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Actualités - REPORTAGE

Les campagnes menées par le British Museum dévoilent les dessous cananéens et phéniciens de la capitale du Sud 53 tombes de guerriers et la plus ancienne céramique crétoise du Levant découvertes à Saïda (photo)

Après six ans de fouilles, Saïda dévoile ses strates préromaines, des IIIe, IIe et Ier millénaires avant Jésus-Christ. Les opérations, menées par la mission archéologique du British Museum, en collaboration avec la Direction générale des antiquités (DGA) et dirigées par Claude Doumet Serhal, couvrent 15 000 m2 de terrains expropriés avant la guerre par l’émir Maurice Chéhab, alors directeur de la DGA. Financés par le British Museum, la British Academy et la Fondation Hariri, les travaux de fouilles, fait rare, ont aussi intéressé le secteur privé libanais : Byblos Bank, Nokia Liban, Michael Farès et Namir Younès. Il y avait en tout cas de quoi susciter leur intérêt, « depuis les explorations de Maurice Dunand à Byblos dans les années 30, nulle part au Liban, on a atteint ces couches stratigraphiques allant sans discontinuité de la fin du IVe millénaire jusqu’au 1er millénaire avant J-C », déclare Mme Serhal. En 1914 et 1923, le périmètre qui englobe l’ancienne école américaine de Saïda et le Château de la Terre (communément appelé le château Saint-Louis, alors que rien ne prouve que saint Louis y ait vécu), a fait l’objet d’une exploration entreprise par Georges Contenau. Mais les sondages n’ont jamais été publiés. Dans les années 1969-1970, Maurice Dunand mène une campagne de fouilles et ne trouve que quelques colonnes enfouies dans une montagne d’immondices. Toutefois, c’est sur les mêmes lieux, lors de la construction des fondations de l’école américaine vers la fin des années 1880, qu’a été déterré un chapiteau en forme de double protomés de taureaux, imitation des chapiteaux perses de Suse, en Iran. Ce chapiteau conservé actuellement au Musée national de Beyrouth est attribué à l’époque de la domination perse en Phénicie. Sa découverte et celle d’importants fragments en marbre appartenant à des bases de colonnes de forme bulbeuse ont permis d’émettre des hypothèses sur l’emplacement de « l’Apadana de Sidon et les jardins des plaisirs mentionnés par Diodore de Sicile. C’est la raison pour laquelle l’émir Chéhab avait exproprié les terrains », signale Claude Doumet Serhal. Elle souligne également que, d’après la carte établie par Ernest Renan, le périmètre est situé dans le fossé médiéval de la ville de Sidon, dont « le tracé ancien n’a pu être modifié puisqu’on ne construit pas dans un fossé. Alors, nous nous sommes dit que c’est là que nous parviendrons aux niveaux anciens de la cité, sans rien casser. Car le sous-sol est comme un club-sandwich, vous l’ouvrez et vous découvrez les strates superposées de l’islam, du byzantin, du romain, de l’hellénistique, puis du perse. Pour remonter encore plus loin dans le temps, l’opération devient délicate, difficile. Le fossé médiéval était donc pour nous une aubaine. Au début de l’été 1998, nous avons commencé à fouiller à la pelle mécanique, déblayant cinq mètres de remblais et de saletés dans lesquels nous avons trouvé des colonnes, des chapiteaux mais aussi des machines à laver et des détritus. Comme l’avait déjà noté Dunand, le site était dramatique », raconte l’archéologue. À Saïda, le lion sévissait Au bout de six semaines de travaux, les archéologues tombent sur le niveau du IIIe millénaire avant Jésus-Christ. À quelque huit mètres de profondeur, sur le substrat rocheux s’étaient déposés « six niveaux du bronze ancien » ponctués d’un grand bâtiment (qu’on appelle bâtiment officiel) en brique crue avec six unités de rangements, d’installations domestiques, un four à pain et une quantité d’os appartenant à des espèces animales, notamment des hippopotames, des ours et des lions. « Ce qui indique l’étendue des forêts et l’importance des fleuves qui traversaient Saïda à l’époque », fait observer Claude Doumet Serhal. Les découpes relevées sur les os démontrent par ailleurs « que les hommes se nourrissaient de la chair de ces mammifères qui tous étaient des mâles, ce qui laisse supposer une connotation religieuse », ajoute-t-elle. Le sous-sol renfermait aussi une réserve de poteries et d’impressions de cylindres sur jarre (sceaux) représentant des dessins ithyphalliques (signe de fertilité) ou du « maître des animaux » (un homme ayant le visage d’un animal) levant deux bras au bout desquels les doigts sont en forme de branches. Les recherches entreprises ont aussi révélé que deux ateliers de poterie fonctionnaient à Sidon. L’un était caractéristique de la cité et l’autre comparable à celui de Byblos. Le « maître des animaux » est toujours entouré d’un lion, que l’on trouve partout sur les impressions de cylindres, alors que c’est le bouquetin qui figure sur la poterie de Byblos, a précisé la spécialiste. Un site exceptionnel Menant plus loin leurs investigations, les archéologues ont mis au jour le mur et le bâtiment officiel de la ville cananéenne (IIe millénaire avant J-C). Ce « site exceptionnel » était enseveli sous une couche de 90 cm à 1 m 40 de sable fin. « Nous avons cru d’abord que ce sable se trouvait là tout naturellement, mais après son analyse au laboratoire, il s’est avéré que c’était du sable marin que les gens avaient apporté pour fermer le niveau du IIIe millénaire et enterrer leurs gens. » Cinquante-trois tombes ont été dégagées jusqu’à aujourd’hui. En pierre ou en brique, elles sont pareilles à celles qu’on trouve tout au long de la côte, de la Syrie à la Palestine, à la même époque. Elles renferment les squelettes entiers des guerriers mais aussi leurs armes : une pointe de flèche en bronze et une hache en bronze, avec manche en bois, posée sous la tête du mort. L’un d’eux, surnommé « Silver Man » par Claude Doumet Serhal, a la tête cernée d’un bandeau en argent ; la cheville entourée d’un bracelet en argent et les bras enserrés, l’un par un bracelet en argent et l’autre d’un bracelet en perles or et cornaline. Un autre guerrier avait six broches en bronze épinglées sur le corps. « Tous les matériaux, bronze, argent et bois, sont parfaitement conservés grâce au sable, comme en Égypte », souligne la directrice du chantier, ajoutant que l’une des haches déterrées est fermée avec deux bouleaux en bronze qui la bloquent, indiquant ainsi que « cette arme n’était pas utilisée mais qu’elle était un signe de rang et de richesse ». La hache ponctuée de 18 clous en argent disposés en cercle et qui semblait être maintenue à un élément qui s’est dégradé, est « exceptionnelle », vu qu’elle représente un modèle « jamais vu ». Toujours sur ces niveaux du IIe millénaire, les archéologues ont trouvé des sols d’occupation ainsi que 25 jarres funéraires datant de 1850-1950 avant J-C. À l’exception d’une seule, identifiée comme étant celle d’un enfant de 14 ans et contenant une pointe de flèche en bronze, ces récipients en terre cuite renferment de petites poteries, des perles et des scarabées. Parmi les jarres, une est importée d’Égypte. Elle a été utilisée pour engranger les grains avant d’être transformée en jarre funéraire. C’est toutefois la coupe crétoise aux couleurs variées qui constitue la découverte phare. Déposée à côté d’une jarre funéraire, comme une offrande, c’est « la plus ancienne importation crétoise jamais trouvée au Levant », a déclaré Mme Doumet Serhal, avant d’enchaîner sur le niveau de la fin du IIe millénaire, où apparaît un bâtiment officiel de forme carrée, au sol dallé et parsemé de bois carbonisés. Les analyses faites à l’Université de Londres ont démontré que ce sont les résidus des poutres de bois d’Arbutus (dont le tronc rouge est décoratif pour les plafonds) qui se sont écrasés sur le sol après un incendie. Avant la fermeture du chantier samedi dernier, les sondages ont donné accès à deux niveaux d’occupation datant du Ier millénaire. C’est l’âge du fer (1 000 à 400 avant J-C). Le Sidon phénicien dévoilera ses dessous l’été prochain. Affaire à suivre. May MAKAREM
Après six ans de fouilles, Saïda dévoile ses strates préromaines, des IIIe, IIe et Ier millénaires avant Jésus-Christ. Les opérations, menées par la mission archéologique du British Museum, en collaboration avec la Direction générale des antiquités (DGA) et dirigées par Claude Doumet Serhal, couvrent 15 000 m2 de terrains expropriés avant la guerre par l’émir Maurice...