce choc des civilisations enclenché par le 11 septembre. Qu’il vaut mieux d’ailleurs occulter, ou nier. En espérant que ce manque d’aveu, d’identification du conflit, continuera à être partagé en face. Car à terme, une confrontation déclarée mettrait évidemment en péril les chrétiens d’Orient. Les Libanais compris. D’autant que, tout en s’en défendant, ils se trouvent subrepticement classés parmi les éléments qui structurent la présente logique US. Dénoncée à juste titre dans le monde arabe parce que, malgré l’apparente solidité de ses structures argumentaires, elle est totalement irréaliste. Et risque donc de provoquer des effets de rejet néfastes. Englobant à la fin, injustement mais presque fatalement, au titre d’un amalgame compréhensible, ces chrétiens du Liban culturellement proches de l’Occident. Suspects soumis à un constant contrôle d’arabité. Autre facteur, central, de précarité : l’inadaptation à l’évolution des temps. Ici, on n’arrive pas toujours à reconnaître que les bases de 43 sont largement dépassées. Depuis longtemps en fait. Ainsi, selon Fouad Boutros cité par ses visiteurs, le président Chehab, désabusé mais tenace, lançait-il déjà dans les années soixante : « Nous n’arrivons décidément pas à créer une nation. Essayons au moins de créer un État. » Pour arriver un jour à l’État-nation. L’inaccessible consensus Échec sur toute la ligne. Pourquoi ? Faute d’entente. Même sur le sens des mots. Pour certains, en effet, et entre autres exemples, l’indépendance bien comprise consiste à rester sous la coupe de la Syrie. Au nom de la communauté de sort. Et d’un numerus clausus inavoué. Couvert par des protestations, en l’air, de bons sentiments. L’on a pu de la sorte voir, et entendre, des émissaires d’un parti bien étiqueté confessionnellement et qui a décidé l’ouverture, promettre à l’Est monts et merveilles. En chantant l’attachement aux libertés, au pluralisme, à l’interaction positive etc. À la remarque que ces valeurs se délitent et se trouvent menacées par la ligne à laquelle leur parti se plie, ces cadres ont répondu en se retirant : « De grâce, dispensez-nous de répondre. » Un reflet d’anxiété qu’illustre cet aveu d’un autre pôle englué : « Vous avez raison, vous à l’Est. Mais si je le dis dehors, on me tue. Pour notre part, nous devenons schizophrènes par rapport au Liban. » Un complexe de culpabilité que l’Est ferait mieux d’éprouver de son côté. Dans ce sens que, répètent en écho les auditeurs de Fouad Boutros, les chrétiens vivent toujours dans l’illusion du passé. Un refuge mental normal en quelque sorte. Car, note l’éminent praticien, on répugne toujours à n’être plus qu’un has been. La France et l’Angleterre, par exemple, ont de la difficulté à s’avouer qu’elles ne sont plus les grandes puissances de jadis. De même, une jolie femme fait tout pour dissimuler des ans l’irréparable outrage. Il est donc peu pertinent pour le camp chrétien de militer, par exemple, pour une reprise du pouvoir en solo par le rétablissement des prérogatives régaliennes de la présidence de la République. Mais quand même, quand on est parti de 100, on peut refuser d’être ramené à zéro. Il s’agit donc d’œuvrer pour garder un ratio raisonnable. En luttant contre la médiocrité, la corruption, l’incompétence, l’absence de sens national. Et, surtout, en ouvrant les yeux sur les réalités d’un vécu économique désastreux. Sur lequel, selon un député, l’on n’entend jamais les parlementaires s’interroger dans les couloirs de la Chambre. Cet aveuglement, avertit en conclusion le mentor inquiet, peut nous mener de nouveau à ce fléau de la faim qui a ravagé le Liban durant la Grande Guerre. Jean ISSA
On appelle cela le syndrome de Jeanne d’Arc. Une forme redoutable de mégalomanie. Qui porte un être à se croire investi d’une mission céleste de sauveur. Un phénomène fréquent chez les leaders de tout acabit, jeunes loups aux dents longues, politiciens ou militaires.
À l’Est, cette dérive de l’ambition n’est qu’un contre-effet d’un virus de nostalgie larvée. «...