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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Coups de chaleur

La prorogation du mandat présidentiel est-elle vraiment affaire classée, dépassée, tout débat devenant inutile face à l’irréversible événement ? Et faudra-t-il vivre avec le fait accompli en regardant avec sérénité et confiance vers l’avenir radieux que nous prépare Émile Lahoud, comme l’assurent en chœur les chantres du régime ? Le fait est qu’on voit mal le chef de l’État – et encore moins le faiseur de rois syrien – se résignant eux-mêmes à arrêter les frais, à déclarer forfait à la vue des vifs remous qu’aura suscités, au double plan libanais et international, le coup de force du 2 septembre. Mais il est certains faits accomplis qui n’en finissent pas de faire problème. Tel semble bien être le cas de cette reconduction, même si elle s’est parée d’un semblant de légalité constitutionnelle. Un très vague semblant, pourrait-on même dire, car bien que cautionné par une confortable majorité parlementaire, l’abusif amendement de la Loi fondamentale n’était que la conséquence directe, évidente, flagrante (et par la suite avouée !) d’une consigne syrienne que seuls se sont hasardés à braver... quelques braves. Entre-temps et dans l’attente d’on ne sait quel mystérieux développement, l’État est frappé de paralysie depuis plusieurs semaines, et avec lui la vie politique et économique du pays. Partout ailleurs pourtant, dans et hors nos murs, les choses bougent. Pour la première fois depuis bien longtemps est en train de se constituer une opposition, réunissant autour d’un même et ferme attachement aux libertés publiques et à l’indépendance, des forces de gauche et de droite, musulmanes et chrétiennes, et bien présentes dans les diverses régions du pays. N’en attendez pas certes pas des miracles dans l’immédiat ; mais pour peu que cette opposition passe le test des tentations ministérielles et de la cohésion électorale lors des législatives de 2005, elle peut ambitionner de promouvoir ce couple indissociable, interactif, que forment souveraineté et démocratie. Telle que pratiquée jusqu’à ce jour, l’hégémonie syrienne ne pouvait s’accommoder d’autre chose en effet qu’un pitoyable simulacre de démocratie libanaise ; or seule une démocratie restaurée pourra jamais produire – et garantir – une relation enfin saine avec la Syrie, pour fraternelle et privilégiée qu’elle puisse être. Encore plus remarquables, bien sûr, sont les pressions internationales actuellement exercées sur Damas et Beyrouth. La déclaration publiée hier par le Conseil de sécurité à l’initiative des États-Unis et de la France n’a pas poids de résolution, c’est vrai. Compromis oblige, et comme la résolution 1559 dont il s’inquiète de la non-observation, ce texte ne cite pas expressément la Syrie que mentionnait bel et bien en revanche le récent rapport du secrétaire général Kofi Annan, invité à faire désormais le point tous les six mois. Il reste, et c’est là que réside sa grande importance, que la proclamation d’hier a été adoptée à l’unanimité : c’est-à-dire aussi par les abstentionnistes du dernier vote, et notamment l’Algérie, seul pays arabe membre du présent Conseil. Mieux que toutes les majorités de vote, cette même unanimité illustre, dès lors, la détermination de Washington et Paris à maintenir la pression à l’aide d’un mécanisme de suivi désormais bien en place : à « garder au feu les pieds de la Syrie », selon une diplomate US de haut rang. Dans d’aussi brûlantes situations est-il toujours possible de garder la tête froide ? Pour prévisible qu’elle était, la fin de non-recevoir instantanément opposée par la Syrie et le Liban à la démarche onusienne ne manque pas de trahir autant de préoccupation et de nervosité que de manque d’imagination. « Intervention illégale dans les relations bilatérales » : le hasard aura voulu que cette sèche sentence, le chef de la diplomatie syrienne ait dû la prononcer à partir de Bruxelles où son pays venait de parapher l’accord d’association avec une Union européenne des plus tatillonnes sur la question. À Beyrouth, c’est évidemment sans l’ombre d’une ironie qu’a été flétri ce dangereux « précédent » (?) d’ingérence dans les affaires d’un pays membre. Mise sous observation internationale, bulletins de santé périodiques ? Ce n’est pas encore là ce qui, le plus cruellement, ôte le sommeil à plus d’un responsable. L’idée ressemble à un canular mais c’est loin d’en être un, à tel point que l’ambassadeur US s’est vu demander des précisions en plein week-end : il s’agit de la proposition émanant de membres influents du Congrès américain, en fait les pères du Syria Accountability Act, et visant à geler les avoirs d’individus au sein du gouvernement libanais ayant notoirement coopéré avec la Syrie pour l’aider à maintenir son contrôle sur notre pays. Jusqu’où ira-t-on encore, on vous le demande. Il est en effet des coups bas qui devraient être interdits car assénés là où cela fait insupportablement mal : sous la ceinture pour les boxeurs, dans le portefeuille sous nos latitudes. Sans parler, bien entendu, du déplorable effet qu’aurait une telle infamie sur la proverbiale réputation d’intégrité de tous ceux qui poussent l’abnégation jusqu’à gérer nos affaires comme si c’étaient leurs siennes propres.

La prorogation du mandat présidentiel est-elle vraiment affaire classée, dépassée, tout débat devenant inutile face à l’irréversible événement ? Et faudra-t-il vivre avec le fait accompli en regardant avec sérénité et confiance vers l’avenir radieux que nous prépare Émile Lahoud, comme l’assurent en chœur les chantres du régime ?
Le fait est qu’on voit mal le...