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Actualités - OPINION

OPINION Iran-États-Unis : l’impossible rapprochement

Depuis maintenant près de 25 ans, Téhéran et Washington n’entretiennent aucune relation diplomatique, préférant les rencontres informelles que leur ménagent les Nations unies à Genève. Encore considéré par plusieurs stratèges américains comme l’un des pivots de la stabilité au sud de l’Eurasie, l’Iran n’a pas échappé aux influences étrangères. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer l’épisode de la fuite du chah, confronté à la montée du régime nationaliste de Mossadegh (1951-1953), puis son retour orchestré par les services de renseignements britanniques et américains. Le soutien américain dans la transformation économique et sociale de l’Iran dans les années qui suivirent connaîtra cependant une fin abrupte avec le soulèvement populaire de 1979, la prise en otages de membres de l’ambassade américaine à Téhéran et l’établissement d’un régime théocratique islamique. Quant à la réaction américaine, elle reposera sur des sanctions diplomatiques et économiques, discutables dans la réussite de leurs objectifs, mais néanmoins révélatrices du malaise qui perdure jusqu’à maintenant. Un sujet de dissension majeur apparaît au grand jour ces derniers mois, portant sur les intentions réelles que cache le programme nucléaire iranien. En fait, Washington entend obtenir de Téhéran les garanties suffisantes prouvant le caractère soi-disant civil de ce programme. Des pressions américaines sont actuellement exercées sur les membres du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), afin de saisir le Conseil de sécurité de l’Onu et d’imposer à l’Iran une date-butoir. Il appartiendrait donc à ce dernier de prouver à la communauté internationale que son programme nucléaire ne viole en rien le Traité de non-prolifération nucléaire dont il est l’un des signataires. Il faut noter l’importance qu’accordent les Américains au programme nucléaire iranien, qui implique à lui seul des enjeux stratégiques et militaires cruciaux pour l’ensemble du Moyen-Orient. En effet, Washington est convaincu du caractère militaire du programme iranien. Téhéran s’expose donc à une fin de non-recevoir US à toute normalisation des relations, en dépit d’une plus grande ouverture diplomatique face à l’Occident, ces dernières années. En cela, l’attitude américaine illustre bien ses priorités au Moyen-Orient : sécurité et équilibre des forces d’abord, développement économique des régions pacifiées ensuite. Deux stratégies irréconciliables L’Iran traverse présentement une période de transition post-islamiste, marquée par la confrontation entre modernité et tradition. À défaut d’une réelle démocratie, le pays n’en demeure pas moins moderne dans l’évolution récente de ses institutions politiques et de sa société civile, surtout en comparaison avec la région arabo-persique qui l’entoure. C’est pourquoi ses efforts afin de soigner son image à l’étranger, ainsi que sa neutralité lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan, peuvent sembler suffisants pour que Washington daigne accepter une amorce de dialogue. Pourtant, les États-Unis restent de marbre face à toute normalisation des relations avec l’Iran. Pourquoi donc ce refus systématique ? En raison principalement du maintien de la stratégie iranienne de superpuissance régionale qu’elle entend développer grâce à son programme nucléaire. En effet, Téhéran a procédé dès 1984 à la relance de son programme nucléaire et s’est engagé récemment à moderniser sa structure militaire sur un horizon de 25 ans afin d’établir un complexe militaro-industriel d’envergure. Quant à savoir la vraie nature de son programme nucléaire, plusieurs éléments tendent à démontrer qu’il s’agit effectivement d’un programme d’armement nucléaire. Certains spécialistes s’expliquent mal que l’Iran, qui détient la deuxième réserve gazière au monde, veuille investir dans une centrale nucléaire qui produirait de l’électricité à un coût supérieur à celui d’une centrale thermique. À l’évidence, le meilleur choix économique n’a pas été respecté. Par ailleurs, en dépit de la signature d’importants traités sur la non-prolifération nucléaire par l’Iran, ce pays se cantonne jusqu’à présent dans une stratégie attentiste à l’endroit de l’AIEA. Comment expliquer cette collaboration difficile ? Pourquoi ne pas suivre l’exemple de la Libye, qui a abandonné son programme nucléaire en échange d’investissements majeurs ? Essentiellement pour trois raisons : premièrement, le programme nucléaire iranien étant considéré par les autorités en place comme intimement lié au projet national, sa dynamique propre et les investissements majeurs qui lui sont associés rendraient impensable son abandon ; deuxièmement, l’Iran doit désormais manœuvrer avec un voisin américain qui, à proximité de sa frontière, contrôle les détroits, surveille la Caspienne soviétique et est présent en Méditerranée, en Afghanistan et en Irak ; troisièmement, la probabilité que l’Iran ait la bombe atomique d’ici à 2007 explique le jeu du chat et de la souris pratiqué par Téhéran à l’endroit de l’AIEA. Bref, à l’exemple de la Corée du Nord, la possession de l’arme nucléaire par l’Iran serait un moyen dissuasif pour contrer une éventuelle frappe préventive – notamment israélienne – à son endroit. Les États-Unis connaissent très bien le potentiel économique que représente l’Iran, situé au carrefour des marchés émergents. Toutefois, aucune normalisation des relations entre les deux camps n’est envisageable sans l’abandon de son programme d’armement nucléaire et sans la fin du soutien iranien au terrorisme international. Plus largement encore, la politique américaine à l’endroit de l’Iran s’inscrit à l’intérieur d’un projet de « Grand Moyen-Orient », allant du Maghreb au Pakistan, qui vise à pacifier et sécuriser d’abord les pays de la région, pour ensuite seulement s’attacher à leur démocratisation et leur développement économique éventuel. Dans un tel scénario, on devine aisément qu’un Iran fort militairement, en mesure de convaincre les pays arabes de faire reposer leur système de sécurité sur des systèmes régionaux plutôt qu’américain, viendrait bousculer les plans de Washington… L’heure des choix À moins d’un revirement sans précédent, la politique régionale iranienne s’en tiendra à ses choix stratégiques pour les raisons évoquées plus haut. En revanche, Washington détient une faible marge de manœuvre pour mettre fin au programme d’armement nucléaire iranien. D’abord, il n’est pas sûr qu’un recours américain au multilatéralisme et aux sanctions internationales puisse être en mesure de freiner l’avance que détient Téhéran. Quant à l’envoi de troupes US, il s’avère impensable, surtout à la veille de l’élection présidentielle. La seule alternative possible serait de procéder à une « frappe préventive » sur un ou des sites nucléaires iraniens, à l’exemple de la destruction du réacteur irakien par Israël, en 1981. Seulement, cette fois-ci, l’identification des sites nucléaires s’avèrerait plus complexe que dans le cas irakien ; sans compter que Téhéran possède des missiles balistiques ultraperformants, en mesure d’atteindre Israël. Du reste, en l’absence d’obstacles majeurs, l’Iran gagnera probablement son pari de rejoindre le club des puissances nucléaires. Benoît TOURIGNY Bachelier en histoire Université du Québec à Montréal
Depuis maintenant près de 25 ans, Téhéran et Washington n’entretiennent aucune relation diplomatique, préférant les rencontres informelles que leur ménagent les Nations unies à Genève. Encore considéré par plusieurs stratèges américains comme l’un des pivots de la stabilité au sud de l’Eurasie, l’Iran n’a pas échappé aux influences étrangères. Pour s’en...