Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Manque de fonds, absence d’accessibilité, chômage forcé Être handicapé au Liban relève du parcours du combattant

«Maman, regarde ! » : le bambin montre du doigt un jeune IMC (Informe moteur cérébral) en chaise roulante dans un grand centre commercial de Beyrouth. La mère étouffe une exclamation de pitié et de compassion et entraîne son gosse loin du «handicapé», comme si ce dernier était atteint d’une maladie contagieuse. C’est ce genre d’incompréhension et d’ignorance qui fait que les personnes handicapées au Liban vivent comme des citoyens de seconde zone, à la limite de l’exclusion sociale, dans une société qui n’est pas prête à les accueillir, encore moins à les accepter. Est-il encore besoin de rappeler que les handicapés physiques ont eux aussi droit à une éducation, c’est après tout un droit de l’homme. Malheureusement, 99% des écoles ont plusieurs étages, avec rien que des escaliers pour y accéder. Or, une personne sur chaise roulante a besoin d’ascenseur. À cette date, une des rares écoles à avoir entrepris l’adaptation de ses bâtiments aux besoins des personnes handicapées physiques est La Sagesse Saint-Jean. L’histoire commence en décembre 2002, quand Joe Rahal est admis à La Sagesse en classe de huitième. Joe est IMC: il ne peut pas écrire. Alors, il utilise un ordinateur portable en classe, et dicte ses réponses à un «secrétaire» lors de ses examens. À part cela, il ne reçoit aucun traitement de faveur: il est récompensé, grondé ou puni comme tous ses camarades non handicapés. Il a plein d’amis et tout le monde l’adore. Or, à cause des escaliers, Joe est obligé de rester en classe, faute de pouvoir rejoindre les autres élèves dans la cour. Ses camarades se relaient donc pour lui tenir compagnie. À la vue de l’extraordinaire intégration de ce garçon de 14 ans, beaucoup de demandes d’admission de personnes handicapées physiques ont été présentées à La Sagesse. En conséquence, l’été dernier, la direction commande des plans en vue de l’installation d’un ascenseur. Mais à cause du manque de fonds, les travaux n’ont pu être commencés que le mois dernier. Malgré le retard, c’est un pas dans la bonne direction. Toutes les nouvelles écoles devraient être construites en accord avec les spécifications et les normes techniques internationales en matière d’accessibilité : rampes, ascenseurs, toilettes adaptées, etc. Or, c’est loin d’être le cas dans les écoles privées comme dans les écoles publiques, malgré les constants efforts des associations qui n’arrêtent pas de relancer l’affaire. Car il ne s’agit pas seulement de rendre les écoles accessibles, mais aussi de former les enseignants aux besoins des personnes handicapées. L’égalité des chances Ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’un principe international: celui de l’égalité des chances. Ce principe peut se concrétiser en donnant aux personnes handicapées la possibilité de choisir elles-mêmes l’école qu’elles veulent, que ce soit un établissement privé, public ou une institution spécialisée. Or, en raison du manque d’accessibilité, ces personnes se retrouvent obligées d’aller dans les institutions spécialisées qui sont certes équipées pour les recevoir mais qui, souvent, n’offrent pas un niveau d’éducation supérieur aux classes primaires. De plus, ces établissements privés coûtent très cher, parce qu’ils ne bénéficient pas de subventions de l’État, ce qui explique que 66% des handicapés libanais de plus de 18 ans n’ont pas le niveau d’éducation requis. La santé est un autre droit fondamental. Toute personne handicapée a, selon la loi, accès gratuitement aux consultations médicales, aux médicaments, au matériel technique, à l’hospitalisation et aux analyses médicales. Ce sont les organismes de couverture sociale (Sécurité sociale, Coopérative de l’armée...) qui paient la facture. Or actuellement, seuls les frais d’hospitalisation sont couverts à 100 % par le ministère de la Santé. Le ministère des Affaires sociales, qui est un peu le ministère de tutelle des handicapés, s’occupe, quant à lui, seulement du matériel technique: chaises roulantes, alèses, couches, etc. Ainsi, en raison du manque de fonds, beaucoup de gens sont mis sur la liste d’attente parce que le ministère ne peut accéder qu’à 300 ou 400 demandes par mois tout au plus. Le troisième droit fondamental des personnes handicapées est celui d’un environnement accessible. C’est-à-dire des rampes, des ascenseurs, des indications en braille pour les non-voyants. Et c’est là où le bât blesse: en vertu de la loi 220/2000 d’orientation générale – qui attend toujours son application –, il faut rendre toutes les institutions publiques (ministères, municipalités...) ainsi que tous les lieux publics (restaurants, cinémas, jardins publics...) accessibles aux personnes handicapées. Cette loi prévoit la formation d’un comité d’ingénieurs spécialisés pour établir des normes spécifiques en accord avec les normes internationales, dans le cadre de la modification de la loi sur le bâtiment, par décret présidentiel ou ministériel. Une fois entrée en vigueur, cette loi doit être appliquée dans un délai maximal de six ans. Toute personne qui l’applique dans un délai inférieur se voit attribuer des «motivations»: une diminution des impôts municipaux par exemple. Le transport aussi doit être accessible pour tous les handicapés selon la loi 220/2000. Toutefois, si les véhicules spéciaux importés sont exemptés de douane, ils restent soumis à la TVA, ce qui n’arrange pas vraiment les choses. Nous en arrivons au quatrième droit fondamental qui est le droit à l’emploi. La loi oblige toutes les entreprises de plus de trente salariés à engager un nombre d’handicapés équivalent à 3% de l’effectif total. Cette obligation est restée lettre morte en raison du manque d’accessibilité et du faible niveau d’éducation. De plus, on ne donne pas aux personnes handicapées des capacités de travail. Ainsi, elles ne sont pas formées à exercer un certain métier pour se faire engager quelque part. Toujours est-il que ces personnes se tournent vers l’Office national de l’Emploi. Mais sur 700 dossiers présentés, l’Office n’a pu en placer aucun, à cause justement du manque de capacités, et aussi des entreprises qui se montrent de plus en plus pointilleuses, demandant dans nombre de cas des détenteurs de hauts diplômes. Pour ce qui est des loisirs, le même problème d’accessibilité se pose. Toutes les facilités sportives, les aires de jeux, les cinémas, etc. ne sont pas accessibles aux personnes handicapées. Pourtant, le sport est un excellent moyen de valoriser la personne handicapée et d’augmenter sa confiance en soi. En définitive, il est très difficile d’être handicapé au Liban, où certaines personnes continuent encore de cacher un frère, une sœur ou un parent atteint. La loi 220 a été votée en 2000. Si elle finit un jour par être appliquée, on pourra dire alors que Joe Rahal ne sera plus un cas isolé. Patricia SOUCCAR
«Maman, regarde ! » : le bambin montre du doigt un jeune IMC (Informe moteur cérébral) en chaise roulante dans un grand centre commercial de Beyrouth. La mère étouffe une exclamation de pitié et de compassion et entraîne son gosse loin du «handicapé», comme si ce dernier était atteint d’une maladie contagieuse.
C’est ce genre d’incompréhension et d’ignorance qui...