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Actualités - REPORTAGE

DÉVELOPPEMENT - Projets de canalisations, de petits lacs ou de chambres froides exécutés avec l’aide du CAII Comment de petites réalisations utiles réconcilient entre eux les villageois de la Békaa (photos)

Quoi de plus banal qu’une canalisation d’eau pour l’irrigation, en béton, dans un paysage agricole? On pourrait facilement passer à côté d’elle sans la remarquer, et on aurait tort. C’est faute d’une installation aussi ordinaire et indispensable que les habitants de plusieurs villages dans la région de Yammouné (Békaa-Nord) avaient passé des décennies à se quereller. C’est parce qu’un bureau américain appelé Creative Associates International Inc. (CAII), spécialisé dans le développement, a financé ce projet de petite envergure, que l’eau provenant des sources de Yammouné suffit désormais davantage aux agriculteurs, que les querelles ont cessé, et que, de l’aveu des fils de cette région somme toute assez hétérogène, le dialogue s’est installé. Cette anecdote n’est qu’un exemple d’une action atypique dans l’histoire du développement de la Békaa-Nord. Le village de Dar el-Wassaa est niché dans les hauteurs et ressemble beaucoup aux autres localités de la région, avec un urbanisme quasi inexistant et une agriculture en paliers. C’est sur l’une de ses étroites bandes plantées que se tient Ahmed Jaafar, président de la coopérative agricole du village, pour expliquer que la simple canalisation qui traverse les différents niveaux a changé bien des vies. «Avant cette construction, il nous fallait 24h pour irriguer les prés, avec un débit d’eau relativement faible, explique-t-il. C’est cela qui empêchait l’eau d’arriver aux villages de la vallée, et les querelles qui nous opposaient aux autres étaient incessantes. Aujourd’hui, avec la canalisation, le temps de l’irrigation est réduit à deux ou trois heures, le problème de plusieurs villages des environs est presque résolu.» Les canalisations d’irrigation de 1700 mètres de long, financées par le CAII, ont coûté 46450 dollars, avec une participation locale de l’ordre de 23%. Ce projet, qui profite à quelque 75 familles d’agriculteurs et qui a contribué à réduire l’érosion, est typique de l’action du CAII: favoriser le développement local, adopter les priorités des populations, servir de catalyseur aux capacités des communautés locales. Les nombreuses canalisations d’irrigation ne sont pas le seul type de projets exécutés avec l’aide de ce bureau, dont l’une des réalisations, notamment, est la construction d’un dépôt de chambres froides à l’intention des agriculteurs à Deir el-Ahmar (dans la continuité de Yammouné). Le CAII est intervenu dans 92 villages dans la Békaa, au Liban-Sud et au Chouf, pour réaliser plus d’une centaine de projets de développement. Étalés sur cinq ans, ces projets ont totalisé huit millions de dollars. Leur valeur réside cependant dans le fait qu’ils ont ciblé des problèmes précis, répondu à des nécessités urgentes, créé des vagues dans les sociétés locales, soudain plus conscientes de leur capacité à changer leur quotidien par un travail collectif. Ou, tout au moins, c’est l’écho que l’on perçoit de la part de notables locaux, et c’est l’ambition de la compagnie telle que l’exprime Fadi Riachy, directeur du bureau régional basé au Liban. Un financement pas renouvelé par l’USAid Mais qu’est-ce que le CAII? Il s’agit à la base d’un bureau de consultants américains, propriété de deux dames d’origine étrangère (l’une argentine, l’autre chinoise), intéressées par le développement dans différents pays du monde. Il ne s’agit pas, de toute évidence, d’une organisation à but non lucratif, puisqu’il perçoit des commissions sur les projets réalisés et financés le plus souvent par l’USAid. Mais, au Liban, son travail a davantage ressemblé à celui d’une ONG, puisqu’il n’a pas perçu ses honoraires comme il le fait habituellement. Actuellement, après avoir dépensé le budget qui avait été mis à sa disposition, le CAII n’a pas vu le soutien de l’USAid renouvelé, alors que cette même organisation continue de financer les projets du bureau dans d’autres pays du Moyen-Orient. Pourquoi l’USAid n’a-t-elle pas renouvelé son soutien au CAII, alors que ses projets étaient apparemment un succès? «Cette organisation n’approuve plus notre méthode qui consiste à sonder les besoins des communautés locales et à y répondre, et insiste pour que nous fassions exécuter nos propres projets dorénavant, ce qui ne convient pas à notre conception du développement», c’est la seule réponse qu’il a été possible d’obtenir de la part de M. Riachy. Mais il est probable que l’attitude de l’USAid a été dictée par le mécontentement de certaines ONG et autres formations, qui avaient vu dans le CAII une «concurrence illicite». Mais pourquoi un consultant choisit-il d’œuvrer à la manière d’une ONG? «D’une part, nous avons répondu à un appel d’offres de l’USAid qui était ouvert aux sociétés comme aux ONG, d’où le fait que le contrat que nous avons signé nous obligeait à ne pas percevoir d’honoraires», explique M. Riachy. «D’autre part, un bureau comme le nôtre bâtit ses relations sur une solide réputation de crédibilité. Pour cela, notre travail au Liban constitue un précieux atout: notre méthode de partenariat avec les collectivités locales et de réalisation de petits projets utiles a si bien porté ses fruits qu’elle est aujourd’hui appliquée par le CAII International dans plusieurs pays du monde, et qu’elle est transposée notamment dans les pays de la région où nous opérons, comme la Jordanie ou l’Irak.» Un renouvellement du budget est attendu pour que l’activité du CAII reprenne, comme le souhaitent ceux qui ont collaboré une première fois avec le bureau. «Les projets exécutés étaient excellents, mais il faudrait qu’ils soient complétés par de nouvelles réalisations», explique Émile Geagea, président de la coopérative agricole de Barqa (Deir el-Ahmar), qui s’est pourtant taillé la part du lion du financement du CAII, avec deux projets de canalisations et un lac artificiel. Sobhi el-Khoury, président de la Fédération des coopératives agricoles de Deir el-Ahmar et de ses environs (dont Ahmed Jaafar est le vice-président), exprime les mêmes pensées que tous les autres quand il déclare que «le CAII a acquis beaucoup de crédibilité dans la région en ne se contentant pas de remplir des formulaires, mais en mettant à exécution des projets qui correspondaient à nos priorités». Et ce n’est pas tout. « Dans une région aussi hétéroclite, toutes tendances politiques et confessionnelles confondues, nous avons appris à travailler dans un cadre institutionnel», dit-il. Hanna el-Khoury, coordinateur de l’activité du CAII dans la Békaa-Nord, estime que «les projets exécutés ont résolu plus de 90% des problèmes d’eau dans les villages concernés». Il fait remarquer que «les réseaux et canalisations, que l’État a si longtemps négligé de réaliser dans une région pourtant riche en eau, permettront de concevoir des projets agricoles là où il n’y en avait pas auparavant». Selon lui, la préférence ira aux arbres fruitiers. Suzanne BAAKLINI Les principaux projets exécutés L’un des projets les plus importants exécutés par le CAII dans la Békaa-Nord est celui des chambres froides pour la conservation de produits agricoles, concentré à Deir el-Ahmar, mais dont profitent 14 coopératives agricoles représentant plus de 1000 cultivateurs. Il a une capacité de 35 à 40000 caisses, dans cette région où les principales cultures sont celles des pommes et des pommes de terre. Ce projet était une priorité absolue dans la région, les agriculteurs étant auparavant obligés d’écouler rapidement leurs cultures, au risque de se voir exploiter par les commerçants de gros, ou de stocker leurs produits à Zahlé, à plusieurs dizaines de kilomètres de leurs champs. Hanna Khoury, coordinateur de l’activité du CAII dans la Békaa-Nord, souligne que «le dépôt a libéré les agriculteurs du joug des commerçants, mais a aussi contribué à faire écouler localement la marchandise, les consommateurs ayant la possibilité de stocker une quantité importante de produits dans les salles réfrigérées». Toutefois, poursuit-il, «la réalisation la plus importante dans le cadre de ce projet, c’est la création de la Fédération des coopératives agricoles de la région de Deir el-Ahmar et de ses environs, qui a rassemblé les fils de la région autour d’objectifs communs». Cette fédération, dont la création a été retardée durant deux ans par la lenteur administrative, est chargée de gérer le dépôt. Sobhi el-Khoury, son président, précise que «les frais de stockage sont particulièrement bas, de l’ordre de 3000 LL par caisse (pour une durée illimitée), ce qui ne nous empêche pas de prévoir des bénéfices sur le long terme, d’autant plus qu’il économise aux agriculteurs des frais exorbitants de transport». Le dépôt de chambres froides a été réalisé en 2001 et a coûté un peu moins de 400000 dollars, avec une participation locale de 31%. La fédération espère pouvoir l’agrandir à l’avenir. Les autres grands projets réalisés dans la Békaa-nord sont principalement de nature hydraulique. On peut retenir le grand lac artificiel de Bteday (Yammouné), un vrai miracle de construction puisqu’il a été creusé dans la roche, mais qui offre aujourd’hui un beau spectacle et fait la fierté du village. Il a une capacité de 70000 mètres cubes et a coûté 161000 dollars, dont 85000 assurés par les communautés locales, soit 53%. Dans ce cadre, la municipalité avait obtenu un don de 32500 dollars du ministère de l’Énergie. Le projet profite à 60 familles et contribue à irriguer 130 hectares. Un autre lac artificiel de grande envergure (30000 mètres cubes) a été construit à Barqa (Deir el-Ahmar), à 1950 mètres d’altitude. Plusieurs projets de canalisations ont par ailleurs été réalisés en différentes localités. L’un d’eux, particulièrement important, est localisé à Aïn al-Naanaa (Deir el-Ahmar), une localité agricole riche en eau. Il profite aujourd’hui à plusieurs villages situés plus bas, où travaillent quelque 150 fermiers, sur un total de 200 hectares. La canalisation fait 7000 mètres de long et a coûté un peu moins de 200000 dollars, avec une participation locale de 29%. Une canalisation de 1700 mètres de long à Dar el-Wassaa aide aujourd’hui quelque 75 familles de plusieurs villages à irriguer leurs terres avec l’eau provenant des sources de Yammouné. À Mchaitiyé, un village qui ignorait auparavant l’agriculture faute d’eau, un réseau d’irrigation de 2700 mètres de long a été construit, avec un budget d’un peu moins de 200000 dollars, dont une participation locale de 68%. Il faut dire que les efforts de la société civile avaient commencé, à l’initiative d’un groupe de jeunes, à partir du milieu des années 90. Enfin, le village de Bou Slaybi, lui aussi, a eu sa part, avec un canal d’irrigation de 3650 mètres de long, une revendication de longue date des agriculteurs de cette localité. Ce projet en deux phases a nécessité un budget d’environ 100000 dollars, avec une participation locale de 24% dans la première phase et de 78% dans la seconde. Un choix laissé aux communautés locales Le CAII a exécuté plus d’une centaine de projets dans les régions du Chouf, de la Békaa-Nord et du Liban-Sud. Selon Fadi Riachy, directeur du bureau régional basé au Liban, le choix des villages où des projets ont été financés ces cinq dernières années a répondu à un impératif géographique imposé par l’USAid, à savoir des localités loin du littoral, largement défavorisées, dans les questions du développement. Le CAII a également décidé de s’éloigner de régions comme le Akkar, à titre d’exemple, où les organisations civiles ne sont que trop nombreuses à assurer un développement équitable. Outre ces précisions générales, M. Riachy assure que le choix de 92 localités s’est fait «d’une manière objective, basée sur l’initiative même des forces vives du village auxquelles l’offre de financement a été soumise, mais qui restaient maîtres de la décision finale». Pratiquement, comment cela se traduisait-il sur le terrain ? «Lorsque nous établissons nos contacts dans un village, nous convoquons toutes les instances, officielles ou non officielles, qui pourraient avoir leur mot à dire dans le choix du projet à entreprendre, explique-t-il. Ainsi, nous ne nous limitions pas aux conseils municipaux par exemple, mais faisions appel aux agriculteurs, aux notables, aux femmes, etc.» Seul un projet né d’un consensus général et répondant aux priorités absolues, telles que définies par les communautés locales et non par le bureau lui-même, est choisi. «Dans ces régions défavorisées, les besoins sont innombrables, mais il y a toujours des priorités à respecter, souligne M. Riachy. Si les villageois considèrent qu’un nouveau bâtiment scolaire est indispensable pour limiter l’exode rural, c’est ce pour quoi nous nous engageons. Si, au contraire, ils peuvent envoyer leurs enfants dans un village voisin mais que l’eau leur fait défaut pour irriguer leurs terres et nourrir leurs familles, c’est de canalisations qu’ils ont besoin.» Une fois le projet mis sur les rails, les communautés locales sont appelées à assurer une partie du financement, que ce soit au moyen de sommes récoltées ou de services. Il leur est demandé un minimum de 20%, mais la participation locale s’est élevée en moyenne, selon M. Riachy, à 56%. Durant l’exécution du projet, le CAII envoie régulièrement ses experts sur le chantier, comme l’ont confirmé les responsables locaux interrogés. Objectif: empêcher les failles dans l’exécution, mais aussi le moindre gaspillage, affirment-ils.

Quoi de plus banal qu’une canalisation d’eau pour l’irrigation, en béton, dans un paysage agricole? On pourrait facilement passer à côté d’elle sans la remarquer, et on aurait tort. C’est faute d’une installation aussi ordinaire et indispensable que les habitants de plusieurs villages dans la région de Yammouné (Békaa-Nord) avaient passé des décennies à se...