Rechercher
Rechercher

Actualités

COMMÉMORATION - La romancière française est décédée il y a une semaine Françoise Sagan, entre «petite musique» et grandes frasques(photos)

1999. Affaire Elf. Françoise Sagan, l’une des romancières les plus appréciées de France, avoue avoir joué les intermédiaires pour le groupe pétrolier auprès de son ami François Mitterrand, en faveur d’un contrat de droits de prospection d’Elf en Ouzbékistan. En échange de fortes commissions, elle avait notamment transmis directement à François Mitterrand, en 1992 et en 1993, des messages en faveur du président ouzbek Islam Karimov, qui était alors mal vu à Paris. Résultat des courses: en février 2002, l’écrivaine est condamnée pour fraude fiscale à un an de prison avec sursis, pour avoir dissimulé au fisc des revenus de 84000 euros en 1994 puis de 610000 euros l’année suivante. Son avocat a soutenu qu’elle avait fait preuve de «confusion» dans ses comptes. Casinos, emprunts massifs à ses proches, endettements sans fin: si l’auteur de Bonjour tristesse est reconnue unanimement pour la «petite musique» qui a fait l’immense succès de ses livres, elle aura passé sa vie à avoir besoin d’argent. Une fois, cependant, la chance lui a souri. En juillet 1958, elle se lasse de Saint-Tropez et loue, à quelques kilomètres de Honfleur et de la demeure de Proust, qu’elle admire particulièrement, le manoir du Breuil, où ont séjourné Alphonse Allais, Jules Renard, Sacha Guitry et d’autres. Le 8 août, grâce au chiffre 8, elle gagne à la roulette 80000 francs. À huit heures du matin, elle apporte la somme au propriétaire du manoir. C’est la première fois de sa vie qu’elle devient propriétaire d’une maison dans laquelle elle vit. Voilà pour les tristes affaires d’argent qui l’ont poursuivie inlassablement. Françoise Sagan, de toute manière, n’a jamais rien fait comme tout le monde. Née en 1935 dans une riche famille d’industriels, elle est renvoyée du couvent des Oiseaux en 1947 pour son «dégoût de l’effort». Elle rate son bac en 1951 pour aller écouter du jazz à Saint-Germain-des-Prés. La Sorbonne l’intéresse tout aussi peu. En huit semaines, elle écrit son premier roman, son coup de maître, Bonjour tristesse. Elle dépose son manuscrit chez l’éditeur René Julliard qui, le lendemain matin, accepte de le publier. Le titre, tiré d’un vers de Paul Éluard, détonne. Mauriac salue instantanément cette jeune réincarnation de Colette et de Radiguet. Deux millions de copies sont vendues, dont la moitié aux États-Unis. Commentaires, des années plus tard, de l’intéressée: «La gloire, je l’ai rencontrée à 18 ans en 188 pages, c’était comme un coup de grisou.» Puis, plus tard encore, l’ironie se transforme en colère désabusée: «J’en ai par-dessus la tête de ce petit succès devenu refrain éternel.» «Un bilan globalement positif» Une réaction bien compréhensible. Entre 1954 et 2002, elle aura écrit 51 romans, pièces de théâtre et mémoires. À un rythme affolant, comme celui de sa vie. Il faut dire que Françoise Quoirez, qui a emprunté son pseudonyme à la princesse de Sagan, l’un des personnages d’À la recherche du temps perdu, a compris la mission de son art en lisant Proust. En 1996, à l’occasion de l’émission télévisée Un siècle d’écrivains, elle confie: «Avec Albertine retrouvée, je découvris que la matière même de toute œuvre, dès lors qu’elle s’appuyait sur l’être humain, était illimitée.» Françoise Sagan et son succès, jamais démenti. Chacun de ses romans a été attendu et, pas de chance pour les envieux, instantanément apprécié par ses lecteurs et même par la critique qui, à contre-cœur, lui reconnaît un talent certain. En 1959, à l’occasion de la publication de son quatrième roman, Aimez-vous Brahms?, le quotidien Combat fait paraître, le 4 septembre, un dialogue fictif pour le moins acidulé, «Françoise Sagan et la sous-littérature». Réponse, planant comme toujours au-dessus de tous les quolibets, de mademoiselle Sagan sur sa propre production: «Pas de la grande littérature, mais un bilan globalement positif.» Une vie de bâton de chaise Elle est intouchable. Il faut dire que la baraka de Bonjour tristesse vient principalement du contexte historique parisien. En 1954, l’émancipation féminine se prépare, rive gauche. Dix ans après la guerre, il est temps que la liberté souffle. Françoise Sagan, avec un style détaché, raconte l’éveil à l’amour d’une adolescente à la fois innocente et perverse. Il n’en fallait pas plus, en 1954, pour devenir une véritable égérie auprès de la jeunesse affranchie, qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de «bobos» (bourgeois bohèmes). Amie des écrivains et des vedettes, qui la soutiendront lors de ses démêlés avec le fisc, dont Florence Malraux, Bernard Frank, Jacques Chazot et une certaine Brigitte Bardot (son alter ego au cinéma), dont elle écrit la biographie en 1975, elle mène une vie de bâton de chaise: alcool, drogue, jeu et surtout voitures de sport. L’argent fou que lui rapportent ses premiers romans lui permet de collectionner les bolides dans lesquels elle roule à tombeau ouvert, jusqu’à son terrible accident de 1957, dont elle sort indemne de justesse. Ce qui ne l’empêche aucunement ni d’écrire ni de continuer à brûler son existence par les deux bouts. La grande dame à la voix saccadée, à l’éternelle cigarette et à la mèche blonde devant les yeux paiera ses excès en 1985, pendant un voyage en Colombie avec son ami François Mitterrand, où elle est accablée par une déchirure de la plèvre. Mais elle semble increvable. Elle ne s’en cache pas d’ailleurs. Elle confiera, en 1998: «J’ai toujours eu envie de vivre et d’écrire. Et j’ai eu le pot d’y parvenir.» Mariée et divorcée deux fois, elle n’a eu qu’un seul fils. La vie conjugale et la maternité répétée auraient sans doute été trop encombrants pour une femme libre avant tout, au mépris des convenances et des habitudes. À 69 ans, la veille du 70e anniversaire de sa complice, un autre mythe, B.B., elle s’est éteinte, après un arrêt cardio-respiratoire fatal. Elle laisse derrière elle l’une des plus glorieuses récompenses que puisse recevoir un écrivain: un adjectif tiré de son nom. «Saganesque» donc, c’est un style nostalgique et drôle, faussement futile et très lucide (lire l’encadré). Entre «petite musique» et grandes frasques, Françoise Sagan a perpétré pendant 50 ans la révolte de Saint-Germain-des-Prés. Diala GEMAYEL Extrait de «Derrière l’épaule» «Quand j’avais un moment sans clarinette ou sans discussions intellectuelles, celles-ci avec Florence Malraux, ma condisciple à la Sorbonne (discussions que nous poursuivons toujours), je rentrais dans un bistrot où le patron débonnaire me laissait siroter interminablement un café imbuvable. Désœuvrée, mais exaltée, j’écrivais des sornettes et les réécrivais sans cesse. Je commençai, au fil de ces sornettes, à remplir un petit cahier bleu, très lisible, que j’aimerais bien retrouver, d’ailleurs. C’était Bonjour tristesse, écrit dans ledit cahier, que je confiai, trois ans plus tard, à une amie de toute confiance qui craignait que je ne le perde. Peu après, elle tomba gravement malade et, du coup, je n’osai pas le lui reprendre. Après sa mort, lorsque je le demandai à sa famille, il avait disparu. J’avais vu mon amie le mettre dans son coffre, mais je savais que sa mère, morte aussi aujourd’hui, était la méchanceté même et qu’elle était capable de tout. Ce n’est qu’un bien perdu de plus, mais j’ai l’impression d’avoir abandonné un enfant chez des gens sans tendresse.» (Éditions Plon, 1998)

1999. Affaire Elf. Françoise Sagan, l’une des romancières les plus appréciées de France, avoue avoir joué les intermédiaires pour le groupe pétrolier auprès de son ami François Mitterrand, en faveur d’un contrat de droits de prospection d’Elf en Ouzbékistan. En échange de fortes commissions, elle avait notamment transmis directement à François Mitterrand, en 1992...