Fléchettes La dérive incontinent

Le « Petit pays chéri », c’est le Cap-Vert de Cesaria Evora. Chéri (par sa sœur, notamment, et note d’amant), le Liban l’est sûrement. Mais petit, pas du tout. Au contraire, même, vaste comme un continent. Pas seulement selon le bobard éculé qui lui attribue de la grandeur pour ses valeurs, ou pour ses quarante voleurs. Pas tant, non plus, pour le génie patent de ses zahliotes d’ici, de São Paulo ou d’ailleurs. Mais bien par sa superficie. Plus exactement, pour ses distances. Ethniques, culturelles et sociales, plus encore que religieuses. Tenez, Beyrouth, où se concentre la moitié de la population, n’est rien qu’un chapelet d’îlots qui s’ignorent royalement. Aucune commune mesure, par exemple, entre le quartier Sursock et le secteur La Sagesse, ou Gemmayzé, qui se touchent pourtant du doigt. Jezzine et Nabatiyeh n’ont en partage que le copartage électoral façon Berry. Dont le haut caprice rassembleur a même été considéré en 2000 comme étant presque contre nature ! Ainsi, la houle de Majdel Anjar (et l’on peut citer des cas plus graves, comme le massacre des quatre juges à Saïda) n’a pris couleur que de fait divers aux yeux de la plupart des Libanais. Une faible secousse oubliée aussitôt le J.T. terminé. Il y a là cependant, et pour tous, de quoi s’inquiéter encore plus que de la 1559. À laquelle, en tout cas, on n’y peut rien. Tandis que Majdel Anjar est en même temps un signal d’alarme, un indice négatif à plusieurs niveaux. Un test probant d’incapacité. Qui met en relief accusé l’absolue nécessité de changer le système. En s’efforçant de « civiliser » les mentalités. Pour Majdel Anjar, les députés de la plaine se sont réunis, sur initiative du mufti Meyss. Qui veut que justice soit rendue à la famille du présumé terroriste Khatib, mort en détention. Les députés, de leur côté, ont affirmé qu’il faut admettre le « projet d’État » (sic), tout en effectuant ensemble une visite de condoléances aux Khatib. Une position de principe et une démarche de fait, qui montrent une volonté certaine de jouer l’apaisement. En ce faisant, les parlementaires sont parfaitement dans leur rôle. Traditionnel. Vicié de toujours. Puisqu’au titre de considérations diverses, il favorise non seulement des arrangements avec la loi (comme, et c’est le comble, la justice debout elle-même l’a fait), mais aussi, et surtout, le clivage entre la population et l’État. Si l’on doit continuer ainsi, une fois le Syrien parti (et on notera qu’il en a profité pour se montrer indispensable), ce serait en douze cents républiques de fait accompli (comme la prorog) que ce pays se disloquerait du coup. Même pour un vaste continent, c’est un peu beaucoup. J. I.