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Actualités - CHRONOLOGIE

RENCONTRE - « Lila dit ça », présenté, en huis clos à Beyrouth, avant le Festival de Sundance Ziad Doueiri, brasseur de cultures et héraut de son temps (Photo)

Bonne nouvelle: «Lila dit ça», de Ziad Doueiri, est en compétition officielle au Festival de Sundance. Mauvaise nouvelle: ce même long-métrage n’a pas encore trouvé d’acheteur au Liban. Présenté en huis clos à quelques centaines de happy cinéphiles (lors de deux projections privées à l’initiative du Mideast Film Festival), le deuxième opus du réalisateur de «West Beirut» a pourtant suscité de nombreuses réactions favorables. Qu’en dit Ziad? Énergique, caustique, rageur, Ziad Doueiri ne tient pas en place et parle à la vitesse d’une mitraillette. Sa chemise est une taille trop grande. Il ramène sa mèche rebelle derrière son oreille et enroule son tabac dans du papier à cigarette made in Zokak el-Blat. Son français est roulé à l’américaine, son arabe chantant à l’italienne et son anglais est typique des habitants de LA, mêlant tous les accents de la ville. Voilà Ziad Doueiri, brasseur de cultures et héraut de son temps. Héraut d’une génération qui a troqué la culture des livres ou des engagements contre celle des images, parce qu’elles ont la vertu d’être communes au plus grand nombre et que, multidiffusées, elles font croire à ceux qui ont entre 18 et 35 ans qu’ils ont grandi ensemble et, qu’à ce titre, ils ne peuvent pas vieillir, et encore moins seuls. Ces images, Doueiri en a fourni une belle partie dans West Beirut. Entre la France et les États-Unis, l’assistant cameraman et cadreur sur les films de Tarantino, qui a également travaillé sur From Dusk Till Dawn de Roberto Rodriguez, avait signé son premier film en 1998, œuvre cinématographique inspirée de sa propre histoire, devenue culte pour toute une génération ayant vécu les tumultueuses années 70 et 80 dans la capitale libanaise. Aujourd’hui, cinq ans plus tard, il revient avec une œuvre très différente. «On s’attendait à ce que je présente East Beirut?», lance Doueiri mi-ironique, mi-excédé. Le Proche-Orient pour les nuls Le réalisateur considère la sélection à Sundance comme une chance de survie pour ses nombreux scénarios en attente de fonds. Celui qui lui tient le plus à cœur s’intitule Man in the Middle. C’est le conflit du Proche-Orient expliqué aux néophytes. Sans slogans, mais injecté d’humour noir. Il pose et se propose de répondre à de nombreuses questions: qui sont les dirigeants? Quelles sont les problématiques? Comment se font les manipulations d’une capitale à l’autre ? Et au milieu de ces magouilles à l’échelle continentale, un Américain, envoyé par le ministère des Affaires étrangères de son pays pour résoudre le conflit et faire en sorte que les différentes parties impliquées s’assoient sur une même table de négociations. On comprend donc qu’un sujet aussi sensible, «qui ne plaira jamais aux extrémistes arabes ou juifs américains», n’ait pu obtenir un financement à ce jour. «Hollywood n’est pas capable ou prêt à montrer le point de vue arabe du conflit», analyse le jeune cinéaste. Le 11 septembre 2001, il a vu ses espoirs de réaliser ce film s’écrouler avec les Twin Towers. Aujourd’hui, il reprend espoir avec la sélection de son film au Festival de Sundance. «Je n’ai pas de projets morts. Ils hibernent.» Juste le temps de relancer la chasse aux billets verts. Pourtant, Doueiri ne se pose pas en victime: «On ne va pas reprocher aux financiers de vouloir faire de l’argent. Mais le salut viendra des stars. Leur consentement suffit à enclencher les investissements, et comme les acteurs qui sont parvenus à ce statut de star souhaitent le conserver, ils veulent participer à des œuvres qui donnent un tant soit peu à réfléchir. Seul le succès permet de continuer.» Cela posé, le public de certains films est ciblé, limité. Il existe, en tout cas, et parfois, avec un peu de chance, on peut trouver le moyen de faire le pont entre différentes catégories de spectateurs. C’est un peu comme avec le jazz et la musique pop, certains artistes parviennent à intéresser les deux types d’audience. «L’intérêt de Lila dit ça est qu’il s’apparente aux films d’auteurs tout en gardant un potentiel commercial», souligne Doueiri. Vidéo-clips saoudiens Mais ce financement, doit-il nécessairement venir des USA? «Je m’en balance, l’argent peut venir de Jupiter, s’emporte le réalisateur. Mais le sujet intéresse les Américains plus que les Européens. C’est un film qui traite de la politique des USA, les Européens n’y trouveront aucun intérêt. On n’y parle ni français, ni allemand, ni danois. En outre, le budget, estimé entre 12 et 15 millions de dollars, dépasse les sommes que les Européens ont l’habitude de donner». Est-ce que la production peut venir du monde arabe? «Je doute fort. À vrai dire, je m’attendais à ce que des producteurs arabes soient intéressés par un film qui expose leur part du gâteau. Mais le problème, c’est que les investisseurs du Golfe n’ont pas de vision. Ils ont beaucoup d’argent, beaucoup d’ambition, mais pas de perspective d’avenir.» Doueiri ajoute qu’il avait «pitché» son projet à un Saoudien. Réponse du sollicité: «Moi je veux bien qu’on fasse des vidéo-clips ensemble.» Le réalisateur secoue sa cigarette en silence. Et d’ajouter: «Aujourd’hui, les Français n’ont plus envie de produire des films arabes. Ils s’orientent vers d’autres horizons, notamment les pays d’Amérique latine. Ce continent qui a ployé sous les dictatures vit aujourd’hui un dynamisme fou, une énergie nouvelle.» Doueiri travaille d’ailleurs sur un film dont l’histoire se déroule au sud du continent américain. Heureuse coïncidence? Mais revenons plutôt à Lila. Lila en dit trop Alors, qu’est ce qu’elle dit, Lila? Le contraire de ce qu’elle pense. Lila a seize ans, elle est belle, blonde. Elle rêve le sexe comme il est vendu par les adultes. Elle raconte son joli petit corps dévoré des yeux par les mâles. Qu’est-ce qu’elle fait, Lila? Lila parle et provoque. Chimo écoute, en bave et écrit. Le langage de cette Juliette est cru, elle en raconte des vertes et des pas mûres, et en fait voir de toutes les couleurs! Chimo, le jeune Arabe, s’applique à retranscrire ses rencontres avec l’adolescente délurée. Lila dit ça a vu le jour sur une idée de Marina Gefter, productrice italienne installée en France (Godfather III, Femme fatale). «Elle avait vu West Beirut et cherchait une sensibilité arabe avec l’expérience de Hollywood pour mettre en images le roman de Chimo», raconte Doueiri. «Joëlle (ndrl: Touma, sa partenaire dans l’écriture de scénarios) et moi avons trouvé le roman génial. Mais il nous a inquiété. Il est écrit à la première personne. Il nous était impossible d’envisager un film narré avec une voix off, cela devient ennuyeux. Deuxième problème: les faits se déroulent dans la banlieue parisienne. Une région surexploitée dans le cinéma français et un territoire que je ne connais pas.» Pour surmonter ces difficultés, Doueiri a délogé l’histoire de la banlieue vers Marseille, une ville méditerranéenne qui ressemble à Beyrouth, et a créé des personnages avec lesquels Chimo pouvait dialoguer. Vahina Giocante, l’actrice qui tient le rôle de Lila, tire parfaitement son épingle du jeu, avec juste ce qu’il faut de polissonnerie et d’air faussement innocent. «Nous avons passé 420 castings avant de tomber par hasard sur Vahina. Il fallait trouver une actrice qui puisse délivrer ces phrases crues sans sombrer dans la vulgarité. Après 9 mois de recherche, je m’inquiétais beaucoup. On approchait de la date du tournage. En plus, certaines actrices avaient peur de ce rôle.» Vahina, elle, avait envie de prendre des risques. Ce qui ne l’a pas empêchée, en milieu de tournage, de paniquer un peu devant le caractère osé de Lila. «Elle voulait couper certaines phrases. On a même perdu trois jours de négociations pour sauver une réplique.» Devant toutes ces réticences, Doueiri et Touma ont autocensuré quelques phrases un peu trop olé olé. Aujourd’hui, le tandem regrette énormément. Cela aurait donné plus de force au caractère. D’autres regrets? «On en a toujours, c’est normal. Si j’avais plus d’argent, de temps. C’est un conflit classique.» En attendant janvier, date du Festival de Sundance, espérons que Beyrouth, premier amour du cinéaste, puisse rendre la fleur à son enfant terrible… Maya GHANDOUR HERT
Bonne nouvelle: «Lila dit ça», de Ziad Doueiri, est en compétition officielle au Festival de Sundance. Mauvaise nouvelle: ce même long-métrage n’a pas encore trouvé d’acheteur au Liban. Présenté en huis clos à quelques centaines de happy cinéphiles (lors de deux projections privées à l’initiative du Mideast Film Festival), le deuxième opus du réalisateur de «West Beirut» a...