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Actualités - REPORTAGE

Un produit délicat qui peut être contaminé à toutes les étapes qui précèdent sa consommation Le contrôle sur la qualité de la viande : une efficacité entachée de nombreuses lacunes (photos)

Des scandales qui ont éclaté autour de chargements de viande qui n’auraient pas été propres à la consommation, et qui n’ont pas été introduits au pays après une interdiction claire du ministère de l’Agriculture, posent une fois de plus la question du contrôle alimentaire, notamment pour un produit aussi délicat que la viande bovine. Si un ou plusieurs conteneurs ont été interceptés (à tort ou à raison, selon les sources interrogées), comment se passe le contrôle de la viande et les produits dérivés, sachant que ceux-ci requièrent un examen approfondi, de l’importation à la consommation, et que leur manipulation, leur transport et leur conservation peuvent poser des problèmes et causer des contaminations ? Cette enquête se propose donc de décrypter, autant que faire se peut, la chaîne de contrôle de la viande. Des informations ont été recueillies auprès des principaux responsables, notamment dans les ministères de l’Agriculture et de la Santé, ainsi qu’auprès des syndicats des commerçants et de sources plus neutres. Il s’est avéré que le contrôle de la viande, qui est dans une large mesure importée, n’est pas inexistant, bien que certains dénoncent des lacunes et la multiplicité des administrations impliquées dans le processus. Les quelques cas d’empoisonnement alimentaire suite à une consommation de viande seraient dus à des erreurs dans la manipulation ou le transport de la viande, ce qui n’est pas moins grave. Par ailleurs, les relations entre les commerçants de viande congelée ou surgelée et ceux des animaux vivants ne seraient pas toujours au beau fixe. Pour ce qui est de la seconde option, même si les animaux importés sont sains, de nombreux points d’interrogation subsistent concernant les abattoirs, notamment l’abattoir central de Beyrouth, qui avait été conçu pour être provisoire et qui n’a toujours pas été remplacé par un plus moderne. Enfin, nous avons obtenu des informations contradictoires concernant une éventuelle contrebande de viande à travers les frontières libano-syriennes, sachant qu’elle véhiculerait un produit non contrôlé et potentiellement dangereux. Les échos qui nous sont parvenus des responsables et des commerçants concernés seront tour à tour confortés ou contredits par les résultats d’une étude effectuée par une jeune étudiante de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier, Imen Zitouni, à la demande de la municipalité de Beyrouth. Cette étude, publiée en décembre 2003 et dont nous reproduisons les principales conclusions dans le cadre de cette enquête, est alarmante parce qu’elle révèle des anomalies dans tout le circuit de commercialisation de la viande. Une cinquantaine d’inspecteurs sanitaires au lieu des 200 nécessaires Que mange-t-on ? C’est une question qu’on a de plus en plus tendance à se poser dans un cadre où la confiance ne règne pas toujours entre le consommateur et les instances de contrôle étatiques. Surtout en ce qui concerne la viande rouge, un produit particulièrement délicat, facilement contaminé à toutes les étapes qui précèdent son arrivée dans l’assiette du consommateur. Or le contrôle est loin d’être inexistant, même si des sources bien informées, qui n’ont pas toujours accepté d’être citées, parlent d’importantes lacunes au cours du processus. Comment se déroule le contrôle sur la viande rouge, sachant que celle-ci peut parvenir au Liban sous forme d’animaux vivants ou de paquets de viande congelée ou surgelée, souvent sous vide ? Christo Hilane est le responsable du laboratoire central de Fanar, relié à l’Institut de recherche agricole libanais (Iral), chargé d’effectuer des tests sur des échantillons de toutes les denrées alimentaires importées ou à exporter. Le centre de Fanar est l’un des trois laboratoires accrédités par l’État libanais – les deux autres étant le laboratoire central du ministère de la Santé et celui de l’Institut de la recherche industrielle – qui ont présenté des demandes pour une accréditation internationale, dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne. M. Hilane estime que son laboratoire « contrôle 90 à 92 % des denrées alimentaires qui arrivent au Liban ». Il précise que les échantillons lui sont envoyés par les ministères de l’Agriculture, de la Santé, de l’Économie, des Affaires municipales (les municipalités contrôlant les abattoirs centraux), de la Défense (pour les aliments destinés à l’armée), par le service des douanes, par certaines usines d’agroalimentaire ou par le secteur privé. Mais il est incapable d’évaluer l’application des directives sur le terrain, une tâche qui ne lui incombe pas. Il explique cependant que le nombre d’échantillons qui lui sont arrivés en 2003 étaient d’environ dix mille, en hausse par rapport à l’année précédente. Le pourcentage de produits contaminés (aliments et eau) est passé de 45 % en 1991 à 1,9 % en 2003... « Depuis 1998, il n’y a plus de viande contaminée qui entre au pays, si l’on doit tenir compte de nos analyses, dit-il. La situation est un peu moins bonne pour les fromages. Mais c’est l’eau qui pose le plus de problèmes en raison des nombreux puits artésiens. » Pour ce qui est de la viande, les mauvaises langues diront qu’il est possible que certaines compagnies particulièrement « protégées » n’aient pas à faire soumettre leur marchandise aux analyses de laboratoire, ce qui est moins grave au cas où le pays d’origine aurait un système de contrôle sérieux. D’autres évoqueraient la contrebande par voie terrestre, même si nombre de personnes interrogées affirment catégoriquement qu’elle a cessé. Mais sait-on jamais ? D’autres encore douteraient de l’efficacité de l’échantillonnage précédant l’envoi de la marchandise au laboratoire. Quoi qu’il en soit, les responsables aux ministères de l’Agriculture et de la Santé se veulent rassurants. Louis Lahoud, directeur général du ministère de l’Agriculture, assure qu’« il n’existe aucun risque au niveau de la sécurité alimentaire au Liban, vu que les mesures prises sur le terrain sont très strictes et correspondent aux recommandations de l’Organisation internationale des épizooties (OIE), dont le siège régional se trouve à Beyrouth ». Farid Karam, chef du département de génie sanitaire au ministère de la Santé, fait remarquer que « le Liban n’est pas un pays où l’on meurt de la consommation de la viande ». Certes, mais il y a eu des cas d’empoisonnement alimentaire à cause de la viande... M. Karam affirme que les mesures adéquates sont prises par les contrôleurs sanitaires. Les commerçants et importateurs interrogés arguent que « le contrôle est très strict », et que « la meilleure garantie pour le consommateur, c’est que personne ne peut tricher au niveau de la qualité d’un produit aussi délicat que la viande sans détruire sa réputation et saper les bases de son commerce ». Élie Barbour, professeur à l’AUB et expert auprès de l’OIE, n’est pas tout à fait de cet avis. Selon lui, on ne peut pas faire confiance au contrôle effectué sur toute la chaîne de production et de commercialisation de la viande. Il cite une étude réalisée par une étudiante de l’AUB, Maya Gharios, sur la qualité microbiologique d’échantillons de chawarma et de « lahmé beajine » vendus sur le marché. Les résultats concernant le chawarma sont alarmants : 47,5 % des échantillons contiendraient de la salmonelle et 55 % seraient contaminés par des coliformes (bactéries provenant des matières fécales). La raison, selon lui, est que la viande de chawarma n’est pas toujours assez purifiée par le feu, d’où le fait que les bactéries peuvent y rester actives. Pas assez de contrôleurs Le contrôle sur les denrées alimentaires, notamment la viande rouge, relève de la responsabilité de plus d’une administration publique. M. Hilane admet qu’il existe une certaine confusion dans les textes. Ainsi, un décret-loi de 1983 stipule que la salubrité des aliments relève du ministère de la Santé. Cependant, une autre loi datant de la même année précise que la répression des fraudes revient au bureau de protection du consommateur du ministère de l’Économie. Quant au contrôle alimentaire, il est du ressort de plusieurs ministères. Les risques de chevauchement sont-ils donc bien réels ? « Les problèmes qui ont pu se poser durant les années 80 ont été dépassés, et il n’existe aucun risque de conflit de prérogatives si chacun connaît bien les siennes », souligne M. Hilane. Ainsi, le contrôle des denrées introduites au port, à l’aéroport ou aux frontières est de la responsabilité du ministère de l’Agriculture, ainsi que la qualité des produits sortant des abattoirs. Le ministère de l’Économie est censé vérifier les entrepôts. La qualité de la transformation industrielle revient au ministère de l’Industrie. Quant au ministère de la Santé, il s’occupe de définir les règles d’hygiène des abattoirs et de contrôler la qualité du produit fini présenté au consommateur. Le ministère de la Santé agit par le biais de contrôleurs qui relèvent des médecins de cazas. Les responsables des ministères louent la coordination entre eux, même si, selon M. Karam, « elle n’est pas clairement régie par des lois ». Il précise par ailleurs que la divergence qui apparaît parfois dans l’interprétation des résultats sortant des différents laboratoires n’entraîne pas des lacunes au niveau du contrôle. Il met cependant le doigt sur un problème essentiel qui est le manque de personnel qualifié. Ainsi, selon lui, « il n’y a que 40 ou 50 contrôleurs sanitaires au Liban, alors qu’on aurait besoin de quelque 200 ». Or ces contrôleurs diplômés existent : environ 150 ont été formés dans une école créée au Liban avec l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais il demeure impossible de les embaucher dans l’administration publique en raison de la politique d’austérité pratiquée par l’État. Alors qu’il existe des secteurs qui souffrent de surnuméraires... Pour sa part, M. Lahoud avoue que son ministère n’a pas tout le personnel qu’il faut, mais que les responsables au port et dans le service des douanes « honorent leur devoir sans failles ». Même écho au laboratoire central, où le personnel qualifié qui part en retraite n’est pas remplacé... Guerre d’importateurs Si les instances de contrôle sont multiples, les importateurs de viande, eux, sont répartis en deux groupes, principalement : les commerçants de viande congelée et surgelée et ceux qui vendent du bétail vivant. Malgré les déclarations diplomatiques des responsables syndicaux des deux parties, la concurrence paraît dure entre les deux, surtout avec l’avènement des grandes surfaces qui donnent peu à peu l’avantage à la viande congelée (la viande surgelée est principalement destinée à l’industrie). Pour ce qui a trait au contrôle, il se passe ainsi : des échantillons de viande congelée sont envoyés au laboratoire central et le chargement n’intègre le marché libanais qu’en cas de résultats négatifs des tests, sinon il est renvoyé au pays d’origine. Les animaux vivants sont inspectés par des vétérinaires à leur arrivée au port, avant que du sang ne soit prélevé d’un échantillon de bêtes pour être envoyé au laboratoire. Les deux types de marchandise doivent être accompagnés d’un certificat de qualité provenant du pays d’origine. Joseph Haber, président du syndicat des importateurs de viande congelée et surgelée, affirme que les navires qui transportent cette marchandise sont spécialement équipés afin que la chaîne du froid ne soit brisée à aucun moment. Il est probable cependant que les risques ne disparaissent pas après l’entrée de la viande au marché, jusqu’à son arrivée au consommateur. Le bétail, lui, est transporté dans de grands cargos qui appartiennent aux importateurs libanais, comme l’explique Maarouf Bekdache, président du syndicat des bouchers et des importateurs de bétail. Il rappelle que depuis la crise de la vache folle, le ministère de l’Agriculture interdit l’importation d’animaux âgés de plus de trente mois, et que les régulations internationales sont très strictes. La plupart des ovins et des bovins sont vendus sur place au port. Toutefois, un rapport de l’Association de protection du consommateur, datant de 2002, estime que « les délais de quarantaine de 20 à 25 jours ne sont pas toujours respectés ». Un autre risque lié à la viande fraîche est représenté par l’état des abattoirs, qu’ils soient centraux ou privés. Nul ne conteste que les procédures d’abattage peuvent être améliorées. M. Karam dénonce les habitudes des bouchers, surtout en province, d’abattre eux-mêmes les animaux, ce qui reste illégal. Il souligne qu’avec davantage d’inspecteurs sanitaires, cette pratique sera éliminée. M. Lahoud rappelle que les laboratoires centraux sont soumis à la tutelle des municipalités, mais que « le ministère est prêt à collaborer avec elles pour une amélioration des conditions d’abattage ». Enfin, M. Bekdache affirme que de meilleures conditions d’hygiène dans les abattoirs restaureraient la confiance dans la viande fraîche, considérant que « si les cas d’empoisonnement ne se multiplient pas, c’est grâce à la qualité des animaux importés ». Il plaide pour le remplacement de l’abattoir central « provisoire » de Beyrouth, révélant qu’un projet d’abattoir moderne, sur une surface de 30 000 mètres carrés, existe, avec un financement de 17 millions de dollars assuré par la Banque islamique. Mais, toujours selon lui, le projet, qui sera géré en BOT, reste gelé par les dissensions présidentielles. Une fois approuvé, cet abattoir, doté d’équipements modernes, notamment pour la conservation et le transport, pourrait être réalisé en sept à huit mois. M. Bekdache ajoute que « cette installation moderne réglera 80 % des éventuels problèmes liés à la viande fraîche ». Même si la situation n’est pas catastrophique, il apparaît qu’elle n’est pas totalement maîtrisée pour autant. Pour éviter les ennuis, le Pr Barbour conseille aux consommateurs de bien faire cuire la viande (rouge ou blanche) ainsi que les œufs. Quant à Abdel Rahman Berro, de l’Association de protection du consommateur, il rappelle qu’il est du droit du client de s’informer de la provenance de la viande, et d’exiger que la viande congelée lui soit vendue emballée, avec une date d’expiration qu’il peut vérifier. Suzanne BAAKLINI Haro sur la marchandise indienne En mai dernier, neuf conteneurs transportant de la viande congelée d’Inde ont été maintenus au port de Beyrouth, après que des analyses du laboratoire central eurent révélé un taux de bactéries supérieur à la normale. Le propriétaire de la compagnie d’importation a eu beau protester et s’en remettre au juge des référés, qui a exigé de nouvelles analyses, le ministre de l’Agriculture, Ali Hassan Khalil, et le directeur général Louis Lahoud ont non seulement empêché l’écoulement de la marchandise, mais ont décidé d’interdire toute importation de viande d’Inde. Auparavant, peu de consommateurs libanais étaient conscients qu’une partie de la viande sur le marché provenait de ce pays. M. Lahoud défend cette décision : « Si vous étiez à ma place et que vous aviez eu vent de plus d’un certificat de qualité provenant d’Inde qui s’est avéré erroné, qu’auriez-vous fait ? » Cela n’a pas convaincu les importateurs de viande congelée qui assurent que l’Inde compte un millier d’abattoirs qu’il ne faut pas tous mettre dans le même sac. L’un d’eux, Samih Masri, souligne même que l’interdiction de la viande indienne a causé une hausse des prix, et que ce sont les importateurs de bétail qui ont fait pression pour l’obtenir. Maarouf Bekdache, président du syndicat des bouchers et des importateurs de bétail, déclare sur ce plan : « Cela fait des années que nous détenons des informations sur la qualité médiocre de la viande indienne, interdite, d’ailleurs, dans le cadre de l’Union européenne ». Il se demande « combien de fois les consommateurs libanais ont mangé de la viande indienne sans que personne ne leur en précise la provenance ». Mais M. Masri nie cela, puisque, selon lui, « la viande indienne surgelée était surtout destinée à l’industrie ». Joseph Haber, président du syndicat des importateurs de viande congelée et surgelée, adopte une position plus modérée, tout en considérant que l’interdiction pure et simple n’était pas nécessaire. « Il ne faut pas que les importateurs mènent campagne les uns contre les autres parce que les retombées seront désastreuses pour tout le monde », dit-il. Qu’en est-il des cas d’empoisonnement dus à la consommation de viande ? Les commerçants de viande surgelée laissent entendre qu’ils sont dus à une consommation de viande fraîche. M. Bekdache précise que les deux cas frappants qui ont été enregistrés à Zahlé et à Nabatiyé sont dus, pour le premier, à un nettoyage de la boucherie avec un puissant désinfectant qui a contaminé la viande, et, pour le second, au transport de la marchandise dans des coffres de voiture. Rien à voir donc, selon lui, avec la qualité de la viande. En est-on plus rassuré pour autant ? La viande en chiffres Selon le syndicat des importateurs de bétail, le Liban importe annuellement 200 à 225 000 têtes de bovins et environ un million d’ovins. Ces derniers proviennent à 70 % de Syrie, à 20 % d’Australie et le reste d’Allemagne. Les bovins, quant à eux, viennent principalement (80 %) de France et d’Allemagne. Les 20 % restants sont issus d’autres pays européens, notamment de l’Est. Le marché du Brésil vient d’être ouvert pour le bétail vivant. Il y a au Liban une dizaine d’importateurs de ce type, dont deux très grosses compagnies. La viande congelée et surgelée provient principalement d’Amérique du Sud, notamment du Brésil et du Paraguay. Selon le syndicat des importateurs de ce genre de denrées, ce secteur représenterait cinq à six mille tonnes par an, contre 30 000 tonnes pour la viande vive. Le délai d’expiration pour la viande congelée a été abaissé par le ministère actuel de 120 jours à 84 jours. Pour la viande surgelée, il est de 14 mois. Coordination déficiente entre les ministères en charge de la surveillance alimentaire Il y a près de deux ans, Imen Zitouni, jeune étudiante à l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier, a effectué, dans le cadre d’un DEA, une étude sur la sécurité alimentaire de la viande bovine dans la ville de Beyrouth. Le prédiagnostic, alarmant à l’époque, montrait des lacunes dans tout le circuit de production de la viande. Le rapport, publié en décembre 2003, est tout aussi inquiétant. Cette étude a été effectuée à la demande du Dr Bernard Gerbaka, avec l’accord de la municipalité de Beyrouth qui « s’inquiétait de la qualité d’hygiène et de salubrité de la viande », note Imen Zitouni dans son rapport. « La réglementation et la technique posent une interrogation majeure au niveau de la santé publique, constate-t-elle, même si pour le moment aucune maladie ne revêt la forme d’une épidémie humaine. » Et de poursuivre : « A priori, l’état sanitaire des viandes commercialisées est considéré très douteux par l’inspection officielle libanaise aux points d’entrées et aux réseaux d’abattage et de distribution, aussi rudimentaires que malsains. » La tâche d’Imen Zitouni n’était pas des plus faciles, faute de statistiques et d’informations. L’étude a englobé tous les acteurs concernés par la filière de la viande, de l’élevage à la vente. L’étudiante a ainsi défini le rôle de chacune des institutions impliquées, la stratégie qu’elles adoptent et le mécanisme de leur fonctionnement. Signalons au départ que la demande des Libanais porte essentiellement sur la viande de jeunes bovins ou de veau et que la consommation des produits d’origine animale (œuf, viandes, laitages...) a tendance à augmenter durant les prochaines années. En effet, de 8 kg/personne en l’an 1975, cette consommation est passée à 25 kg/habitant en 2002, une moyenne qui se rapproche d’ailleurs de la consommation observée dans l’Union européenne et les pays méditerranéens, indique Imen Zitouni dans le rapport. Et de remarquer que la consommation de viande rouge augmentera au cours des prochaines années et atteindra 50 kg/personne, en 2050. « La consommation est très liée aux revenus de la ville de Beyrouth et au mode de vie de ses habitants, lit-on dans le rapport. Elle apparaît au centre de la structuration des repas des familles riches. » La consommation de produits d’origine animale par les classes ouvrières se rapproche cependant de la moyenne nationale, et le tourisme demeure l’un des facteurs déterminants de la demande de la viande. « Le Liban pourra difficilement atteindre un certain taux d’autosuffisance en viande bovine, malgré tous les efforts déployés », remarque Mlle Zitouni. C’est la raison pour laquelle le pays a recours à l’importation pour pouvoir satisfaire la demande. En effet, la production locale couvre 8 % de l’approvisionnement en viande bovine, 92 % des besoins du marché étant assurés par l’importation. C’est que « les services mis à la disposition de l’éleveur sont rudimentaires et les services d’appui technique insuffisants ». Une situation qui laisse les éleveurs impuissants face aux importations massives que connaît le Liban depuis des dizaines d’années. Une filière laissée à elle-même Quelle viande mangeons-nous et dans quelles conditions hygiéniques arrive-t-elle dans notre assiette ? L’étude d’Imen Zitouni a montré que la viande rouge est importée sous quatre formes différentes. Il s’agit en premier lieu des importations de bovins vivants destinés à l’abattage, notamment des pays d’Europe de l’Est, d’Europe occidentale, du Moyen-Orient et d’Amérique. En 1995, le ministère de l’Agriculture a autorisé les opérateurs privés à importer la viande rouge en provenance essentiellement de Grande-Bretagne et d’Irlande (décret 14/1 daté du 18 mars 1995), et cela « au début de la crise de la vache folle ». La viande bovine est également importée fraîche (principalement du Brésil), congelée (essentiellement de l’Inde où « la qualité, surtout du buffle, n’est pas garantie »), ainsi que conservée et préparée (notamment des Pays-Bas). Cette dernière catégorie inclut les hamburgers, les foies, les cervelles, les moelles épinières, les langues, ainsi que la farine de viande et d’os en guise d’aliments de bétail. « Les viandes sont extrêmement sensibles et fragiles du point de vue chimique et bactériologique, indique le rapport, et les animaux qui les produisent sont sensibles à des maladies dangereuses pour l’homme. » Les animaux peuvent en fait porter des maladies infectieuses, bactériennes, virales et parasitaires dangereuses pour la santé de l’homme. De plus, la salubrité de la viande peut être altérée dans la transformation, le transport, le stockage et la distribution. En ce qui concerne l’état de santé du cheptel, il dépend des conditions d’hygiène générale, en particulier les conditions d’hébergement. À ces risques vient s’ajouter l’opération d’abattage. Celle-ci « est souvent conduite dans des conditions qui augmentent les risques de contamination de la viande, constate Imen Zitouni. La viande obtenue est souvent gardée à température ambiante pendant plusieurs heures avant sa vente et son écoulement, ou avant d’être mise dans des réfrigérateurs de magasins. Le matériel utilisé pour l’abattage est souvent mal nettoyé (nettoyage à l’eau de ville), entraînant des contaminations additionnelles. » Et la question qui se pose à ce niveau est celle de savoir qui contrôle la viande et quel rôle joue l’État dans la conservation de la santé publique ? L’étude effectuée sur l’hygiène de la viande bovine dans la ville de Beyrouth a montré que les administrations chargées de la surveillance alimentaire et sanitaire sont nombreuses. Cette surveillance implique, en effet, les ministères de l’Agriculture, de l’Économie, de la Santé, de l’Industrie et des Municipalités, sans que le rôle, les devoirs et les responsabilités de chacun d’eux ne soient clairement délimités. « On note que les rôles s’entremêlent créant des conflits, constate le rapport. Toutes les institutions n’ont pas la même vision de l’épidémiologie et de la surveillance alimentaire ou même de la qualité sanitaire alimentaire. Faute de coordination et de moyens de mise en œuvre d’une politique commune, la filière est laissée à elle-même. » Manque d’analyses Le contrôle des denrées alimentaires pose donc un problème, d’autant qu’un manque de services d’analyse est décelé, ainsi qu’une absence de normes officielles actualisées. Au stade actuel, le contrôle des produits alimentaires consiste, dans la pratique, à vérifier la conformité des produits commercialisés sur le marché local avec la réglementation en vigueur et à s’assurer des transactions commerciales. Le contrôle est exercé au niveau du produit fini et de la commercialisation, laissant un vide notable concernant le contrôle de la production et des premiers stades de la transformation. Les risques sanitaires dans la filière de la viande bovine à Beyrouth sont décelés, dans l’étude, à plusieurs niveaux. En ce qui concerne les conditions de transport maritime des animaux vivants, elles sont respectées, notamment si les animaux proviennent de l’Union européenne. Mais ces même conditions ne sont pas respectées pour le bétail en provenance de l’Inde ou de certains pays de l’Europe de l’Est. Or l’état de santé des animaux dépend du type et de la durée du transport, sachant que « les manœuvres brutales au moment de l’embarquement et au débarquement, les incommodités inévitables du transport, les insuffisances d’aliments et de boissons, la chaleur ou le froid », sont des états qui entraînent une perturbation de l’organisme de l’animal. Des hormones sont ainsi secrétées favorisant l’apparition de certaines maladies. Une fois le bétail arrivé au port, les services vétérinaires n’effectuent qu’un nombre limité d’analyses de maladies infectieuses et la quarantaine n’est pas respectée. Souvent, les animaux sont transportés directement pour être abattus le lendemain. « Il existe plusieurs abattoirs au Liban, même aux alentours de la ville de Beyrouth, remarque Imen Zitouni dans son étude. Ils alimentent d’une manière ou d’une autre la ville de Beyrouth. En ce qui concerne l’abattoir provisoire de Beyrouth, il est loin de répondre aux normes requises pour assurer une bonne hygiène sanitaire. » « Situé à proximité d’une décharge publique non contrôlée », il consiste en une surface aménagée par la municipalité de Beyrouth pour regrouper les abattages. « Par ailleurs, l’abattage privé à la boucherie est courant, poursuit le rapport. Sans aucun recours au contrôle vétérinaire préalable, chaque boucher abat et commercialise les animaux de son choix. Les carcasses sèchent à l’air libre sans respect de la chaîne de froid et sont ensuite distribuées, entières et en demi-carcasses, aux points de vente : bouchers, restaurants et supermarchés. » Viande exposée à la pollution Le transport de la viande laisse lui aussi à désirer. Le service frigorifique, mis à la disposition des chevillards par la municipalité de Beyrouth, ne couvre pas tout le marché. Certains bouchers et particuliers transportent ainsi la viande dans le coffre de leur voiture. « Les quantités les plus importantes sont véhiculées dans des voitures camionnettes sans équipements adéquats », note le rapport. La situation n’est pas des plus encourageantes au niveau de la distribution, puisque la majorité des marchands ne disposent pas de chambres froides ou d’équipements de froid. La viande est exposée en face de la route, en contact direct avec la poussière et l’air chargé de particules de pollution. Entre-temps, nous continuons de consommer, crues ou cuites, des viandes contaminées, chargées de différentes flores bactériennes. « Cependant, et paradoxalement, peu d’intoxications alimentaires sont déclarées », constate Imen Zitouni. Mais il ne faut pas compter sur la chance ni sur le système immunitaire du consommateur libanais pour agir. En plus du gouvernement, ce sont les entreprises de consommation de la viande qui ont leur part de responsabilité : une implication du personnel de l’entreprise pour gérer et assurer la qualité ne relève que de la conscience professionnelle. Nada MERHI
Des scandales qui ont éclaté autour de chargements de viande qui n’auraient pas été propres à la consommation, et qui n’ont pas été introduits au pays après une interdiction claire du ministère de l’Agriculture, posent une fois de plus la question du contrôle alimentaire, notamment pour un produit aussi délicat que la viande bovine. Si un ou plusieurs conteneurs ont...