EXPOSITION - « Turning Disability Into Ability » de Roger Moukarzel, jusqu’au 30 novembre, place de l’Étoile Un nouveau regard sur les handicapés (Photo)

Jeudi 7 octobre, 19 heures. La place de l’Étoile n’était pas vide. Ce soir-là, elle a une âme. Celle du photographe Roger Moukarzel et celle des 13 photos gigantesques que l’on reçoit comme un coup de poing dans la figure, faisant exploser nos certitudes et notre doux confort. Au cours de l’inauguration de l’exposition «Turning Disability Into Ability», organisée par The Lebanese Welfare Association for the Handiccaped, qui fut un moment particulier, le cœur a balancé entre émotion et respect, admiration et malaise. Impressionnants, le cadre, illuminé par un puissant éclairage; les photos, 8 mètres par 4; l’installation, une structure édifiée en forme d’étoile, à la place qui porte le même nom. Le travail de Roger Moukarzel, 13 portraits en noir et blanc, pris en studio, regard intime et amical sur 13 cas, chiffre maudit, des personnes touchées dans leur chair. Et enfin le message, courageux et optimiste, qui voudrait banaliser le handicap et souligner le talent de chacune de ces victimes. Car elles sont toutes victimes de mines, d’éclats d’obus, de folie humaine, de sales politiques ou de nos minables petites guerres. De la vie en somme. Une soirée particulière C’est donc à 19 heures que fut lancée cette magnifique exposition, en présence de Nabih Berri, président de la Chambre, et de son épouse Randa, présidente de l’association initiatrice de l’événement. Outre les personnalités publiques et mondaines, de nombreux handicapés, certains figurant sur les photos, d’autres faisant partie du LWAH, ont pris part à cette manifestation. Ce qui apporta une dimension encore plus grande à la soirée d’inauguration qui fut rythmée par les interventions musicales des chanteuses Éliane Mahfouz et Hayat el-Ghosseini, elle-même non-voyante, et par des numéros de clowns et jongleurs de l’association arcenciel. Enfin, trois sportifs étrangers, venus spécialement pour le Marathon de Beyrouth, qui s’est déroulé dimanche, étaient de la fête. Car c’était bien de fête qu’il s’agissait. Pas de misérabilisme ou de compassion, mais une superbe leçon de courage devant laquelle il est difficile de rester indifférent. Une installation grandiose «Il me fallait une place publique qui puisse contenir les 13 photos et l’affiche, dans ce format immense, explique Roger Moukarzel. «C’est une exposition géante qu’on ne pouvait pas enfermer. Je voulais que tout le monde puisse voir, et voir de loin.» Le photographe, sur une idée conçue en collaboration avec Myriam Kaddoura et Mazen Fayad, a vu grand. Les handicapés, qui ont posé pour lui, en ressortent grandis. «C’est un travail d’un an. J’en ai rencontré et photographié une vingtaine avant de faire un choix définitif.» Un choix basé sur l’histoire de la personne, la qualité de la photo et la force du message. «C’est le message qui m’intéresse. J’ai voulu que le spectateur, en regardant mon travail, voie la personne avant son handicap. Qu’il découvre d’abord ses talents au premier regard, qu’il perçoive son métier et qu’il puisse banaliser le handicap.» C’est ainsi qu’au détour de chaque cliché et en tournant autour de l’étoile, reconstituée sur la place, l’on découvre des êtres qui forcent l’admiration: Hussein Ghandour, Ghazala Hashem, Youssef el-Mawla, Mohammed el-Kerdi, Lama Rammal, Adel Kansoun, Ali Salman, Mohammed Abbas Hussein, Anwar Awad, Sahar Kamal, Mohammed Farhat, Hani Hassouna et Mohammad Kujuk. Certains sont atteints de poliomyélite, d’autres de trisomie; certains ont perdu des membres sur des mines, d’autres la vue, un bras, une fonction suite à des éclats d’obus. Mais tous ont surpassé leur handicap, ont perfectionné certains talents, la couture ou le travail sur ordinateur, sont devenus de grands sportifs, pratiquant la natation, le tennis ou encore le basket-ball sur chaise roulante. Tout devient ainsi possible tant que la volonté existe. Les œuvres de Roger, qu’il a offertes à l’association, feront, espèrent les organisateurs, le tour du Liban dès la fin du mois de novembre. Roger Moukarzel a vu grand. En repartant, on se sent tout petits… Carla HENOUD