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Actualités - CHRONOLOGIE

ÉTUDE - Cité dans la Bible comme «le ver qui resplendit» Les secrets du rouge kermès, la précieuse teinture des rois (photo)

Plusieurs années de recherches dans les garrigues des pays méditerranéens et une collaboration internationale et pluridisciplinaire ont permis à Mme Dominique Cardon, directrice de Recherche au CNRS, UMR 5648/ CIHAM, à Lyon, de signer une étude sur le kermès des teinturiers. Le document publié dans le dernier bulletin d’«Archaeology & History in Lebanon» raconte cet espèce d’insecte, parasite du chêne, et source du rouge connu dans tout l’Occident sous le nom d’écarlate ou vermillon. Faisant «partie intégrante de la faune originelle du Liban et de nombreux pays méditerranéens», il est cité dans la Bible comme «le ver qui resplendit». Mais c’est le Moyen-Âge qui marquera son apogée comme la teinture la plus précieuse des rois. Mais aussi un puissant cordial qui va figurer dans la trousse de tous leurs médecins. Ces insectes à teintures rouges, vivant en parasite sur le chêne-kermès, sont difficiles à repérer car ils n’atteignent pas 1 cm de diamètre. Une description «valide» de cette espèce a été donnée pour la première fois, en 1864, par un pharmacien de Montpellier, Gustave Planchon. Toujours immobile, la femelle adulte, de forme sphérique, de 6 à 8 mm de diamètre, est rouge foncé, recouverte d’une très fine pruinosité pulvérulente blanche. Au microscope, on distingue des antennes courtes, «tuberculiformes», mais pas de pattes. La marge du corps est ornée d’une rangée d’épines courtes, acérées et coniques. Quant au mâle adulte, il est de couleur rouge cramoisi très foncé, mobile et muni d’une paire d’ailes bien développées. Il mesure 2 mm de longueur et 3,5 mm d’envergure. La tête est séparée du thorax, et porte une paire d’yeux et deux paires d’ocelles sur la face ventrale. Les antennes, filiformes, égalent en longueur le corps de l’insecte. Les pattes sont bien développées. L’abdomen est terminé par deux paires de filaments. L’auteur signale qu’il n’est pas rare d’observer chez les femelles deux cycles biologiques par an : fin printemps / début été, mais aussi, vers la mi-septembre. Elles pondent jusqu’à 6 500 œufs, puis elles meurent. Mais leur corps desséché reste fixé sur l’arbre, formant un abri pour les œufs. Suivant les pays et les conditions climatiques, l’éclosion a lieu de la mi-mai à la mi-juillet. Dominique Cardon indique aussi qu’il y a très peu de mâles par rapport aux femelles. Mais que celles-ci peuvent pondre des œufs et donner naissance à des larves sans accouplement. Cet insecte qui vit encore dans certains endroits en Turquie et en Algérie est devenu extrêmement rare, en raison de la régression des garrigues prises d’assaut par les constructions, mais aussi des incendies de forêts qui détruisent irrémédiablement les populations de kermès, espèce, rappelons-le, à mobilité extrêmement réduite. Aujourd’hui, les spécialistes déconseillent l’utilisation de cet insecte en teinture, sauf pour la réalisation, à toute petite échelle, d’échantillons de référence nécessaires pour l’analyse de textiles anciens. Un florin d’or pour 400 grammes de graines rouges Dominique Cardon indique également que la récolte se faisait au stade où la femelle, encore vivante ou déjà morte, était pleine d’œufs non éclos. C’est alors qu’elle fournit le maximum de colorants (5 kg d’insectes donneraient 50 à 55 grammes de colorants, d’après le chimiste F.Mayer). La récolte avait lieu tôt le matin, la rosée étant censée ramollir les feuilles horriblement piquantes du chêne-kermès. Les femmes et les enfants, à qui incombait cette tâche, se laissaient pousser les ongles très longs pour détacher un à un les insectes de la plante, et les faisaient tomber dans des pots de terre vernissée. Dans les bonnes années, on pouvait ramasser jusqu’à 1 kilo par jour et par personne. Après la récolte, afin d’éviter que les œufs n’éclosent et que les larves se dispersent, il fallait rapidement tuer les insectes, en les faisant sécher, étalés au soleil. Ils prenaient alors l’aspect de petites baies ou graines rouge foncé, brillantes, d’où l’appellation commerciale de «grana». Le prix de la graine, au XVIII e siècle, était très élevé et fluctuait entre 0,8 et un florin d’or par livre (339,5 grammes). Pour teindre en rouge une pièce de drap fin d’environ 25 kg, par exemple, il fallait récolter et sécher un million et demi à deux millions d’insectes. La solidité de cette teinture était d’ailleurs proverbiale.«Teint en graine», au Moyen-Âge, était synonyme de «solide, assuré, immuable ». L’auteur signale qu’en 1467, c’est-à-dire 14 ans après la chute de Byzance, le pape Paul II décide de remplacer la teinture en pourpre, par la teinture au kermès, dans l’habit des cardinaux. C’est le triomphe de l’écarlate sur le pourpre, mais il sera de courte durée, car moins de trente plus tard, Christophe Colomb découvre l’Amérique, et apparaît en Europe une teinture rouge, tirée elle aussi d’un insecte qui va supplanter le kermès. Les derniers bastions de la teinture au kermès resteront les centres de fabrication des fez et chéchias, utilisés dans de nombreux pays musulmans, particulièrement à Tunis. Car ce n’est pas seulement à la solidité de sa teinture, résistante au soleil et à la sueur, que le kermès doit sa popularité dans les pays du Coran : le port du fez teint au kermès passait pour protéger contre les maux de tête et des yeux. En effet, l’importance médicinale du kermès remonte à Dioscoride et Galien : le kermès séché et réduit en poudre est une drogue astringente, utilisée en application avec du vinaigre sur les blessures fraîches. Mélangée à de l’eau, Pline la conseille comme collyre. C’est toutefois le célèbre médecin arabe chrétien Yahya Ibn Masawaih, ou Mésué (IXe siècle) qui va promouvoir le kermès au rang de panacée avec sa fameuse «Confectio Alkermès», préparation adoptée dans tout le monde arabe et l’Occident. Elle est prescrite contre les troubles du cœur et de la circulation. Au XIIIe siècle, une version plus sophistiquée sera élaborée par l’École de médecine de Montpellier. Le remède considéré comme un puissant cordial va désormais figurer dans la trousse de secours de tous les médecins des rois et des grands de ce monde. Le pharmacien personnel de Napoléon 1er emportait sur les champs de bataille ses petits sachets de kermès en poudre.
Plusieurs années de recherches dans les garrigues des pays méditerranéens et une collaboration internationale et pluridisciplinaire ont permis à Mme Dominique Cardon, directrice de Recherche au CNRS, UMR 5648/ CIHAM, à Lyon, de signer une étude sur le kermès des teinturiers. Le document publié dans le dernier bulletin d’«Archaeology & History in Lebanon» raconte cet ...